Publié le 08/04/2022
Emmanuel Macron à l'université de Ouagadougou, 28 novembre 2017

Sina SCHLIMMER, interview  par Marlène Panara pour Le Point Afrique

À la veille de la présidentielle, quel bilan tirer de son mandat pour le continent africain ? Éléments de réponse avec Sina Schlimmer, chercheuse à l’Ifri.

Le 28 novembre 2017, à l'université de Ouagadougou, Emmanuel Macron avait affiché sa volonté d'un dialogue « direct » et « décomplexé » avec les sociétés civiles, en rupture avec la Françafrique. Durant son mandat, le président a régulièrement pris le contre-pied de ses prédécesseurs, fustigeant la période désormais révolue, selon lui, de la Françafrique. Privilégier le dialogue avec la société civile et la jeunesse africaines plutôt qu'avec ses dirigeants : l'exercice était, dans sa forme, inédit.

Mais la réalité des relations entre le continent et la France s'est rapidement rappelée à lui. Sur le volet sécuritaire, d'abord. En effet, malgré l'opération Barkhane et le soutien de Paris au G5 Sahel, la situation n'a fait que s'enliser. Jusqu'au retrait des troupes françaises, acté le 17 février dernier, remplacées par des agents de la société privée russe Wagner.

Politiquement, ensuite. Ardent défenseur d'une relation renouvelée avec l'Afrique, Emmanuel Macron s'est pourtant affiché, tout au long de son mandat, avec ses chefs d'État controversés. Le président français n'a, par exemple, pas hésité à chaudement féliciter le fils du défunt président Idriss Déby Itno, Mahamat Idriss Déby, après sa nomination à la présidence. Une prise de pouvoir dynastique qui, en Afrique comme ailleurs, a pourtant été très dénoncée.

Comment Emmanuel Macron a-t-il traversé ces cinq dernières années, entre désir de rupture et realpolitik ? Sina Schlimmer, chercheuse au centre Afrique subsaharienne de l'Institut français des relations internationales (Ifri), répond au Point Afrique.

 

Le Point Afrique : Dans son bilan, l'Élysée affirme avoir construit de 2017 à 2022 un « nouveau partenariat » avec l'Afrique, basé sur « l'apaisement des mémoires », la restitution des œuvres d'art et la réforme du franc CFA, notamment. Selon vous, ces critères ont-ils suffi à l'élaboration d'une nouvelle relation avec le continent ?

Sina Schlimmer : Ce sont en effet les éléments qui sont régulièrement mis en avant par la communication de l'Élysée en ce qui concerne sa politique africaine. Emmanuel Macron les avait présentés lors de sa visite à Ouagadougou en 2017. Ces piliers ont été jusqu'ici régulièrement mis en lumière par le président. Mais il y a évidemment d'autres éléments du mandat à prendre en compte, dont certains ont d'ailleurs quelque peu dégradé la relation entre l'Afrique et la France.

Que voulez-vous dire ?

À Ouagadougou, Emmanuel Macron avait affirmé vouloir instaurer une forme horizontale des échanges. Il souhaitait s'adresser à un autre public, celui de la société civile. En France, il a voulu faire le lien avec la diaspora africaine. Cette manière de procéder, en contournant les acteurs plus classiques de la diplomatie et de la politique, et notamment des chefs d'État, n'a pas convaincu tout le monde. Certains ont pu se sentir mis à l'écart, au profit d'échanges plus disruptifs.

 

Cela traduit-il une véritable rupture dans les relations avec l'Afrique ? Dans un de vos articles publiés par l'Ifri, vous déplorez que le nouveau sommet Afrique-France – organisé en octobre 2021 – s'inspire davantage des « talk-shows télévisés » et laisse finalement « peu de place aux sujets politiques ».

Le problème avec ce procédé, c'est qu'il ne peut pas remplacer le dialogue politique et la nécessité de s'adresser à ses homologues. Les enjeux politiques ont, de toute façon, fini par supplanter la volonté présidentielle. En avril 2021, Paris a organisé une réunion dédiée à la dette, avec plusieurs chefs d'État africains. Emmanuel Macron a dû aussi faire face à la dégradation de la relation entre le Mali et la France. En janvier 2020, plusieurs dirigeants du continent ont aussi été conviés à Pau pour traiter de la situation au Sahel. Durant le mandat d'Emmanuel Macron, il y a bien eu des moments de realpolitik. Mais les moments d'échange directs avec les membres de ladite société civile, comme celui à Montpellier, ont été les plus mis en scène et les plus communiqués par l'Élysée. Le dispositif du nouveau sommet de Montpellier, qui privilégie le dialogue direct avec des jeunes et met l'accent sur l'innovation, le tout en conviant de très nombreux journalistes, est pour la présidence une marque à répliquer. Le dernier forum Europe-Afrique organisé à Marseille le 17 mars en est le tout dernier exemple.

 

Quel bilan faites-vous du Conseil présidentiel pour l'Afrique ou encore de la Saison Africa2020, deux entités qui avaient pour ambition de faire évoluer le regard sur le continent africain en France ?

Ces deux organisations sont justement des expressions de cette marque. Ces dispositifs ont été mis en œuvre pour donner de la forme aux annonces faites à Ouagadougou. Cinq ans plus tard, les résultats sont mitigés. L'avenir du Conseil présidentiel pour l'Afrique est d'ailleurs en question.

 

La politique africaine d'Emmanuel Macron est-elle définie par ces va-et-vient réguliers entre le fond et la forme ?

Emmanuel Macron a apporté une forme de renouvellement politique, via des formats de rencontres différents, des échanges frontaux avec la diaspora et la société civile. Mais sa politique entre tout de même dans la continuité des relations de la France avec les Africains. La situation au Sahel est un héritage de la politique de ses prédécesseurs.

 

Au début de son mandat, Emmanuel Macron et le gouvernement avaient montré un nouvel intérêt pour la zone anglophone, lors de visites officielles au Nigeria ou au Kenya, par exemple. Comment ces visites et les discours qui les ont accompagnées se sont-ils concrétisés ?

Le président français avait montré un réel intérêt pour les pays en dehors du pré carré français. Au Nigeria, en juillet 2018, il avait montré de l'engouement pour les PME du pays, ses entrepreneurs et ses créateurs de start-up. Les mêmes sujets ont été mis en lumière lors de sa visite au Kenya, en mars 2019. Un véritable dialogue s'était alors instauré entre Paris et Nairobi. Le président Uhuru Kenyatta avait été reçu un an et demi plus tard à l'Élysée. Le gouvernement français a également montré de l'intérêt pour l'Éthiopie et l'Afrique du Sud.

Il y a eu une volonté claire de changement, mais la pandémie de Covid-19 a freiné les ardeurs des uns et des autres. La guerre en Ukraine peut aussi rebattre les cartes car l'Afrique du Sud fait, par exemple, partie des pays qui se sont abstenus à la résolution de l'Assemblée générale de l'ONU exigeant le retrait des forces russes de l'Ukraine. Le conflit peut reconsidérer les relations nouvellement établies ces dernières années.

 

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