Publié le 17/06/2017

Hans STARK, tribune parue dans le Huffington Post.

Dès l'été 1989, il comprend l'impact des premières fissures dans le Bloc de l'Est. Il aura cette phrase célèbre: "l'unité allemande et l'unité européenne sont les deux faces d'une même médaille".

Avec Helmut Kohl s'est éteint hier l'un des plus grands hommes politiques allemands de l'après-guerre. Il a dirigé la République fédérale pendant 16 ans et fut à l'origine de l'unification qui se situe exactement à mi-mandat de son long règne. Il entre dans l'histoire comme l'homme qui a su surmonter la division allemande et européenne, consolider l'amitié et la coopération entre la France et l'Allemagne (symbolisée par la poignée de main à Verdun en 1984) et, surtout, doter l'Europe d'une double union à la fois politique, puis économique et monétaire, dont l'euro est la traduction immédiate.

Largement sous-estimé lorsqu'il arrive au pouvoir en 1982, car peu à l'aise sur le plan rhétorique, doté d'un physique impressionnant, mais inélégant, parlant l'allemand avec un accent du Palatinat incompressible, il parvient non seulement à écarter tous ses rivaux internes, mais aussi très vite à tisser des liens et réseaux étroits dont il devient l'épicentre. Il met également en œuvre une politique économique de réformes libérales et de consolidation budgétaire qui permet à la RFA de renouer rapidement avec la croissance et la prospérité après les années de crise consécutives aux deux chocs pétroliers. Elle lui assure deux victoires électorales triomphales, en 1983 et 1987.

Sur le plan international, il fait preuve d'une souplesse et d'une grande intelligence.

Enfin, sur le plan international, il fait preuve d'une souplesse et d'une grande intelligence : il devient avec Mitterrand l'architecte de la relance de la construction européenne avec notamment la signature de l'Acte unique européen en 1986. De même, il impose à partir de 1983 aux Allemands récalcitrants le réarmement nucléaire conformément à la double décision de l'OTAN, avant de soutenir tout aussi activement la politique de désarmement nucléaire initiée par Gorbatchev. Il a su établir une entente étroite avec la Maison Blanche, tout en intensifiant les relations avec une France pourtant soucieuse de son indépendance par rapport aux Etats-Unis. Enfin, il a fait de l'Allemagne un pilier essentiel de l'Alliance atlantique et poursuivi en même temps l'œuvre de l'Ostpolitik* de ses prédécesseurs Brandt et Schmidt.

La confiance qu'il a su établir dans ses relations avec Mitterrand, Reagan et Gorbatchev lui sera indispensable pour réaliser l'unité allemande en 1990 que la chute du Mur de Berlin, le 9 novembre 1989 avait soudainement rendu possible. Kohl n'a pas été à l'origine de l'écroulement du Bloc de l'Est, mais avait sans doute su très vite en interpréter l'impact des premières fissures apparues en été 1989. Alors que la perspective d'une Allemagne réunifiée ne suscite guère d'enthousiasme en Europe, il mise alors sur le capital de son amitié avec François Mitterrand, du dialogue établi avec le Kremlin et de la confiance dont il bénéficie auprès du président Bush pour surprendre tout le monde en imposant lui-même le calendrier de l'unification allemande, menée à pas de charge et réalisée en moins d'un an. Helmut Kohl est donc à bien des égards l'architecte de l'unification allemande – même si l'unité allemande peine à se réaliser concrètement, tant les mentalités, les attentes et les valeurs des Allemands de l'Est et de l'Ouest divergent après quatre décennies de division. Aujourd'hui encore, bientôt trente ans après les faits et alors que le redressement économique de l'ex-RDA est une réalité indéniable, allemands de l'Est et de l'Ouest peinent parfois à se comprendre et continuent à vivre dans leurs mondes respectifs. Si Kohl a su effacer la division allemande, la fracture entre les deux anciennes Allemagne persiste encore dans les têtes.
 
Alors que la perspective d'une Allemagne réunifiée ne suscite guère d'enthousiasme en Europe, il mise alors sur son amitié avec François Mitterrand.

Toutefois, la méfiance à l'égard de la "nouvelle" Allemagne fut telle que Helmut Kohl n'avait pas d'autre choix que d'inscrire sa démarche dans une logique résolument pro-européenne. Aussi n'obtient-il l'accord de la France pour la réunification qu'en donnant des gages fermes pour le lancement des négociations en vue de la monnaie unique à laquelle Helmut Kohl n'avait pas été très favorable au moment de la chute du Mur de Berlin. Lui-même prononce alors la phrase célèbre selon laquelle "l'unité allemande et l'unité européenne sont les deux faces d'une même médaille". En témoigne alors le parallélisme entre les deux processus. L'année 1990 est celle qui voit à la fois la marche vers l'unification et l'ouverture des négociations entre les pays membres de la Communauté européenne en vue de la création d'une Union économique et monétaire. Le 3 octobre 1990 l'Allemagne se réunifie. A peine un an plus tard, lors du sommet de Maastricht de décembre 1991, les "Douze" adoptent le traité du même nom qui sera officiellement signé le 7 février 1992. Avec le Traité de Maastricht, les Douze acceptent des transferts de souveraineté substantiels en jetant les bases d'une monnaie unique pilotée par une Banque centrale indépendante, ainsi que d'une politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et d'une coopération accrue en matière de justice et d'affaires intérieures dont découlera l'accord de Schengen quelques années plus tard.

Le traité de Maastricht, qui représente le saut qualitatif le plus significatif de l'histoire de la construction européenne et qui ouvre tous les chantiers qui vont suivre, est à bien des égards le fruit du dialogue et de la coopération entre Kohl et Mitterrand et leurs équipes respectives. La France et l'Allemagne ont ainsi façonné l'ordre européen post-Guerre froide en mettant à la disposition des Européens une architecture institutionnelle à la fois politique et économique qui a permis en dépit des changements radicaux imposés par la fin de la Guerre froide de consolider l'intégration européenne voulue et créée par les pères fondateurs et d'ouvrir l'UE aux pays est-européens qui en étaient jusque-là exclus.

Il n'obtient l'accord de la France pour la réunification qu'en donnant des gages fermes pour le lancement des négociations en vue de la monnaie unique.

Il s'agit d'une œuvre titanesque qui n'est cependant pas achevée. L'Europe dispose d'une monnaie unique, mais les politiques économiques sont restées du ressort des Etats membres. Les pays membres se sont dotés d'une politique de défense et de sécurité commune, mais les armées sont restées nationales et les divergences sur les grands dossiers géopolitiques persistent (Yougoslavie, Irak, Libye, Russie, Afrique...). L'Europe bénéficie d'un marché unique, mais les différences de richesse, de prospérité, de compétitivité ou de politique sociale demeurent, voire s'accentuent. L'Europe s'est ouverte à l'Est, mais les divergences et les incompréhensions entre la "vieille" et la "nouvelle" Europe sont toujours d'actualité.

Voyant son "œuvre" se fissurer, la poursuite de la construction de la cathédrale européenne s'arrêter, Helmut Kohl n'avait pas hésité ces dernières années à prendre la plume pour mettre les Européens en garde (et les Allemands avant tout) contre les risques d'une "déconstruction" européenne. Il nous quitte, espérons-le, au moment où, en France, une nouvelle génération de bâtisseurs accède au pouvoir, ce dont il a été conscient.

* La normalisation des relations vers les pays du bloc de l'Est (NDLR)

Lire l'article sur le site du Huffington Post [1].