Publié le 11/02/2015

Françoise MASSIT-FOLLEA

2014 a été une année chargée pour la gouvernance de l’internet, avec la conférence NETmundial en avril dernier et l’annonce de la fin de la tutelle américaine sur la fonction IANA, qui assure la gestion des adresses IP. Quels grands événements vont rythmer 2015 ? Et quelles seront selon vous les questions prioritaires ?

L’année à venir est riche en rendez-vous importants :

- En décembre 2015 à New York, se tiendra la réunion « SMSI+10 » à l’ONU. Il s’agira de mesurer les avancées de l’Agenda de Tunis [1], dans un cadre intergouvernemental qui a pas mal bougé depuis le dernier Sommet mondial sur la société de l’information (SMSI) de 2005.

- À la mi-novembre, aura lieu au Brésil la 10e réunion du Forum multipartite sur la gouvernance de l’internet (IGF [2]). Sa mission sera-t-elle renouvelée après deux périodes de 5 ans ?

- En mai, se tiendra la réunion de l’Internet Governance Council Working Group de l’Union internationale des télécommunications (UIT), une agence des Nations unies, dont les missions doivent faire l’objet d’une réforme. Les lignes de force entre États pro-ICANN (société qui assure la gestion du système de noms de domaine) et États pro-IUT ont-elles bougé depuis la conférence houleuse de Dubaï en 2012 ? Réponse en novembre 2015, lors de la nouvelle Conférence mondiale de l’UIT.

- Septembre est la date théoriquement fixée pour la fin de la supervision du gouvernement des États-Unis sur la fonction IANA, censée assurer « l’émancipation » de l’ICANN dans un cadre international non gouvernemental. Le Congrès américain reste très partagé sur la question.

- Après Davos en janvier, la NETmundial Initiative [3] (Forum économique mondial + ICANN + gouvernement brésilien), qui essaie de surfer sur les acquis de la réunion multi-acteurs de São Paulo de mai 2014, tiendra fin mars la première réunion de son Comité de coordination.

- Une coalition dissidente de la société civile entend organiser un Internet Social Forum, lié quant à lui au Forum Social Mondial qui doit se tenir en Tunisie en 2015.

L’apaisement n’est pas à l’ordre du jour !

Après les attentats de Paris, le ministre de l’Intérieur a déclaré qu’il voulait « responsabiliser les acteurs de l’Internet ». Pensez-vous que la question du terrorisme puisse influencer les débats sur la gouvernance de l’internet ?

Oui bien sûr, tout comme les révélations de Snowden sur la surveillance mondiale exercée par la NSA. Le diptyque liberté-sécurité révèle la reprise en main par les États d’un sujet qui était jusqu’à peu essentiellement orienté par le marché. Dans ce contexte, la difficulté majeure consiste à éviter la mise en place de mesures disproportionnées et non garanties par le pouvoir judiciaire. Quand on dit « responsabiliser les acteurs », cela peut signifier demander à des entreprises, dont ce n’est pas le rôle, de faire le gendarme, par exemple en exigeant des fournisseurs d’accès qu’ils suppriment, sur simple demande des autorités politiques, des contenus considérés comme illicites ou dangereux avant même qu’ils soient jugés illégaux.

Quelles sont les spécificités de l’approche « multi-parties prenantes » de la gouvernance de l’internet et que préconisez-vous pour résoudre, ou du moins minimiser, les difficultés posées par ce modèle ?

Le modèle « multistakeholder », où les États ne sont que des acteurs parmi d’autres, est participatif mais non pluraliste : il recherche le consensus par la simple juxtaposition de groupes d’intérêts partisans ; il ne redistribue pas le pouvoir de décision au-delà des cercles habituels. Par ailleurs, il envisage l’internet et sa gouvernance comme un enjeu global alors que l’autorégulation des experts qui créent les standards de l’internet, les « conditions d’utilisation » mouvantes des plateformes de réseaux sociaux ou de vente en ligne, les différentes approches législatives du copyright, les accords commerciaux opaques entre opérateurs de télécommunications, les divergences culturelles sur la liberté d’expression ou la licéité de l’appropriation d’un nom de domaine, entre autres exemples, relèvent d’instances et d’exigences multiples. Il est besoin de mieux les articuler aux niveaux local, national ou international pour assurer une gestion démocratique des normes techniques, des infrastructures, des contenus et des usages de l’internet dans le respect des libertés fondamentales.

Françoise Massit-Folléa est l'auteure de l’article « Internet et les errances du multistakeholderism » paru dans le numéro d’hiver 2014-2015 [4] de Politique étrangère. Cet article a été originellement publié sur le blog de la revue : http://politique-etrangere.com [5].