15
mar
2022
Espace Média L'Ifri dans les médias
Marc JULIENNE, interrogé par Benjamin Delille pour Libération

Pour la Chine, «s’impliquer plus directement dans le conflit ukrainien serait suicidaire»

Selon plusieurs médias américains, la Russie aurait demandé une aide militaire et économique à la Chine pour l’appuyer dans sa guerre en Ukraine. Mais pour le chercheur Marc Julienne, la demande d’aide a peu de chances d’aboutir.

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Vladimir Poutine a-t-il appelé Pékin à l’aide pour mener sa guerre en Ukraine ? C’est ce qu’ont assuré anonymement plusieurs responsables de l’administration militaire américaine à différents médias dimanche, du Washington Post au Financial Times. Moscou aurait demandé à son allié chinois un appui militaire et économique. On ne sait pas si la Chine a répondu, mais Pékin a dénoncé lundi une «désinformation», sans pour autant démentir formellement. Selon Marc Julienne, chercheur et responsable des activités Chine, Centre Asie de l’IFRI, un soutien militaire chinois vis-à-vis de la Russie reste hautement improbable.

Est-ce que cet appel à l’aide de Moscou en direction de Pékin est crédible ?

Elle me surprend un peu cette demande, puisque historiquement, c’est plutôt la Russie qui fournit des armes à la Chine et non l’inverse. Donc cela montrerait une certaine vulnérabilité, voire une détresse de la part de Moscou. Maintenant, le plus important finalement, c’est moins la demande de la Russie que la réponse de Pékin. Et que la Chine fournisse des équipements militaires à la Russie dans le conflit ukrainien me semble très peu crédible. Ce serait une volte-face complète par rapport à la position qu’a adoptée la Chine depuis le début du conflit.

Quelle est la position officielle de la Chine ?

Celle d’une neutralité dans le discours officiel, qui, dans la réalité, n’est qu’un semblant de neutralité. La Chine soutient Moscou implicitement depuis le début du conflit, indirectement, dans les discours et dans les actes. Par exemple, Pékin parle, comme le Kremlin, d’«opérations militaires spéciales» russes. Elle refuse de parler d’invasion. Tout comme elle se refuse à attribuer la responsabilité du conflit à la Russie. Tout ce que fait la Chine, c’est appuyer le discours de Moscou. Dans les actes, elle n’a rien fait non plus. Elle vient d’envoyer de l’aide humanitaire, mais dans des proportions ridicules. Il y a aussi une duplicité du discours chinois sur la question des négociations de paix. Pékin dit qu’il faut négocier, mais à aucun moment il n’a entrepris une démarche pour faciliter le dialogue entre les belligérants. Voilà donc pourquoi je pense que c’est une neutralité de façade. C’est une position confortable, puisque les Chinois ont plutôt intérêt, sans se mouiller, à ce que les Russes prennent le plus de positions ou de territoires face aux démocraties libérales occidentales.

Quel est le soutien de la Chine au niveau économique, par rapport à une Russie qui se retrouve de plus en plus isolée et au bord de la rupture ?

C’est un soutien direct. Déjà, ils condamnent les sanctions. Ils ont augmenté très fortement les importations de gaz et de pétrole, de produits agricoles, notamment de blé. Le pays va aussi être un débouché en matière commerciale et particulièrement pour les échanges financiers, puisque la Russie a été exclue du système Swift International. Donc Pékin offre une porte de sortie à Moscou. Mais elle est finalement très étroite. La Chine, toute puissante qu’elle soit économiquement, ne va pas parvenir à elle seule à pallier l’isolement économique russe.

En se comportant de la sorte, la Chine ne menace-t-elle pas certains de ses intérêts économiques avec ses partenaires occidentaux ?

En se comportant avec cette neutralité de façade, normalement, non. Et c’est pour ça que le transfert d’équipements militaires me semble extrêmement peu crédible : elle se verrait, à mon avis, visée immédiatement par des sanctions économiques de la communauté internationale. Et là, l’impact serait très dur pour l’économie chinoise. Malgré l’alignement idéologique anti-occidental qu’il y a avec Moscou, je pense que le pragmatisme économique prévaut toujours.

Il y a aussi un élément à prendre en compte : le contexte domestique de la Chine. On est dans une année qui est très sensible, celle du vingtième congrès du Parti communiste, qui aura lieu à l’automne. Et c’est pendant ce congrès que le secrétaire général, Xi Jinping, sera reconduit pour un troisième mandat à la tête du pays. D’autant que la Chine traverse depuis plusieurs années des difficultés économiques très fortes, avec un ralentissement de la croissance qui est très important. Et un problème immédiat : le Covid et les reprises épidémiques aux quatre coins du pays. Actuellement, des millions de gens sont confinés, y compris à Hongkong. C’est pour ça que je pense que la Chine a déjà beaucoup à faire chez elle, sur son territoire, que ce soit en matière sanitaire, économique et politique. S’impliquer de manière beaucoup plus directe dans le conflit ukrainien serait extrêmement risqué, voire suicidaire sur le plan économique.

 

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