Xinjiang : l'avenir des Ouïghours en péril

Que se passe-t-il dans cette région des confins du Nord-Ouest chinois où vivent les Ouïghours, une minorité turcophone musulmane ?
Depuis les premières conquêtes de la région par la dynastie sino-mandchoue Qing au milieu du XVIIIe siècle et jusqu’à l’époque contemporaine, la région du Xinjiang a toujours connu des relations tumultueuses avec le pouvoir central chinois. Le Xinjiang (« nouvelle frontière » en chinois) a été formellement intégré à l’empire en 1884. Dans la première moitié du XXe siècle, en pleine guerre civile chinoise entre les nationalistes du Kuomintang et les communistes de Mao, deux Républiques du Turkestan oriental (nom donné à la région par les Ouïghours) ont même pris leur indépendance : la première entre 1933 et 1934, dans le sud de la région, et la seconde sous influence soviétique, entre 1941 et 1949 au nord. En 1949, le Xinjiang est entièrement repris par les communistes chinois et intégré à la République populaire de Chine proclamée le 1er octobre. En 1955, elle devient la Région autonome ouïghoure du Xinjiang, mais qui n’a d’autonome que le nom, car elle est depuis lors intégralement contrôlée et administrée par des cadres du Parti communiste han, la majorité ethnique chinoise.
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Pourquoi parle-t-on d’un génocide ?
Ces derniers mois, de plus en plus de voix s’élèvent accusant la Chine de perpétrer un génocide au Xinjiang. Il s’agissait surtout de militants des droits de l’homme et de chercheurs, qui sont désormais rejoints par des Parlements et des gouvernements à travers le monde. Le terme génocide fait généralement penser à l’extermination physique et rapide d’une population comme celui des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale ou des Tutsis au Rwanda en 1994. Toutefois, pour une définition plus complète et précise, il faut se référer au droit international et à la Convention des Nations unies pour la prévention et la répression du crime de génocide, entrée en vigueur en 1951. Sont donc considérés comme génocide les cinq actes suivants, « commis dans l’intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux » (article 2) : le meurtre de membres du groupe ; l’atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ; la soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ; les mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ; le transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe. L’entrave aux naissances a été l’argument à l’origine des premières accusations de génocide contre les Ouïghours en 2019. Aujourd’hui, un grand nombre de juristes et de spécialistes de la région estiment que les autorités chinoises se rendent coupables de l’ensemble des cinq actes susmentionnés, du fait de condamnations à mort et de morts en détention, du fait de la torture physique et psychologique perpétrée dans les camps et de la pression psychologique imposée à l’ensemble de la population, du fait des stérilisations forcées, et enfin du placement massif d’enfants en orphelinats.
Les Parlements du Canada ou des Pays-Bas ont ainsi dénoncé ce génocide, tout comme l’administration américaine de Joe Biden dans son rapport annuel sur les droits de l’homme publié en mars 2021. Si de nombreux gouvernements hésitent encore à reprendre à leur compte la qualification de génocide, notamment en raison des implications diplomatiques que cela engendrerait avec Pékin, la dénonciation de « violations graves des droits de l’homme » au Xinjiang réunit aujourd’hui un large consensus en Occident. Le 22 mars 2021, l’Union européenne (UE), à l’unanimité de ses 27 États membres, et suivie par le Royaume-Uni, le Canada et les États-Unis, a imposé des sanctions contre quatre hauts responsables et une institution de l’appareil de sécurité au Xinjiang. Ces sanctions ont certes une dimension symbolique dans la mesure où elles n’impactent pas directement le sort des Ouïghours, mais elles exercent néanmoins une pression politique forte sur Pékin qui se trouve contraint de réagir. La réponse, en l’occurrence, a été de sanctionner, non pas les responsables politiques européens, mais des chercheurs et institutions de recherche indépendants. Alors que l’UE a puni des actes de violations graves des droits de l’homme sur la base du droit international, Pékin a sanctionné des membres de la société civile pour des travaux critiques envers le régime chinois.
En conclusion, les preuves abondent aujourd’hui pour légitimer les préoccupations sur la situation des Ouïghours au Xinjiang. Les réponses souvent contradictoires de Pékin n’incitent pas à la rassurance. Le PCC semble ainsi engagé dans une démarche de long terme de réduction démographique et de destruction culturelle du peuple ouïghour, au profit de la seule culture han au Xinjiang.
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