Publié le 31/07/2019

Corentin BRUSTLEIN, cité par Romain Rosso dans l'Express

La fin du traité américano-russe sur les armes de moyenne portée ouvre la voie à une reprise de la course aux armements.

Ce n’est pas un film hollywoodien sur la fin du monde. Le scénario qui se joue cet été n’en reste pas moins catastrophe. A partir du 2 août, la communauté internationale va devoir vivre dans une nouvelle ère nucléaire. Sauf revirement de dernière minute de Donald Trump, les Etats-Unis devaient se retirer effectivement du traité sur les forces nucléaires intermédiaires (FNI), comme le président américain l’a décidé le 2 février. Cet accord bilatéral, signé en 1987 par Washington et Moscou - alors soviétique -, abolit la production et l’usage des missiles terrestres d’une portée comprise entre 500 et 5 500 kilomètres. Or les Américains ont accusé les Russes d’avoir violé le traité en développant un missile, le 9M729 (ou SSC-8 selon la classification de l’Otan). Vladimir Poutine a aussitôt répliqué en suspendant également la participation de son pays à cet accord. Sa décision, approuvée par le Parlement russe, a été ratifiée le 3 juillet. Rien, désormais, n’empêche les deux grandes puissances de lancer des programmes d’armement jusqu’alors interdits. Dès août, le Pentagone a ainsi prévu de tester un missile terrestre d’une portée de 1000 kilomètres. Si l’essai est concluant, il pourrait être déployé dans un délai de dix-huit mois. En novembre, l’armée américaine devrait aussi tester un second type de missile, balistique celui-ci, capable d’atteindre une cible entre 3000 et 4000 kilomètres de distance. Son développement devrait toutefois prendre au moins cinq ans. Quant à l’actuelle posture nucléaire américaine, rendue publique en 2018, elle évoque la mise au point d’un missile nucléaire de faible puissance qui pourrait être employé sur le champ de bataille.

DRONES SOUS-MARINS ET MISSILE HYPERSONIQUE

Vladimir Poutine s’est, lui, donné deux ans pour produire de nouveaux mis siles terrestres, en adaptant notamment son Kalibr naval, utilisé pour la première fois en Syrie. D’autre part, en mars 2018, le Kremlin a dévoilé des armes présentées comme « capables de frapper n’importe quel point du globe » : un missile intercontinental, des drones sous-marins à tête nucléaire, un missile hypersonique d’une portée de 4 000 kilomètres, de petites ogives nucléaires pouvant équiper des missiles de croisière et une arme laser.

  • « Ces programmes sophistiqués s’inscrivent dans un contexte de modernisation des forces nucléaires russes, souligne Corentin Brustlein, de l’Institut français des relations internationales. Cet arsenal a vocation à rendre inopérant le bouclier antimissile que les Américains ont commencé à installer à l’est de l’Europe, et que les Russes perçoivent comme une menace. »

Après avoir vécu à l’abri de ces armes pendant trois décennies, l'Europe s’inquiète. Et pour cause. En juillet, le secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg, a reconnu que les « défenses actuelles ne sont pas en mesure d’abattre un missile de croisière tiré depuis laRussie ». L’Alliance atlantique a donc décidé de renforcer sa défense antimissile. D’autres mesures ont été prises, dont le détail n’a pas été révélé. Toutefois, l’Otan a indiqué qu’elle n’avait pas l’intention de déployer de nouveaux missiles armés de têtes nucléaires en Europe. Pour Nicolas Roche, ancien directeurdes affaires stratégiques, de sécurité et du désarmement au ministèredes Affaires étrangères, auditionné le 20 mars par la commission de la Défense de l’Assemblée nationale, le danger n’est pas tant militaire que politique. Le déploiement du 9M729 ne constitue pas en tant que tel un « bouleversement stratégique », analyse cet expert, mais un développement « problématique pour la sécurité et la défense de l’Europe ». La situation est préoccupante car elle présente un risque de « double découplage » en cas de conflit, c’est-à-dire de divisions entre Européens, d’une part, et entre les deux rives de l’Atlantique, d’autre part. « Nous, Européens, devons donc réapprendre la grammaire stratégique et nucléaire, afin d’être un acteur et non un spectateur de notre propre sécurité », relève Nicolas Roche. Dans un monde qui se réarme, avec des régimes nord-coréen ou iranien qui veulent accéder à la bombe, les Européens apparaissent comme les derniers à vouloir préserver des traités de désarmement.

RENÉGOCIER UN TRAITÉ EN INCLUANT PÉKIN

Cette crise, qui fragilise les rela tions déjà tendues entre l’Europe et l’Amérique de Trump, illustre l’affaiblissement des mécanismes de maîtrise des armements hérités de la guerre froide. De cette architecture, il ne reste plus que le traité New Start, qui limite le nombre d’ogives de longue portée et inclut des règles de transparence réciproque. Or la fin du FNI compromet la reconduction de ce texte, qui expire en 2021. En juin, Moscou et Washington ont entamé des consultations. Mais la Russie, qui affiche son intention de le prolonger, insiste pour y inclure la défense antimissile et les armes conventionnelles de longue portée. Une demande refusée par les Etats-Unis. La priorité actuelle de l’administration américaine est plutôt de renégocier un traité FNI en incluant la Chine, devenue un compétiteur. Depuis plusieurs années, le Pentagone s’inquiète du déséquilibre entre les arsenaux balistiques et de croisière chinois et les moyens américains dans la région. Selon Washington, 95 % des quelque 2 000 missiles chinois sont de portée intermédiaire. Pékin a refusé de signer un tel accord, qui impliquerait l’abandon d’une part importante de cet arsenal. « Impensable, dans le contexte actuel », souligne Nicolas Roche.

  • « La posture de la Chine est de ne rien communiquer, que ce soit sur la taille de son arsenal, la modernisa tion de ses vecteurs ou ses capacités de production de matières fissiles », ajoute Corentin Brustlein.

A terme, le Pentagone envisage de déployer sur l’île américaine de Guam, dans le Pacifique ouest, le missile de moyenne portée qui doit être testé en novembre. Le territoire chinois serait à sa portée...