22
avr
2008
Éditoriaux de l'Ifri Mardis de l'Ifri à Bruxelles
Frank DEBIE

Les priorités de la présidence françaises sont-elles les bonnes ? Compte-rendu du Mardi de l'Ifri à Bruxelles du 22 avril 2008

Les priorités de la présidence françaises sont-elles les bonnes?

Les priorités de la présidence française – telles qu’on peut le connaître aujourd’hui – risquent, du moins en apparence, de se trouver en décalage par rapport aux attentes de l’opinion publique en France. Le retour à un agenda ou à une thématique d’ensemble marquée par les questions économiques et sociales n’est pas à exclure. Une attente a, par ailleurs, été créée autour d’une coopération plus généreuse avec les pays de la Méditerranée. Mais est-elle possible à satisfaire dans le cadre de l’Union pour la Méditerranée dont les ambitions ont été réduites ?

 

1. Les priorités de la présidence française

 

Contenu de la présidence française sur l’UE

Construite autour de l’idée « Pas de France forte sans l’Europe, et pas d’Europe puissante sans la France », la présidence française de l’Union européenne (PFUE) au deuxième semestre 2008 se concentrera autour des priorités suivantes , à savoir doter l’Europe :

  • d’une politique de l’immigration, se traduisant par la mise en place d’un cadre politique global (sous la forme d’un pacte européen de l’immigration),
  • d’une politique de l’énergie,
  • et d’une politique de l’environnement.Parallèlement, le président français a annoncé vouloir renforcer l’Europe de la défense, évolution associée à la rénovation de l’OTAN : « les deux vont ensemble: une Europe de la défense indépendante et une organisation atlantique où nous prendrions toute notre place » .

 

La perception du public français de la présidence française : priorité à l’efficacité

En janvier 2008, 61% des Français sondés par IFOP-Touteleurope.fr  estiment que la PFUE devrait avoir des effets positifs sur l’influence de la France en Europe ; 30% estiment par avance que les effets seront nuls, et 9% qu’ils seront négatifs.

La présidence française ne peut donc décevoir cette attente de l’opinion. Tout geste maladroit compromettant l’efficacité de la présidence sera mal perçu, comme est mal perçu en ce moment la dégradation apparente de la relation franco-allemande. L’efficacité de la présidence française est d’autant plus importante que le bilan diplomatique du président est jusqu’à présent meilleur que son bilan économique, social ou institutionnel :

  • le tableau de bord politique IFOP-Paris Match de mars 2008 souligne que les Français sont 67% à considérer que le Président défend bien les intérêts de la France à l’étranger.
  • les Français jugent que la France est plus influente dans l’Union fin 2007 qu’elle ne l’était un an auparavant. Par rapport à 2006, la hausse est de 5 points en opinion positive (44%).

Cette attente d’efficacité pour la présidence française semble avoir été comprise :

  • le Président affichait avant les municipales son désir de travailler main dans la main avec l’Allemagne ;
  • les points de litige potentiels, comme l’Union de la Méditerranée ou la taxe carbone, ont été minimisés ;

Par ailleurs, 58% des sondés considèrent que la PFUE permettra, au travers de son action, d’augmenter l’efficacité de l’Union européenne ; la ratification du traité de Lisbonne est donc une priorité importante pour l’opinion.

 

2. Les thèmes de la présidence française vus par l’opinion

 

Trois des priorités de la présidence française (défense, énergie, immigration) n’en sont pas vraiment pour les Français.

S’agissant des domaines identifiés comme prioritaires pour l’avenir, les personnes sondées par IFOP-Touteleurope.fr ne valident pas toutes les priorités de la présidence française : l’énergie, l’Europe de la défense, la réforme de la PAC, la rénovation des institutions recueillent pour leur part moins de 10% des choix.

Elles classent, en revanche :

  • en premier l’environnement et le développement durable (27%), thèmes sur lesquels on voit encore mal quelles avancées concrètes pourraient être faites ;
  • en second la protection des consommateurs, à égalité avec la défense des entreprises européennes (20%), thèmes présents dans le discours présidentiel mais absents des priorités de la présidence ;
  • en quatrième l’immigration (11%).

Par ailleurs, selon l’Eurobaromètre n°68, les Français estiment que les enjeux liés à la lutte contre le terrorisme, à l’environnement, à la recherche scientifique, à l’immigration doivent être traités en préférence au niveau de l’Union et non des Etats membres. Mais s’agissant « des domaines sur lesquels l’Union doit aller plus loin dans les vingt prochaines années », les Français interrogés en mars 2007 plaçaient en première position :

  • la politique sociale, sur laquelle la présidence française n’a pratiquement rien prévu ;
  • l’environnement, thème où les progrès sont difficiles ;
  • la politique de recherche, où rien n’est prévu à ce stade (31%).

Les trois thèmes de la présidence française (en dehors de l’environnement), l’énergie, l’immigration et la défense ne recueillaient respectivement que 26%, 25% et 21% des avis.

Les options privilégiées par les Français ne le sont pas dans le reste de l’Europe.

Concernant les mesures spécifiques qui pourraient être soutenues par la France lors de sa présidence, les Français sont 76% à considérer positivement l’établissement d’une fiscalité écologique européenne à laquelle les autres Européens sont pour l’instant hostiles. 63% jugent également positivement la promotion du nucléaire dans la lutte contre le réchauffement climatique. 62% se disent favorables à l’adoption d’un pacte européen pour l’immigration, mais seulement 50% à l’augmentation du budget de l’Union. 

