Publié le 01/04/2019

Olivier APPERT, cité par Frédéric de Monicault dans Le Figaro

En 2018, le groupe pétrolier saoudien a enregistré des résultats cinq fois supérieurs à ceux de Shell.

Saudi Aramco lève enfin une partie du voile sur ses comptes. Et ils sont démesurés. Le géant pétrolier saoudien a enregistré un résultat net de 111,1 milliards de dollars au titre de l’exercice 2018, ce qui en fait la société la plus profitable au monde. Ses bénéfices sont cinq fois supérieurs à la première des « majors », l’anglo-néerlandais Shell et ses 23,4 milliards de dollars affichés l’année dernière. Et presque deux fois supérieur à un mastodonte comme Apple, si souvent cité en exemple pour sa réussite. Avec cette seule donnée mise en exergue (le chiffre d’affaires reste inconnu), divulguée lundi par l’agence de notation Moody’s, Saudi Aramco fait entrer le pétrole, et les entreprises en général, dans une nouvelle dimension.

La compagnie pétrolière saoudienne, qui ne publie traditionnellement pas ses performances, y est cette fois contrainte pour procéder à une émission obligataire destinée au rachat de son compatriote Sabic, spécialisé dans la pétrochimie, pour 69,1 milliards de dollars. Un certain nombre d’informations comptables, mais pas toutes, ont ainsi été transmises aux organismes requis.

Si impressionnante soit-elle, la profitabilité du géant pétrolier saoudien ne surprend pas les spécialistes. « Ses coûts de production ne dépassent pas une poignée de dollars par baril car en Arabie Saoudite, le pétrole est très facilement accessible. Avec un brut qui se vend aujourd’hui autour de 70 dollars, on se rend compte de l’importance de la marge, souligne Olivier Appert, conseiller auprès du centre énergie de l’Institut français des relations internationales (Ifri). Pour les “majors”, c’est tout le contraire : leur marge ne dépasse pas quelques dollars, avec non seulement des dépenses d’extraction beaucoup plus lourdes mais aussi le poids de la fiscalité pétrolière à laquelle il faut faire face. »

Chef de file de l’Opep

L’avantage concurrentiel de Saudi Aramco est parti pour durer : les réserves du royaume, propriétaire de la compagnie, sont parmi les plus importantes dans le paysage pétrolier mondial, estimées à plus de 260 milliards de barils. « La société n’est pas seulement assise sur des gisements hors-norme, elle fonctionne également de manière très efficace, poursuit Olivier Appert. Ses cadres sont formés dans les meilleures universités aux États-Unis et, contrairement aux autres grandes compagnies nationales dont le management évolue sans arrêt au gré des vicissitudes politiques, Saudi Aramco bénéficie d’une continuité du management. » Avec une production d’environ 10 millions de barils, l’Arabie saoudite est le chef de file incontesté de l’Opep, dont les livraisons s’élèvent à environ 35 millions de barils par jour (mbj). À l’échelle mondiale, elle représente environ 10 % de la production, au coude à coude avec les États-Unis et la Russie.

Avant le rachat de Sabic, un long feuilleton s’est déroulé autour des informations financières de Saudi Aramco. Début 2016, le vice-prince héritier Mohammed Ben Salman (MBS) ouvre la porte à une mise en Bourse d’une partie du capital. Aucun seuil précis n’est évoqué, « simplement une proportion appropriée ». Mais aucune procédure n’est engagée.

Mise en Bourse retardée

Deux ans plus tard, à l’automne 2018, « MBS » reprend la parole pour annoncer une entrée sur le marché d’ici fin 2020-début 2021, en valorisant la société au-dessus de 2000 milliards de dollars. Échaudée, la communauté financière a d’autant moins réagi que l’échéance est encore lointaine.

« Avant même de s’interroger sur les modalités d’une telle opération, il faut se pencher sur sa véritable finalité, commente Clément Le Roy du cabinet de conseil Wavestone.Quand on cherche à s’adosser au marché, c’est pour dégager des ressources supplémentaires. Or Riyad dispose largement de quoi financer ses investissements. À la limite, la Bourse serait davantage une source de contraintes pour Saudi Aramco, avec l’obligation de communiquer sur sa stratégie et de donner des informations. » Les investisseurs seraient alors en droit de questionner la nature des liens entre la compagnie et l’État saoudien, la première étant le bras armé de la politique budgétaire du pays.

Mais on peut lire aussi le scénario d’une mise sur le marché comme un souci accru de diversifier ses activités autant que ses horizons. « L’Arabie saoudite n’est plus mono-énergie : sa réflexion embrasse désormais beaucoup d’autres sources de production, même si cela ne se vérifie pas encore dans les faits, ajoute Clément Le Roy. Au même titre que les grands groupes chinois, Saudi Aramco est à l’affût d’opportunités pour continuer à croître. » En attendant, l’Arabie saoudite a déjà lancé un programme pour produire moins d’électricité avec du pétrole.

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