19
juin
2023
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Le secrétaire d'État américain Blinken rencontre le président chinois Xi Jinping, Pékin - 19 juin 2023
Marc JULIENNE, interrogé par Théophile Simon pour La Tribune de Genève

"Pékin et Washington semblent irréconciliables à court terme"

Les contentieux entre les deux superpuissances sont trop importants pour permettre une véritable reprise du dialogue, estime le spécialiste Marc Julienne. Le suspense a été maintenu jusqu’au dernier moment. Xi Jinping allait-il offrir une entrevue à Antony Blinken pour parachever son voyage à Pékin?

 

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Arrivé dimanche, le secrétaire d’État américain a d’abord enchaîné de longs entretiens avec ses homologues Qin Gang (Ministère des affaires étrangères) et Wang Yi (Parti communiste).
Puis, à l’issue d’échanges «francs mais constructifs», l’agenda du président chinois s’est subitement libéré, permettant la plus importante visite diplomatique entre Pékin et Washington depuis 2018.Pour Marc Julienne, spécialiste de la Chine à l’Institut français des relations internationales (IFRI), la relation sino-américaine continue de se dégrader.
 

Que retenez-vous de cette visite d’Antony Blinken?

D’abord la dureté des éléments de langage des diplomates chinois. Pékin a ainsi dit ouvertement que la relation bilatérale est au plus bas depuis la reconnaissance mutuelle des deux pays en 1979 et que ce sont les États-Unis qui ont une «vision erronée» de la Chine. La partie chinoise signifie implicitement qu’elle n’a rien à se reprocher et que les États-Unis doivent faire le premier pas pour apaiser les tensions. Je retiens aussi l’absence d’avancée concrète dans quelque domaine que ce soit, si ce n’est la volonté de reconstruire un dialogue de haut niveau et de renouer les échanges sur le plan humain. La visite d’Antony Blinken a donc permis de relancer le dialogue. Mais pas d’avancer sur la manière de stabiliser la relation.

Pourquoi les deuxsuperpuissances veulent-elles renouer le dialogue?

La Chine et les États-Unis ont tous deux intérêt à faire baisser les tensions. Pour les Américains, il s’agit de pousser Pékin à rouvrir les canaux de communication militaires et à cesser les manœuvres hostiles en mers de Chine méridionale et orientale et dans le détroit de Taïwan. Les Chinois, pour leur part, veulent que Washington lève les mesures de contrôle d’exportation sur les semi-conducteurs haut de gamme, qui grèvent les capacités d’innovation de la Chine.

En attendant une percéesur ces dossiers clés, y a-t-il d’autres sujets sur lesquels Chine et États-Unis peuvent avancer?

Les Américains mettent en avant des domaines de coopération comme la lutte contre le changement climatique, les questions de santé mondiale, la macroéconomie ou la recherche contre le cancer. Mais il n’y a hélas eu aucune annonce concrète sur ces sujets, les différends technologiques et militaires bloquant toute avancée sur d’autres dossiers. Les dirigeants chinois ont en effet une perception bien ancrée selon laquelle les États-Unis conduisent à l’égard de la Chine un endiguement économique, technologique et militaire.

Les divergences entre Pékin et Washington sont donc trop importantes pourêtre surmontées à ce stade?

Les États-Unis veulent croire qu’il est possible de «rivaliser vigoureusement» dans les domaines de l’économie et de la technologie tout en maîtrisant le risque de dérapage vers un conflit militaire. Le problème est que la Chine ne l’entend pas de cette oreille. Pour Pékin, il n’est pas possible de dissocier l’économie et la technologie de la question militaire, car le développement de son armée est conditionné par un accès aux technologies de pointe. Or, les Américains ne feront aucune concession sur le plan technologique, car ils craignent que les technologies transférées à la Chine ne permettent à Pékin de développer des armes nucléaires, des missiles hypersoniques ou des technologies de surveillance qui pourraient un jour se retourner contre les États-Unis. C’est pourquoi les différends entre les deux grandes puissances semblent irréconciliables à court terme.

 

>> Retrouvez l'interview sur le site de La Tribune de Genève

 

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