30
oct
2018
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Laurence NARDON,  article publié dans L'Opinion 

Midterms: l’arrivée au pouvoir de Donald Trump n’est ni un hasard, ni un accident

Laurence Nardon : « Pour les populations blanches modestes et angoissées par leur situation, il est apparu comme un sauveur. Les laissés-pour-compte du libéralisme et de la mondialisation ont donc eu le loisir d’élire Donald Trump  »

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Donald Trump apparaît comme une personnalité absolument hors du commun, et les historiens auront fort à faire dans le futur pour démêler la part qu’ont jouée son idéologie et sa psychologie dans le déroulement de sa présidence. Pour autant, son élection n’est ni un hasard ni un accident. Elle a été préparée par des évolutions qui se sont déroulées sur plusieurs décennies dans tous les domaines – politique, social, culturel, économique – de la vie du pays.
 
L’accroissement des inégalités
 
L’arrivée d’un populiste antisystème au pouvoir est liée au fait que les classes moyennes du pays se sont senties trahies aussi bien par le Parti républicain que par le Parti démocrate sur le plan de l’égalité des chances. La possibilité d’ascension sociale, qui est au cœur du contrat social américain, exige un minimum d’encadrement de la part de l’Etat.
 
Or, la domination des principes économiques libéraux à partir des années 1980 a sans doute été excessive. Elle a délégitimé le rôle redistributeur et régulateur de l’État et justifié la défense des intérêts de l’individu au détriment de l’esprit civique.
 
Les premières grandes mesures libérales, telles que les baisses d’impôt de 1981 et 1986, ont été adoptées sous la présidence de Ronald Reagan, mais les présidents démocrates ont emboîté le pas. C’est Bill Clinton qui a détricoté la loi Glass-Steagall qui, depuis la crise de 1929, séparait les banques d’investissement des banques de dépôt. Cette mesure est considérée comme l’une des causes directes de la crise de 2007-2008, dont les conséquences ont été terribles pour les classes moyennes.
 
Le mode de financement de la vie politique a également joué un rôle. Pour financer leurs campagnes, les deux partis ont en effet besoin de grands donateurs. Il leur est ensuite difficile de ne pas accéder à leurs demandes d’allègements fiscaux, qui creusent l’écart entre les 1% les plus riches et le reste de la population.
 
Enfin, aucune politique sociale n’a été mise en place pour accompagner les pertes d’emplois ouvriers constatées après la signature de l’Accord de libre-échange nordaméricain (ALENA) en 1994, puis l’entrée de la Chine dans l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 2001, et qu’a aggravées la robotisation des usines. Les économistes ont longtemps assuré qu’il s’agissait d’une « destruction créatrice », et que les chômeurs pourraient […] devenir informaticiens au service de l’économie de la connaissance. Mais on estime aujourd’hui que 1 million d’emplois directs et 2,4 millions d’emplois indirects ont été détruits aux États-Unis du fait des importations de biens manufacturés chinois entre 1999 et 2011.
 
Pour les anciens ouvriers des usines du Nord-Est, les petits Blancs des Appalaches et les conservateurs du Sud de condition modeste l’annonce par le bureau du recensement qu’ils vont devenir minoritaires d’ici 2045 renforce la crainte d’une stagnation sociale pour leurs enfants.
 
L’angoisse des Caucasiens
 
Un autre abandon, d’ordre culturel, est reproché plus particulièrement au Parti démocrate. Depuis les années 1960, ce dernier a pris la relève du mouvement des droits civiques et développé un discours et un programme favorables aux minorités, ethniques, sexuelles, etc.
 
Renonçant au principe d’universalisme, le parti présente désormais la société américaine comme une mosaïque de groupes différents. Ainsi, les Blancs ne sont plus les Américains « par défaut » qu’ils ont pensé être à une époque, mais un groupe parmi d’autres, voire un groupe moins légitime que les autres du fait de sa domination passée.
 
Pour les anciens ouvriers des usines du Nord-Est, les petits Blancs des Appalaches et les conservateurs du Sud de condition modeste, l’annonce par le bureau du recensement qu’ils vont devenir minoritaires d’ici 2045 renforce la crainte d’une stagnation sociale pour leurs enfants. La réponse des élites intellectuelles et progressistes à l’expression de cette angoisse identitaire a été la réprobation morale.
 
Mais, au-delà du fait que les outrances du discours politiquement correct ont fait de certains démocrates des cibles faciles, le parti a oublié son électorat populaire traditionnel. Ce choix politique semble d’autant plus vain que pendant ce temps-là le combat pour l’égalité raciale semble avoir reculé dans le pays. La série de décès de personnes issues de la communauté afro-américaine dus à des violences policières et l’apparente impunité des coupables malgré la mobilisation populaire au sein du mouvement Black Lives Matter est un problème de fond sans solution apparente.
 
