03
juin
2018
Espace Média L'Ifri dans les médias
Thomas GOMART, cité par Marc Semo dans Le Monde

Le pari russe d’Emmanuel Macron

Si le voyage à Saint-Pétersbourg du chef de l’Etat marque un incontestable réchauffement des relations franco-russes, le journaliste du « Monde » Marc Semo rappelle que les prédécesseurs de M. Macron avaient tous pensé, au début, pouvoir faire bouger les choses avec M. Poutine. Sans résultat. Le contraste était saisissant. Devant un parterre d’hommes d’affaire du forum économique de Saint-Pétersbourg, une sorte de « Davos russe », le 25 mai, Emmanuel Macron jouait la séduction, tutoyant le président russe et l’appelant « cher Vladimir ».

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Il citait Dostoïevski, Soljenitsyne et insistait sur son souhait d’ancrer la Russie et son destin dans l’Europe.

Face à lui, l’homme fort du Kremlin, courtois mais impassible, le vouvoyait et ne s’engageait guère au-delà de propos très convenus sur « la France partenaire ancien, traditionnel et fiable ». Pas une seule fois, surtout face à son interlocuteur, il n’a évoqué la vocation européenne de son pays.

  • « Le décalage était évident entre le souffle, la perspective historique de Macron et les réponses d’ordre mécanique de Poutine », relève Thomas Gomart, le directeur de l’IFRI (Institut français des relations internationales).

Le voyage à Saint-Pétersbourg du chef de l’Etat marque un incontestable réchauffement des relations franco-russes. Ce n’était pas très difficile vu leur dégradation depuis 2014 après l’annexion de la Crimée, la déstabilisation de l’est de l’Ukraine, les tensions des derniers mois avec l’affaire Skripal – la tentative d’empoisonnement d’un ex-agent double russe près de Londres – et les frappes contre les armes chimiques du régime syrien, soutenu envers et contre tout par Moscou.

Sauver ce qui peut l’être

Un jalon a été posé, mais il reste à en mesurer la portée. « Est-ce qu’il s’agit d’un tournant ? En tout cas, c’est un échange et une relation qui cherchent à élaborer quelque chose de solide et des axes stratégiques », expliquait M. Macron en dressant le bilan de son voyage. L’attitude réservée du maître du Kremlin montre que ce dernier se sent en position de force.

  • « C’est un pragmatique et il sait qu’il n’a pas besoin de trop en faire, étant dans une situation idéale pour profiter des tensions croissantes transatlantiques », analyse M. Gomart.

Après son échec à convaincre son « ami » Donald Trump de ne pas se retirer de l’accord sur le nucléaire iranien, le président français se doit de reprendre l’initiative pour sauver ce qui peut l’être du texte signé à Vienne en juillet 2015, s’affirmant comme une « puissance d’équilibre » parlant à tous, et notamment à une Russie devenue à nouveau incontournable. « Cela n’enlève rien à notre relation avec Washington, mais c’est un pilier nécessaire afin de pouvoir jouer en cas de besoin les médiateurs », précise M. Macron.

A cela s’ajoute l’importance croissante des relations économiques entre les deux pays malgré les sanctions adoptées par la France et ses partenaires européens en rétorsion à la politique russe en Ukraine. Une cinquantaine de contrats ont été signés lors de la visite. Le président a appelé les entreprises françaises « à faire beaucoup mieux ».

Sans arrogance ni complaisance

Le pari de M. Macron est de miser sur l’histoire et l’Europe pour raccrocher la Russie. Saint-Pétersbourg, la ville fondée par Pierre le Grand, est le symbole de cette ouverture. La première rencontre avec l’homme fort du Kremlin était à Versailles pour l’inauguration de l’exposition célébrant les 300 ans de la visite du tsar modernisateur auprès de Louis XV. La première visite de M. Macron sur le sol russe était aussi dans l’ancienne capitale.

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Mais M. Poutine reste avant tout un enfant de Leningrad, le nom que portait la ville à l’époque soviétique. Le président français a évoqué l’horreur du siège de la ville par les nazis et s’est rendu au cimetière mémorial, avec ses 186 immenses fosses communes où sont enterrées 420 000 des victimes, des civils, pour la plupart morts de faim, dont un frère aîné de l’actuel président.

A Versailles, le chef de l’Etat, sans arrogance ni complaisance, n’avait pas hésité à dire à son interlocuteur aussi les choses qui fâchent : la Syrie, les atteintes aux droits de l’homme ou la manipulation des médias. S’il n’a pas gommé ces différends, rappelant notamment le désaccord sur les armes chimiques ou sur l’Ukraine et s’il a rencontré des personnalités de la société civile pour évoquer les droits de l’homme, M. Macron a préféré cette fois insister sur ce qui rassemble.

« Incompréhensions et erreurs »

« Nous acceptons le rôle régional renforcé que se donne la Russie dans son environnement régional et dans le monde, en particulier au Moyen-Orient, mais ce rôle retrouvé crée aussi plus de responsabilités », a-t-il déclaré, évoquant aussi « des incompréhensions et parfois des erreurs ces vingt-cinq dernières années », c’est-à-dire une politique occidentale perçue par la Russie comme une humiliation. De tels propos ne pouvaient que réjouir son interlocuteur, qui s’est bien gardé, lui, de battre sa coulpe sur quoi que ce soit.

 « C’était froid au début, mais quelque chose a bougé et il faut procéder étape par étape », se félicite-t-on à l’Elysée. Les « convergences » annoncées sur la Syrie, avec la mise sur pied d’un « mécanisme » pour coordonner les discussions sur la transition politique, restent virtuelles. La volonté commune de préserver l’accord sur le nucléaire n’empêche pas des divergences de fond. Conscient des limites du texte, M. Macron veut le compléter en négociant sur le programme balistique iranien, sur l’après-2025 et sur la politique régionale de Téhéran. Vladimir Poutine concède juste que l’on peut « discuter » de ces sujets.

Les prédécesseurs de M. Macron avaient tous pensé, au début, pouvoir faire bouger les choses avec M. Poutine. Sans résultat. Certes, le président russe semble désormais décidé à engranger les dividendes diplomatiques de ses succès militaires en Syrie, où il craint l’enlisement. M. Macron, à l’issue du voyage, rappelait, prudent, sur BFM-TV, que « les sujets internationaux ne se règlent pas en un coup de téléphone ou une visite ».

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