Publié le 19/09/2018

Matthieu TARDIS, cité par Anthony Berthelier sur le Huffpost

Les chefs d'Etat et de gouvernement européens se sont réunis à Salzbourg après un été marqué par un bras de fer diplomatique sur l'accueil des réfugiés.

La solution de la désunion? Les 28 chefs d'Etat et de gouvernement européens se sont réunis ces mercredi 19 et jeudi 20 septembre à Salzbourg pour un sommet européen largement consacré à la crise migratoire. Si la rencontre autrichienne se voulait "informelle" et n'a pas débouché sur de grandes annonces, elle devait surtout permettre aux États membres de préparer le terrain des mois à venir en jetant les bases, notamment, d'une nouvelle politique migratoire européenne.

Peu de progrès ont été faits durant la pause estivale pour concrétiser les projets de "centres contrôlés" en Europe, ou de "plateformes de débarquement" hors de l'Union. Et après un été de bras de fer diplomatiques en Méditerranée autour de navires transportant des migrants, auxquels l'Italie refuse d'ouvrir ses ports, la France et l'Allemagne entendent désormais pousser vers une nouvelle approche basée sur une sorte de solidarité à la carte.

"Le président de la République et la chancelière allemande sont prêts à ne pas obliger les pays à respecter les quotas", résume l'Élysée qui dit vouloir s'adapter au refus catégorique de certains pays de l'Union d'accueillir des réfugiés. "L'Europe n'est pas un menu à la carte", a d'ailleurs lancé Emmanul Macron aux pays en question lors de son discours à l'issue du sommet, ce jeudi 20 septembre.

Créée en 2015, au plus fort de la crise, la répartition des migrants au sein des États membres en fonction de leur PIB et de leur population n'a pas été une grande réussite, la majorité des pays - dont la France - ne respectant pas leurs engagements.

 

À la recherche d'une solution pérenne

Cette approche pourrait donc être officiellement abandonnée dans les discussions futures au profit d'un accueil fondé sur le volontariat. Une sorte de pérennisation des accords trouvés à l'arraché entre une extrême minorité d'États membres de l'UE lors des errances de l'Aquarius ou du Lifeline en Méditerranée, et qui pourrait au final développer de nombreux effets pervers.

À en croire l'Élysée, le couple franco-allemand souhaite proposer un accord fondé sur "le principe non négociable de solidarité" mais pouvant prendre plusieurs formes. Ainsi, un État qui n'accueillerait pas de réfugiés sur son territoire devra apporter son aide d'une autre manière, en finançant par exemple l'agence européenne de garde-frontières Frontex ou en prenant temporairement en charge des migrants.

"On peut discuter de plusieurs paramètres, mais pas du principe de solidarité. Cela marche dans les deux sens. Il est normal d'aider les pays pour leur agriculture, leur infrastructure, mais chacun doit prendre sa part en fonction de ses capacités", explique l'Élysée.

Un mécanisme qui découlerait de la solution franco-maltaise trouvée en août après la nouvelle errance du bateau de secours Aquarius. À l'initiative des deux pays, plusieurs gouvernements (espagnol, portugais, allemand, luxembourgeois) s'étaient mis d'accord pour se répartir les migrants débarqués à Malte après plusieurs jours de blocage.

"C'est dans la continuité. (...) Les États n'arrivent pas à s'entendre sur la réforme de Dublin, alors la France et l'Allemagne font des concessions" en abandonnant le système de quotas, estime le chercheur Matthieu Tardis au HuffPost.

Mais pour Sophie Beau, la directrice générale de SOS Méditerranée France, cette officialisation du système d'accueil irait "dans le bon sens." Et même si elle ne souhaite pas en dire plus tant que les discussions n'ont pas avancé, elle presse les autorités publiques à "sortir" des solutions au coup par coup.

 

"Un danger pour l'Union européenne"

Mais à quel prix? "On dit que l'Europe se construit dans les difficultés, mais elle pourrait bien se déconstruire dans celles-ci", estime Matthieu Tardis, spécialiste des questions migratoires à l'Ifri, qui parle de "crise de gouvernance" plutôt que de "crise migratoire." Pour le chercheur, un tel accord différencié irait à l'encontre des principes mêmes des pères fondateurs de l'Union européenne qui prévoyaient un processus irréversible d'intégration. "C'est une rupture avec cette idée qu'on allait forcément vers plus d'Europe" estime-t-il avant de déplorer "la victoire" des pays du groupe de Visegrad, dont la Hongrie de Viktor Orbán, fermement opposés à l'accueil des migrants.

Car une telle solution montre le déficit de vision à long terme de l'Union européenne dans la gestion de l'accueil des migrants. Minées par les enjeux politiques nationaux, les discussions à 27 ne pourront aboutir qu'à une stratégie à court ou moyen terme "dont personne ne sortira gagnant", tranche Matthieu Tardis.

D'un côté, la nouvelle approche de solidarité "à la carte" permettrait de codifier l'accueil des migrants entre pays volontaires et ainsi sortir momentanément du blocage exercé par le groupe de Visegrad. Mais de l'autre, elle pourrait encourager la sélection arbitraire des réfugiés et la loi du plus fort. En plus de créer une solidarité disparate, elle pourrait en outre engendrer des inégalités au sein même des pays favorables à l'accueil des migrants. Cet été "la France a choisi les réfugiés qu'elle voulait accueillir, en ne prenant que des personnes éligibles au droit d'asile. Le Portugal en a pris lui aussi, mais sans forcément faire de distingo", illustre Matthieu Tardis.

Outre ces inégalités entre les États, le chercheur estime que le mécanisme envisagé par les dirigeants européen représente un "danger" pour l'Union elle-même. L'UE gagnerait plutôt à "réaffirmer et garantir" ses grands principes pour garder son poids sur la scène internationale. "On a bien du mal à dénoncer les dérives du régime turc sachant que l'Union européenne a passé un accord avec les dirigeants qui permet de reconduire les migrants illégaux sur leur sol et ainsi endiguer une partie du flux migratoire", explique le spécialiste qui regrette de voir une Union européenne "pieds et poings liés."

Un tableau noir que veulent éviter les États membres favorables à cette organisation, conscients des effets pervers que peut engendrer la stratégie de solidarité à la carte. Pour l'entourage du président de la République, pas question que ce principe différencié ne se résume pour certains États à signer un chèque à chaque nouvelle arrivée de navire de secours dans les eaux méditerranéennes.

D'autant que cette "politique à la carte" a déjà posé problème au sein de l'Union européenne, sur d'autres domaines que l'accueil des réfugiés. Outre l'épineuse question migratoire, le dossier chaud du Brexit sera également sur la table. Comme pour la question de l'accueil des réfugiés, les discussions autour des modalités de la sortie des Britanniques de l'Union européenne patinent.

  • Pour Matthieu Tardis, l'exemple du Royaume-Uni, première nation à bénéficier d'une politique à la carte au sein de l'UE, montre bien que les stratégies différenciées n'apportent pas de bonnes réponses à long terme et peuvent représenter un risque de désunion.

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