L’analyse qualitative réalisée par Euractiv.fr auprès de représentants de la société civile organisée (think tanks, partenaires sociaux, associations d’élus, ONG) confirme largement ces attentes. L’environnement constitue l’attente forte des répondants à l’égard de la présidence. Le thème de la relance de la croissance et de l’emploi (en lien avec les adaptations à engager dans la perspective de la mondialisation) est le plus largement évoqué.

Or la taxe carbone n’intéresse pas la plupart des autres Etats. La relance du nucléaire reste un sujet tabou en Allemagne et en Italie. L’idée d’un pacte européen pour l’immigration et l’asile reste encore inconnue en Europe et relativement floue. Personne n’est favorable à une augmentation de la pression fiscale directe ou indirecte qui pourrait dégager des ressources supplémentaires pour l’Union.

Les préoccupations des Français à l’égard de l’action gouvernementale sont beaucoup plus immédiates et concrètes.

Les dossiers portés par le projet (initial) pour la présidence française de l’Union ne recoupent pas entièrement les attentes exprimées par les Français à l’égard de l’action du gouvernement ou du Président de la République au niveau national.

Le baromètre TNS Sofres – Le Figaro Magazine de mars 2008 indique que la première attente des Français concerne la préservation des conditions de vie, à savoir la lutte contre la hausse des prix (36%), la lutte contre le chômage (26%) et le maintien du pouvoir d’achat (23%). Les questions de sécurité et de défense ne sont créditées que de 9% .

Ces préoccupations concrètes n’ont cessé de se renforcer.

Ces préoccupations valident l’idée d’une forte composante « énergie » dans le paquet environnement de la présidence française, qui est la partie la mieux comprise et la plus attendue par l’opinion française, à condition que celle-ci puisse avoir des conséquences pratiques :

  • aide européenne immédiate pour l’efficacité énergétique des bâtiments et des transports sur tout le territoire de l’Union ;
  • crédit d’impôt pour les travaux d’efficacité énergétique pour les particuliers grâce à un fonds de soutien européen abondant les efforts des Etats ;
  • convergence progressive des fiscalités nationales sur les produits pétroliers ;
  • maintien des tarifs réglementés « bas » sur les prix de l’électricité.

Les préoccupations économiques des Français peuvent conduire à une inflexion de la présidence française pour se rapprocher des attentes de l’opinion nationale et préparer les élections européennes :

  • insister sur l’Europe qui « protège » contre le « dumping » et les barrières non-tarifaires des pays tiers, et notamment de la Chine ;
  • mettre en avant l’Europe qui lutte contre la « désindustrialisation » et les délocalisations, quitte à autoriser les aides publiques ;
  • remettre en avant la « préférence communautaire », y compris en matière agricole.

Sans doute plus conforme aux attentes de l’opinion en France, un tel recentrage « politique » de la présidence française sur les questions économiques et commerciales peut créer des tensions avec les autres Etats membres qui ne sont pas prêts à accepter un agenda qui, à tort ou à raison, leur apparaîtrait comme protectionniste.

Plusieurs pistes de compromis peuvent cependant être imaginées :

  • une révision de la politique commerciale dans le sens de plus de « réciprocité » avec nos principaux partenaires commerciaux ; cela suppose sans doute un pilotage plus politique de cette politique ;
  • un renforcement de la politique de change, pour répondre de manière plus efficace aux tentations de dévaluations compétitives de nos partenaires commerciaux ;
  • une révision de l’agenda de Lisbonne dans ces directions, avec un volet extérieur plus affirmé : diplomatie énergétique, diplomatie environnementale, vigilance vis-à-vis des fonds souverains et des investissements dans les domaines stratégiques…

Une troisième possibilité serait de mettre en avant un agenda plus social pour la présidence française : lutte contre les discriminations à l’embauche, effort européen particulier pour les exclus, lancement d’une politique européenne d’intégration dans le cadre du pacte européen pour l’immigration. Cette orientation plus sociale semble annoncée par plusieurs discours du ministre des affaires européennes.

 

3. L’Union méditerranéenne : un projet encore incertain mais plutôt populaire en France

 

Evoquée lors de la campagne présidentielle, la création de l’Union méditerranéenne a été présentée dans ses grands axes lors du discours de Tanger du 23 octobre 2007. L’idée initiale avait été mal accueillie dans le reste de l’Europe.

Elle avait en revanche suscité l’approbation en France. Interrogés en janvier 2008 sur le projet d’Union méditerranéenne – présenté comme le moyen de « renforcer les coopérations entre des pays situés autour de la Méditerranée » -, les Français y sont favorables à 72%. Les avis négatifs s’élèvent seulement à 27% .  L’idée a créé une attente dans l’opinion. Les Français originaires du sud de la Méditerranée attendent du concret et des efforts budgétaires supplémentaires. Où trouvera-t-on les ressources ? Ils attendent aussi des procédures plus simples et plus généreuses sur les visas. Est-ce compatible avec le Pacte européen sur l’immigration ?

En matière d’organisation institutionnelle, l’impératif d’efficacité l’a emporté. La réunion informelle du 3 mars 2008 entre le président français et la chancelière allemande à l’occasion de l’inauguration du CeBit, a permis de lever les blocages entre Français et Allemands sur ce dossier. Le contenu de l’accord a été présenté lors du Conseil européen des 13 et 14 mars 2008. La réconciliation franco-allemande sur ce dossier n’a pas été particulièrement saluée par la presse quotidienne nationale française, qui s’est contentée de souligner l’accord obtenu entre les deux pays.

L’Union pour la Méditerranée va devenir une Union de projets, marquée par le pragmatisme.

Tout laisse à croire que l’opinion, attachée au principe du projet, jugera sur pièces. Sur ce dossier très mis en avant, la présidence française ne pourra pas « rentrer les mains vides ».

 

ISBN / ISSN: 
978-2-86592-293-2