Le champion de la classe moyenne
 
Donald Trump a su jouer de ces désarrois. Pendant sa campagne, l’homme d’affaires a tenu un discours populiste de gauche – dressant le peuple contre les élites et le libre-échange – et de droite – dressant le peuple contre les étrangers. Pour ces populations blanches modestes et angoissées par leur situation, il est apparu comme un sauveur. […] Les laissés-pour compte du libéralisme et de la mondialisation ont donc eu le loisir d’élire Donald Trump. […]
 
Pendant la première année de son mandat, en 2017, ses conseillers les plus raisonnables, les membres de sa famille, les contre-pouvoirs institutionnels et issus de la société civile ont réussi à encadrer le président sur certains points, notamment en politique étrangère. Mais depuis le début de 2018, le président Trump revient à ses propositions de 2016 et engage des évolutions très préoccupantes.
 
Evitant de s’adresser à l’ensemble des États-Unis, le parti démocrate déroule ne liste de propositions pour les droits des minorités ethniques et sexuelles du pays, auxquelles répond de son côté le projet porté par Donald Trump et ses idéologues d’une défense de la population blanche La disparition de l’universalisme
 
D’autres dynamiques sont cependant à l’œuvre aux États-Unis. Fondées sur la vitalité et la résilience de la société civile, elles prônent l’esprit de progrès et d’ouverture. Les lignes de fracture entre ces valeurs et celles du repli se révèlent dans tous les domaines culturels, ainsi que dans la résistance des États et des villes démocrates sur le terrain de l’immigration et celui de l’environnement.
 
Mais l’attitude des progressistes regroupés dans le mouvement de « Resistance » pose aussi question. A la veille des élections de 2018, le Parti démocrate ne semble pas avoir réformé son logiciel multiculturaliste. Evitant de s’adresser à l’ensemble des États-Unis, il déroule ainsi une liste de propositions pour les droits des minorités ethniques et sexuelles du pays, auxquelles répond de son côté le projet porté par Donald Trump et ses idéologues d’une défense de la population blanche.
 
Le résultat de novembre se jouera donc entre la mobilisation des femmes, des minorités et des jeunes en faveur des démocrates et celle de la coalition des électeurs de Trump.
 
En ce qui concerne la présidentielle de 2020, l’absence jusqu’à ce jour d’un candidat démocrate fédérateur rend envisageable la réélection de Donald Trump. Mais, à long terme, la question de savoir qui va porter dans le pays de Benjamin Franklin un projet universaliste digne des Lumières reste entière.
 
Le système international dynamité
 
Pour le reste du monde, les bouleversements générés par le président américain dessinent des perspectives très sombres. Imposant une vision hobbesienne du tous contre tous dans les relations internationales, le président œuvre à la fin du multilatéralisme et du libre-échange. Il ne fonde plus l’alliance transatlantique sur les valeurs issues des Lumières, mais sur une fraternité culturelle entre Américains et Européens blancs, comme l’a montré son discours de Varsovie de juillet 2017. Les conséquences sont d’autant plus préoccupantes que beaucoup de pays sont aujourd’hui en proie aux mêmes incertitudes sociales et politiques.
 
Sa méthode de négociation fondée sur le rapport de force prend la communauté internationale à rebrousse-poil. Il est actuellement impossible de déterminer quels en seront les effets en termes de guerre commerciale, d’aggravation du chaos au Moyen-Orient ou de stabilité dans la péninsule coréenne.
 
Il faut pourtant laisser la porte ouverte à l’optimisme : les négociations brutales menées par Trump avec la Chine, le Mexique et les pays du G7 pourraient faire émerger un libre-échange moins destructeur pour les classes moyennes des pays développés. Les Européens pourraient de leur côté agir de façon unie et résolue en réaction à l’agressivité du président américain.
 
Si le président Trump a été élu, c’est qu’il promettait de s’attaquer à de vrais problèmes que rencontre la population américaine. Mais il est possible que son action ne fasse qu’aggraver les inégalités dont elle souffre, tout en renforçant ses dérives identitaires et en déstructurant durablement l’ordre international hérité de 1945. Ce constat est d’autant plus alarmant que la relève politique n’est pas clairement visible aujourd’hui et que le président compte se représenter en 2020. La capacité de résilience des Américains face aux épreuves reste l’une des rares et précieuses lueurs d’espoir.
 
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Donald Trump élections Politique américaine Etats-Unis