14
mar
2022
Espace Média L'Ifri dans les médias
Marc JULIENNE, interrogé par Margaux Gable pour Le Parisien.

Guerre en Ukraine : cinq minutes pour comprendre le rôle de la Chine dans le conflit

Alors qu’elle prône la neutralité depuis le début de la guerre, Pékin aurait été sollicitée par la Russie pour apporter une aide militaire et économique à son allié historique. L’intervention chinoise serait toutefois dangereuse pour Pékin et la suite du conflit.

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Depuis plusieurs semaines, le cœur de la Chine balance entre son devoir de neutralité et son amitié « solide comme un roc » avec la Russie. Selon les informations du New York Times, la Russie aurait demandé à la Chine de fournir des équipements militaires pour la guerre et une aide économique pour surmonter les sanctions internationales. Une révélation contestée férocement par Pékin, qui n’a pour autant pas clairement démenti. « Ces derniers temps, les Etats-Unis propagent de fausses nouvelles à l’encontre de la Chine », s’est borné à déclarer un porte-parole de la diplomatie chinoise, Zhao Lijian.

Ces révélations interviennent à un moment stratégique, alors que le conseiller à la sécurité nationale du président américain, Jake Sullivan, rencontre ce lundi matin Yang Jiechi, le plus haut responsable du Parti communiste chinois pour la diplomatie, à Rome.

Quelle est la position de la Chine dans la guerre en Ukraine ?

Officiellement, la Chine se dit neutre. Mais « on comprend vite qu’il s’agit d’une neutralité de façade », analyse Marc Julienne, chercheur en charge de la Chine à l’Ifri. En coulisses, « la Chine soutient la Russie en reprenant le discours du Kremlin » : depuis plusieurs semaines, Xi Jinping refuse l’utilisation du terme « invasion » et préfère qualifier le conflit d’« opération militaire spéciale », paraphrasant le discours officiel de Vladimir Poutine.

D’autant plus que son attitude à l’égard de l’Ukraine la trahit : le seul soutien apporté au pays de Volodymyr Zelensky a été l’envoi d’aide humanitaire le 9 mars, « trop tardif et trop modeste » pour être une véritable preuve de soutien. D’une valeur de 5 millions de yuans, soit environ 720 000 euros, l’aide de la Chine est arrivée après presque 2 semaines de conflit.

Pourquoi la Chine refuse-t-elle le rôle de médiateur ?

Si le pays de Xi Jinping se dit favorable à un dialogue de paix et d’un cessez-le-feu, dans les faits, il « n’a rien fait et ne joue pas un rôle de médiateur », déplore le spécialiste. Une seule discussion entre le ministre des Affaires étrangères chinois Wang Yi et son homologue ukrainien Dmytro Kouleba a eu lieu le 1er mars, soit près de cinq jours après le début du conflit. Un manque d’action qui a par ailleurs poussé certains pays européens à exhorter la Chine à s’impliquer plus activement dans le conflit.

Si la Chine rechigne à tenir un rôle de médiateur, ce serait surtout car elle aurait plus d’intérêts dans une victoire de la Russie. « Si la Russie perd, la Chine perd aussi », confie Marc Julienne. Pourquoi ? Car une victoire de l’Ukraine, et donc de l’Occident, renforcerait l’Otan, l’Occident et les Etats-Unis, qui restent les principaux concurrents de la Chine sur la scène internationale.

La Chine pourrait-elle ouvertement apporter son soutien militaire et économique à la Russie ?

Non. Historiquement, la Chine n’est « pas un pays très impliqué » dans les conflits internationaux. S’ingérer dans le conflit en soutenant militairement un des belligérants semble dès lors « impensable de la part de la Chine », « surtout que le pays n’a aucun intérêt à ce que le conflit se mondialise et dégénère », confie le spécialiste.

D’un point de vue économique, l’aide de la Chine, seule, ne suffira pas à pallier les sanctions internationales contre la Russie. Pour combler le « manque à gagner énorme » de la Russie, exclue des échanges financiers mondiaux et d’ores et déjà dans une situation difficile, la Chine pourrait toutefois actionner plusieurs leviers. Et augmenter les exportations de gaz et de pétrole en provenance de la Russie en serait un.

Xi Jinping pourrait également décider d’augmenter les importations de blé, de produits agricoles et de tous les produits qui ne sont plus exportés vers l’Europe, mais « on voit mal comment la Chine pourrait à elle seule réussir à sauver l’économie russe », avoue le chercheur.

Quelles seraient les conséquences d’un engagement de la Chine dans le conflit ?

Prendre part au conflit serait dangereux pour la Chine, puisque cette dernière tomberait immédiatement sous le coup des sanctions internationales. « Et s’il y a bien une chose que la Chine veut préserver, c’est sa stabilité financière », certifie Marc Julienne.

D’autant plus que la Chine « se trouve dans une année charnière, très sensible politiquement » avec le XXe congrès du Parti Communiste Chinois (PCC) à l’automne prochain. A cette date, Xi Jinping pourrait être reconduit pour un troisième mandat, « une situation inédite depuis la mort de Mao ». Jusqu’alors, les mandats des présidents et des secrétaires généraux du PCC étaient limités à deux d’affilée. En plus du contexte international tendu, Xi Jinping traverse également une situation nationale délicate avec de nouveaux départs de l’épidémie de Covid-19 en Chine et à Hong Kong.

Sur la scène internationale, les conséquences diplomatiques ne tarderaient pas à arriver : si la Chine est mise sous sanctions économiques et commerciales internationales, « il y aura des mesures de rétorsion diplomatiques ». « L’un ne va pas sans l’autre », commente Marc Julienne. Dans un contexte d’accroissement des tensions entre la Chine et l’Occident, une intervention chinoise ne ferait que mettre le feu aux poudres entre les deux blocs.

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