Publié le 28/09/2021

Matthieu TARDIS, cité par Paul Véronique dans L'Express

Le gouvernement français a annoncé ce mardi durcir les conditions d'obtention de visas pour l'Algérie, le Maroc et la Tunisie. Rabat déplore une décision "injustifiée". C'est une décision drastique, c'est une décision inédite, mais c'est une décision rendue nécessaire par le fait que ces pays n'acceptent pas de reprendre des ressortissants que nous ne souhaitons pas et ne pouvons pas garder en France", justifie Gabriel Attal. 

L'exécutif montre ses muscles, mais pas sans arrière-pensées. Invité ce mardi matin sur Europe 1 [1], le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal a annoncé que la France allait durcir les conditions d'obtention des visas à l'égard de pays du Maghreb. "C'est une décision drastique, c'est une décision inédite, mais c'est une décision rendue nécessaire par le fait que ces pays n'acceptent pas de reprendre des ressortissants que nous ne souhaitons pas et ne pouvons pas garder en France", a-t-il justifié, confirmant une baisse à venir de 50% du nombre de visas délivrés pour les habitants du Maroc et de l'Algérie et de 33% pour ceux de la Tunisie.

En cause, le "refus" des autorités de délivrer des laissez-passer consulaires, condition sine qua non au retour dans leur pays des immigrés refoulés par l'Hexagone.

  • "Pour qu'un Etat comme la France puisse renvoyer un étranger dans son pays, il faut que le pays en question le laisse rentrer. Pour cela, il doit le reconnaître comme l'un de ses ressortissants, en délivrant un laissez-passer consulaire. Mais dans beaucoup de pays, ces documents ne sont pas délivrés", détaille Matthieu Tardis, chercheur à l'Institut français des relations internationales (IFRI), spécialiste des migrations. 

D'après les chiffres du ministère de l'Intérieur communiqués à l'Agence France-Presse ce mardi, seules 22 expulsions vers l'Algérie ont pu être effectuées entre janvier et juillet 2021, sur un total de 7731 obligations de quitter le territoire français (OQTF) prononcées par la justice, soit un taux d'exécution de 0,2%. Pour le Maroc ce taux a été sur la même période de 2,4% et de 4% pour la Tunisie.

Une décision qui interroge 

Selon le porte-parole du gouvernement, de premières négociations ont eu lieu dès 2018 entre des officiels français et leurs homologues étrangers pour débloquer la situation, sans succès. "Il y a eu un dialogue, ensuite il y a eu des menaces. Aujourd'hui on met cette menace à exécution", a martelé Gabriel Attal à l'antenne. En juin, Emmanuel Macron avait déjà convoqué une réunion à l'Elysée avec le Premier ministre, le ministre de l'Intérieur, et le ministre des Affaires étrangères, pour demander des mesures "opérationnelles très rapidement" permettant davantage d'expulsions. Au début de son quinquennat, le chef de l'Etat avait notamment promis un taux d'exécution des reconduites à la frontière de 100%.

Difficile toutefois de ne pas voir dans cette annonce un signal envoyé à sa droite à sept mois de l'élection présidentielle. "Aujourd'hui le gouvernement joue le bâton, mais cela faisait de nombreuses années que des discussions avaient lieu sur ce sujet entre la France et les pays du Maghreb. Il me semble donc difficile de ne pas voir de liens entre cette décision soudaine et le fait que l'élection présidentielle se rapproche", estime Virginie Guiraudon, directrice de recherche au CNRS spécialiste des questions migratoires.

Une analyse que l'on a aussi retrouvée dans la bouche de certains responsables politiques de droite. "Je salue la décision d'Emmanuel Macron de limiter les visas en provenance du Maghreb. C'est fou comme les problèmes sont de plus en plus faciles à régler à mesure que la présidentielle approche...", a notamment lancé sur Twitter [2] le sénateur LR Bruno Retailleau ce mardi matin.


D'après un sondage Elabe pour BFMTV [3] publié le 22 septembre, l'immigration arrive à la seconde place des thèmes les plus importants pour les Français en vue de 2022. 13% des personnes interrogées en font leur priorité, derrière le pouvoir d'achat (18%), mais devant la sécurité et l'environnement (9% respectifs). Il va sans dire que la question migratoire a bénéficié ces dernières semaines d'une place de choix dans le débat public, sous l'impulsion d'Eric Zemmour [4], qui entretient toujours le suspense autour d'une possible candidature et dont c'est le principal cheval de bataille. 

Contexte déjà tendu

Reste à voir la manière dont sera reçue cette annonce dans les pays concernés. Pour l'heure, seul le Maroc a publiquement réagi, dénonçant par la voix de son chef de la diplomatie Nasser Bourita une "décision injustifiée". Celle-ci intervient dans un contexte déjà tendu entre Paris et Rabat depuis l'affaire Pegasus, un logiciel espion israélien que le royaume est accusé d'avoir utilisé pour surveiller plusieurs responsables politiques français dont Emmanuel Macron. En parallèle, la relation n'est guère plus encourageante avec Alger et Tunis, tandis que la question mémorielle continue d'empoisonner les rapports avec l'Algérie et que le coup de force en Tunisie du président Kaïs Saïed suscite l'inquiétude de Paris.

  • "Au-delà du fait qu'on peut douter que cette mesure aura réellement un effet sur les reconduites à la frontière, on peut aussi craindre qu'elle vienne brouiller un peu plus les relations entre la France et ces trois pays. Ce qui pourrait avoir une conséquence sur la coopération qu'ils entretiennent avec l'Union européenne en matière de contrôles migratoires", juge Matthieu Tardis.

En mai dernier, les villes autonomes espagnoles de Ceuta et Melilla (situées sur la côte nord de l'Afrique) avaient ainsi connu des vagues migratoires de plusieurs milliers de personnes à la suite d'une crise diplomatique avec le Maroc.

Lire l'article sur le site de L'Express [5]