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mar
2022
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Oujhorod, Ukraine - 26 février 2022
Dimitri MINIC, Elie TENENBAUM, interviewés par Franck Alexandre pour RFI

Guerre en Ukraine: les couloirs humanitaires comme arme de guerre

Si la Russie dément régulièrement prendre des civils pour cibles, des chercheurs occidentaux notent que dans toutes ses opérations militaires, Moscou use des corridors humanitaires comme d'une arme de guerre.

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« Gagner du temps pour se redéployer »

Désormais en Ukraine, l'armée russe fait aussi de ces corridors humanitaires un usage militaire. Elle le fait en ouvrant, ou non, les portes en fonction des intérêts russes sur le théâtre d'opération, indique Elie Tenenbaum, directeur de recherche à l'Institut français des relations internationales (Ifri).

« D'abord, ça permet de gagner du temps pour se redéployer, car ça crée de fait des espaces hors de la conflictualité sur la ligne de front. Ça permet également de vider les villes assiégées d’une partie de leur population civile sous prétexte d’enjeux humanitaires. De fait, ils vont réduire une bonne partie de ce qui crée aujourd’hui la friction et ce qui peut peser politiquement sur l’image des opérations militaires russes en Ukraine. Et donc ça permet de lisser le terrain en ne laissant que des cibles qui pourraient être considérées comme des cibles militaires – même si ce n’est pas le cas –, et donc d’une certaine manière légale dans le droit des conflits armés. Enfin, ça peut être une arme psychologique en créant des tensions entre ceux qui partent et ceux qui restent. »

Briser le moral de l’adversaire

C'est en effet une arme redoutable, avec des corridors humanitaires allant directement chez l'ennemi, ou de faux convois humanitaires acheminant de vrais renforts militaires. Lorsque Moscou accepte des pourparlers à vocation humanitaire, il faut toujours se méfier, souligne Dimitri Minic, spécialiste de l'armée russe et chercheur à l’Ifri-NEI. 

Ce dernier prend exemple du conflit dans le Donbass en 2014 :

« L’armée ukrainienne était sur le point de battre les séparatistes pro-russes du Donbass. À l’époque, la Russie avait annoncé le 11 août 2014 l’envoi d’un convoi humanitaire d’environ 300 camions. La Russie avait lancé des pourparlers avec les autorités ukrainiennes pour s’arranger sur les modalités de cette expédition. Et puis, par surprise et sans autorisation, les camions du convoi humanitaire ont traversé la frontière ukrainienne le 22 août 2014. Des militaires ukrainiens ont rapporté que les forces séparatistes pro-russes avaient reçu des renforts de l’armée russe deux jours après l’entrée des camions humanitaires. Ça a signifié la première grande défaite de l’armée ukrainienne… Donc là, on voit bien comment cette annonce de convoi humanitaire a intégré le dispositif russe pour soutenir les séparatistes dans le Donbass. »

Ruse et tromperie ont été pensées par les théoriciens militaires russes et pour désorienter l'ennemi, rappelle Dimitri Minic : « Ça fait partie de ce que l’on appelle la tromperie militaire, la négociation est utilisée comme une méthode d’apaisement. Finalement, la coopération est conceptualisée aussi comme un pilier de la lutte informationnelle et de la lutte d’influence russe. Comme disait un théoricien militaire russe : pour briser la volonté adverse, il faut étrangler l’ennemi dans une étreinte amicale ! Ce qui compte, c'est de rouler les autorités ukrainiennes dans la farine. D'imposer son rythme, le rythme de l’offensive et puis de désorienter. Ce sont des méthodes qui ont été pensées par les théoriciens militaires russes pour désorienter l’ennemi et le contrôler. Avoir une forme de contrôle mental sur lui. »

Cela s'appelle l’usage tactique du « faire souffrir », un levier visiblement efficace en soutien aux actions offensives.

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> Ecouter l'émission sur le site de RFI ("Tranche d'information 09/03 18h12 GMT").

 

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conflit armé Russie Ukraine