Publié le 03/08/2018

Michel CRUCIANI, interviewé par Brigitte Bornemann pour Energies de la mer

Le développement de l’éolien en mer du Nord dépendra-t-il également des interconnections entre pays européens ? Cette semaine a encore été marquée en France par les énergies marines hydroliennes qui ont « alimenté » le flux de l'actualité. La synthèse hebdomadaire qui sera publiée ce soir le démontra une nouvelle fois. Mais, il conviendrait de ne pas oublier que la restructuration des sociétés et les accords entre pays européens pour la gestion des réseaux de distribution d’électricité et le développement de l’éolien en mer sont intimement liés.

EDM - En 2009, lors du sommet de Copenhague, les ministres de l'Energie de neuf pays européens (Grande-Bretagne, Allemagne, France, Pays-Bas, Suède, Danemark, Belgique, Irlande et Luxembourg) ont signé, un accord pour construire un réseau de lignes à haute tension en mer du Nord et en mer d'Irlande, qui reliera les parcs éoliens offshore dont la construction se multiplie dans cette zone. 

Où en sont ces accords aujourd'hui ?

Michel Cruciani - L'accord de 2009 exprimait la volonté des signataires de se doter d'une base de connaissances communes. Dans son prolongement, trois groupes de travail ont été institués ; ils ont rendu leurs conclusions entre 2011 et 2014. Une conférence organisée le 23 Octobre 2015 a relancé le processus et conduit à une déclaration politique des pays concernés le 6 Juin 2016, établissant un nouveau programme de travail pour la période 2016 – 2019. En dehors de la participation, sur une base purement volontaire, aux études communes, cette déclaration ne crée aucun engagement pour les signataires.

 

Le Royaume-Uni, dispose déjà d’interconnexions électriques avec la France, l’Irlande et les Pays-Bas. En mars 2015, National Grid et son homologue belge, Elia, ont signé un accord portant sur la construction d’un autre câble sous-marin (de 1.000 MW de capacité) pour relier la Belgique au Royaume-Uni. Deux autres projets ont été signés avec RTE pour la France (façade Manche) et avec le Danemark. Les interconnections entre National Grid et le norvégien Statnett pour le projet NSN(2), seront opérationnelles en 2021.

Pensez-vous que le Royaume-Uni sera la plate-forme d'échange des interconnections énergétiques des pays de la mer du Nord ?

 

Michel Cruciani - Le Royaume Uni détenait 53 % des capacités éoliennes offshore installées en Europe à fin 2017, et cette seule donnée suffirait à justifier un développement des interconnexions, car toutes les énergies à caractère variable requièrent une haute densité de réseau pour offrir des conditions d'exploitation optimales. Une seconde raison explique que plusieurs pays souhaitent renforcer leurs liaisons avec la Grande Bretagne : le prix de l'électricité sur les marchés de gros y atteint souvent un niveau plus élevé que sur le continent. Dans ces deux cas, le Royaume Uni ne constitue donc pas un pays de transit, mais de départ ou d'arrivée du courant. Cependant, le Brexit crée des incertitudes nouvelles. Plusieurs des interconnexions prévues devaient bénéficier d'aides communautaires au titre des Projets d'Intérêt Commun ; ces aides seront-elles maintenues après le départ du Royaume Uni ? Ce pays acceptera-t-il toujours les règles communautaires qui s'appliquent à la gestion des interconnexions, et dans la négative, quels seront les tarifs d'utilisation des liaisons ? Faute d'accord, l'électricité produite en Grande Bretagne menacerait l'indépendance énergétique de l'UE au même titre que le gaz produit en Russie…

 

Est-ce que l'Europe de l'énergie se construit à travers les parcs éoliens offshore ?

Michel Cruciani - Le gisement offshore de Mer du Nord offre effectivement un terrain propice à une politique commune. Jusqu'à présent, le cadre commun est resté relativement vague, se bornant pour l'essentiel à imposer des appels d'offres avant l'attribution des aides. Toutes les autres décisions, y compris les modalités pratiques de ces appels d'offres, demeurent au niveau national. Pour atteindre le niveau d'intégration que la Commission définit par "L'Union de l'Energie", il conviendrait que les futures réalisations associent plusieurs Etats, et notamment des Etats non riverains de la Mer du Nord. Le "Paquet Energie Propre" encourage ces formes d'association, mais il semble peu probable que les pays qui ont pris de l'avance ouvrent leurs rivages à des projets conjoints avec des partenaires plus lointains et moins expérimentés. Sur le plan industriel en revanche, de nombreux opérateurs qui ont débuté dans l'offshore de Mer du Nord ont maintenant acquis une envergure européenne, voire mondiale.

 

Lire l'interview sur le site d'Energies de la mer [1]