Publié le 15/11/2021

Marc JULIENNE, interrogé par Margot Davier pour Libération.

Cet entretien apparaît comme un signe de réchauffement non négligeable, selon Marc Julienne, responsable des activités Chine à l’Institut français des relations internationales (Ifri) et spécialiste des relations entre les Etats-Unis et la Chine.

Que faut-il attendre de cette réunion ?

Depuis l’arrivée au pouvoir de Joe Biden en janvier, les deux présidents se sont à peine parlé. Trois fois avec la rencontre de ce lundi. Et ces derniers mois ont été extrêmement tendus, sur le plan politique en Asie-Pacifique avec diverses annonces faites par Aukus (alliance entre les Etats-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie dans la région). Début octobre, les tensions se
sont encore accrues dans le détroit de Taiwan, avec d’un côté la montée en puissance des opérations aériennes chinoises et de l’autre la multiplication des exercices militaires navals menés par les Américains.Donc la bonne nouvelle, finalement, c’est que cette réunion ait effectivement lieu ! Elle était prévue depuis un moment, sans qu’aucune date, aucun agenda ne soient annoncés, malgré la promesse de tenir un sommet avant la fin de l’année. Même si rien n’en ressort, le signal positif envoyé au monde entier, c’est que les deux chefs d’Etat semblent disposés à revenir à la table des négociations et à reprendre des discussions à un niveau interministériel par la suite sur des questions plus précises.

Quels sont les dossiers les plus brûlants ?

Le principal différend, au sommet de la liste, concerne Taiwan. La Chine a accentué sa coercition militaire, économique et politique. Dans une sorte de cercle vicieux, les Etats-Unis réagissent à chaque action chinoise en affirmant un peu plus leur soutien à Taiwan. Il s’agit pour le moment d’une escalade politique avec des gesticulations militaires, mais le contexte demeure quand même inquiétant. Un début de désescalade à envisager serait un accord sur la réduction des opérations aériennes chinoises et l’arrêt des manoeuvres militaires américaines. Mais je doute que cela soit signé en visioconférence, et cela représenterait une concession importante pour la Chine.

Pour les officiels chinois, Taiwan constitue une ligne rouge, parce que considéré comme une affaire intérieure. Ainsi, en cas de déclaration d’indépendance, les Etats-Unis enverraient des troupes militaires, tandis que la Chine irait au conflit. Du moins, c’est ce qu’elle veut faire croire. Car, en même temps, ni la Chine ni les Etats-Unis n’ont vraiment envie de déclencher une guerre potentiellement mondiale dans le Pacifique. Donc les deux parties risquent de réitérer leurs positions officielles, qui sont les mêmes depuis des décennies : la Chine répondra à toute provocation sur la question taïwanaise et les Etats-Unis refusent tout changement unilatéral du statu quo, soit une invasion chinoise de Taiwan ou une déclaration d’indépendance. Mais quand la Chine franchit la ligne de démarcation du détroit de Taiwan, on peut l’interpréter comme une contestation du statu quo.

La question commerciale apparaît aussi comme un enjeu essentiel, d’autant qu’elle pose problème aux deux parties. En menant une guerre commerciale contre la Chine, les Américains tentent de faire pression. Mais les entreprises américaines finissent aussi par en subir les conséquences, en ne pouvant exporter vers la Chine.

Je doute qu’il y ait la moindre avancée en la matière, mais la crise dessemi-conducteurs est cruciale. Derrière les enjeux commerciaux, la question technologique est considérée comme la voie royale pour occuper la première place mondiale. Pour l’instant, les Etats-Unis dominent, mais les Chinois n’ont pas caché leurs ambitions. C’est l’un des objectifs 2049 de Xi Jinping. La compétition stratégique s’applique à tous les domaines, mais la question technologique demeure la priorité des deux parties. Et Taïwan est l’une des industries de pointe dans le domaine des semiconducteurs, ce qui en fait un enjeu économique pour tout le monde.

Les relations entre la Chine et les Etats-Unis se sont dégradées durant le mandat de Donald Trump. Joe Biden pourrait-il oeuvrer à l’apaisement ?

Trump a à la fois fait n’importe quoi et a quand même réussi à signer la phase 1 d’un accord commercial avec la Chine. Tout en imposant des sanctions, il a un petit côté dealmaker. Mais il y a une continuité entre les deux administrations américaines sur la manière de percevoir la Chine comme le danger numéro 1 face à la puissance américaine. Le premier rival, le compétiteur principal, celui auquel il faut consacrer le plus d’efforts pour ne pas se faire rattraper dans la compétition stratégique internationale, c’est la Chine ! Trump a imposé des sanctions, mais Biden ne les a pas retirées, bien au contraire, il en a ajouté, particulièrement sur les entreprises numériques.

D’ailleurs, les premières relations entre Joe Biden et son homologue chinois ont été tumultueuses. Rappelons-nous du sommet d’Anchorage, en Alaska, en mars, qui était particulièrement conflictuel. Certains observateurs évoquaient une situation de confrontation entre les deux grandes puissances mondiales. Là, on pourrait imaginer une inflexion du côté américain, dans le but de nouer une relation plus apaisée.

Le vocabulaire employé par les Américains est assez parlant, en témoigne l’expression de «coexistence durable». Celle-ci est largement usitée par le conseiller à la sécurité nationale de Biden, Jake Sullivan. Les deux parties évoquent aussi une «compétition», mais tout le monde a l’air de dire que celle-ci est pacifique, juste, équitable même.

Reste qu’à Pékin, beaucoup pensent que les Etats-Unis veulent renverser le gouvernement chinois, et sont persuadés que les Américains se cachent derrière toutes les manifestations pour installer des démocraties capitalistes. Les Chinois répètent depuis des années que les Etats-Unis sont dans une logique de guerre froide et n’en démordent pas. Les officiels américains le nient.

 

> Retrouver l'entretien dans son intégralité sur le site de Libération [1].