Publié le 02/03/2015

Jacques LESOURNE

Depuis des années, la sécurité de l’approvisionnement énergétique de l’Union est l’un des objectifs de la politique européenne et de nombreuses mesures internes sont prises à cet égard.  Mais il est rarement souligné que l’insécurité provient notamment des difficultés des relations extérieures de l’Union et des pays membres avec les régions qui les entourent.

Aussi, un rapide tour d’horizon, rappelant des évidences, n’est-il pas inutile.

Tout d’abord, en ce qui concerne le charbon pour lequel les Etats-Unis sont le fournisseur majeur dans le commerce international, il n’y a aucune crainte sur l’accès à la ressource, même si le prix est déterminé par l’équilibre entre l’offre et la demande sur le marché.

Le problème concerne donc le gaz naturel et le pétrole pour lesquels les principaux fournisseurs sont la Norvège, la Russie et l’Asie centrale, le Proche et le Moyen Orient, l’Afrique du Nord et certains pays de l’Afrique sub-saharienne.

La Norvège, pays démocratique stable et proche de l’Union ne présente aucun risque et contribue par conséquent à notre sécurité énergétique.

Plus complexe est évidemment le cas de la Russie, non pour le pétrole, car le marché pétrolier mondial existe et la Russie ne peut s’y comporter comme un perturbateur.

En matière gazière, peu de problèmes sont mentionnés en ce qui concerne Nordstream, le gazoduc reliant directement la Russie et l’Allemagne.

Les difficultés se concentrent donc autour de l’Ukraine et des approvisionnements Sud de l’Europe en gaz russe.

Deux remarques préalables à ce sujet :

 - Dans les frontières actuelles, l’Ukraine est une circonscription administrative de l’URSS érigée en Etat indépendant, un Etat composite qui comprend cinq régions : l’Ukraine subcarpathique anciennement tchécoslovaque, l’ancienne Galicie autrichienne, la région de Kiev noyau de l’ancienne Russie, le Donbass russe à l’Est et finalement la Crimée, cadeau de Khrouchtchev. Depuis son indépendance, cet Etat n’a jamais réussi à se gérer convenablement.

 - Vis à vis des ex-Etats de l’URSS et de l’Occident, la Russie de Poutine n’a jamais réussi à se comporter autrement que la Russie tsariste ou communiste. Elle est plus à l’aise dans les coups de force que dans les négociations. Par exemple, l’annexion de la Crimée par la Russie n’était pas illogique, mais elle a été réalisée par des méthodes qui rappelaient l’Allemagne de 1938.

Mais les Européens n’ont pas d’yeux pour leur propre comportement. Les Européens, à la traîne de G.W. Bush, ont suivi une politique qui s’efforçait de retirer de l’influence russe l’Ukraine, les pays du Caucase et pourquoi pas (dixit Bush) « les jeunes démocraties » d’Asie centrale, en déstabilisant complètement l’espace russe.

Face aux apparatchiks de type soviétique qui dirigeaient l’Ukraine, les Occidentaux ont attiré Kiev dans l’orbite européenne et contribué à la mise en place du Président Porochenko et d’un gouvernement élus, mais le gouvernement ukrainien commence à estimer que tout cela est un préalable à l’intégration de l’Ukraine dans l’Union européenne (et même dans l’OTAN). La Russie de son côté poursuit deux objectifs évidents : (1) maintenir l’influence de la Russie en Ukraine, car le pays - sauf à l’ouest- appartient à l’aire culturelle russe, (2) valoriser son gaz de manière stable et satisfaisante.

Compte-tenu du premier objectif, elle ne peut accepter l’intégration de l’Ukraine, ni dans l’OTAN, ni dans l’UE. Le second objectif conduit Gazprom à établir des liens avec les différentes zones intéressées par son gaz naturel. Elle a donc tenté de répondre aux besoins de gaz naturel de la Chine et de construire, avec la participation d’ENI et d’EDF, un gazoduc qui contournant l’Ukraine par le Sud, et atteignant l’Union européenne par la mer Noire.

Mais, sur ce sujet, la Commission s’arc-boute sur les traités : Gazprom ne peut posséder de gazoduc de transport sur le territoire de l’Union. Réponse de Gazprom : elle a abandonné South stream, prévoit de construire un gazoduc qui amène son gaz en Turquie et laisse les Européens prendre en charge le gaz sur le territoire turc ou aux bornes de l’Union.

Mais les événements récents ont confirmé que les Etats-Unis d’un côté et parmi les Européens, la France et l’Allemagne de l’autre, n’ont pas la même attitude à l’égard de la Russie. Pour des raisons de politique intérieure, Washington semble oublier les intérêts russes tandis que la plupart des Etats-membres de l’UE souhaitent rétablir avec la Russie et avec une Ukraine indépendante des relations normales notamment dans le domaine du gaz naturel.

Dans le même temps, l’UE cherche à obtenir de Gazprom des conditions d’approvisionnement qu’elle juge normale pour la couverture des besoins de l’Ukraine.

Il semble donc souhaitable que l’Europe défende ses intérêts spécifiques, tant vis à vis de la Russie que des Etats-Unis.

Abordons maintenant le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord.

Les relations extérieures de l’Europe y sont complexes, puisque selon les cas, les Etats-Unis mènent seuls le jeu, certains pays européens y interviennent en tant que tels avec une action plus ou moins indépendante, ou l’Union apporte un simple soutien à une politique occidentale. 

Sans revenir aux causes profondes, la situation actuelle est engendrée, dans cette région, par deux phénomènes :

 - l’invasion de l’Irak par l’armée américaine, invasion justifiée par un mensonge de Washington et suivie par l’élimination de Saddam Hussein,

 - la fausse interprétation des révolutions arabes par l’opinion publique des pays occidentaux qui les perçoivent comme une étape vers des démocraties.

Or, la suite des événements a montré la difficulté pour beaucoup de ces pays de trouver une troisième voie entre une dictature non religieuse et une domination de l’islamisme radical : la Libye sombrera dans l’anarchie (et certaines de ses régions rejoindront peut-être bientôt Daesh), après l’élimination de Kadhafi par l’aviation franco-britannique ; la chute de Moubarak a débouché sur une Egypte dominée par les Frères musulmans jusqu’à ce que se produise une contre-révolution proche du régime antérieur avec le Maréchal Al-Sissi ; le gouvernement irakien dominé par les chiites a éliminé les sunnites du pouvoir et provoqué, à la barbe des Américains, la révolte de Daesh ; le soutien aux démocrates syriens n’a pas ébranlé El Assad, mais lui a créé un ennemi djihaliste ; le Yémen est menacé de décomposition et de radicalisation. Seule, à la limite de la zone, la Tunisie a trouvé une voie démocratique modérée qui peut être stable, si son économie retrouve la prospérité.

Inutile d’ajouter des commentaires en introduisant les problèmes du Mali et du Nigéria pour constater que la politique américano-européenne à l’égard de la Russie, du Sud et de l’Est de la Méditerranée et de l’Irak, quel qu’en soit le bien fondé, a contribué à accroître l’insécurité énergétique de l’Europe.

Ce court éditorial suggère qu’à l’avenir l’Union européenne et les pays membres devraient mieux coordonner les aspects intérieurs et extérieurs de leur politique énergétique en fonction d’une vision plus réaliste de leurs intérêts. L’Union de l’Energie permettrait-elle d’intégrer cet objectif ?