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Les bases militaires ultramarines françaises apparaissent vulnérables

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Dans une étude inédite conduite pour les états-majors, l’Institut français des relations internationales appelle à un renforcement des forces de présence et de souveraineté. Des forces françaises sont déployées tout autour du globe, de la Guyane au canal du Mozambique, des Emirats arabes unis (EAU) à la Polynésie, et ces 10 000 militaires sont présentés comme les sentinelles des intérêts nationaux.

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Mais ces vigies sont fragiles, alerte une copieuse étude réalisée pour le compte des états-majors des trois armées par l’Institut français des relations internationales (IFRI), publiée dans une version contrôlée, jeudi 27 février. Sans des réorganisations et des moyens, ces avant-postes sont menacés à l’horizon 2035, préviennent en substance ses auteurs, Elie Tenenbaum, Morgan Paglia et Nathalie Ruffié.

Fruits de la colonisation et de la géopolitique récente – telle la base d’Abu Dhabi ouverte en 2011, 700 soldats – les dix « points d’appui » existants offrent à Paris un avantage stratégique considérable : renseignement, accès à une immense zone économique exclusive (ZEE), observation (devenue cruciale) de l’espace depuis la Terre, réserve de forces pour les opérations militaires d’Afrique ou du Moyen-Orient. La France dispose dans son outre-mer et à l’étranger du deuxième réseau mondial de bases, derrière les Etats-Unis (600 sites et 195 000 soldats) et devant le Royaume-Uni (6 sites et 6 500 personnes).

Prédation des ressources

La première menace vient des nouveaux venus sur la scène globale, qui se déploient avec la volonté de sanctuariser leurs intérêts. L’étude s’inquiète clairement de la Chine. « La stratégie militaire militaire publiée par Pékin en 2015 a fait tomber le masque, avec l’adoption ouvertement assumée d’une bascule d’effort d’une logique de défense au large des côtes vers une stratégie de “protection de haute mer” », rappelle le document. Pékin a implanté des infrastructures portuaires à Djibouti, Mergui (Birmanie), Chittagong (Bangladesh), Hambantota (Sri Lanka), Gwadar (Pakistan). Elle « a considérablement accru son influence aux Maldives ».

La prédation des ressources, réelles ou potentielles, accroît cette pression : pêche (partout), métaux rares en Polynésie, nodules dans l’océan indien, demain pétrole et gaz dans les 650 000 km² de ZEE française ceignant les îles Eparses où la souveraineté française est contestée principalement par Madagascar. L’étude souligne que « cette surface considérable couvre les deux tiers du canal du Mozambique, faisant de ce dernier quasiment une possession de la France » autour de Madagascar. La mission de surveillance des pêches y représente le coeur des opérations des frégates Nivôse et Floréal. Les îlots font l’objet de rotations de quarante à soixante jours pour assurer une présence française permanente, sous la forme d’un détachement de 15 militaires.

La France anticipe que les milices chinoises pratiquant la pêche illégale, qui agissent déjà en Mer de Chine du sud « sous le seuil » de la riposte militaire « pour assoir la souveraineté chinoise », seront demain importées dans les zones d’intérêt national, accompagnées de flottilles militaires. « Tout ce qui n’est pas surveillé est pillé », répète le chef d’état-major de la marine.

Risques d’entraves par des manœuvres « anti-accès »

Au-delà, explique l’Ifri, la compétition entre puissances risque d’entraver la liberté d’agir de la France, par des manœuvres « anti-accès ». D’ici à 2035, l’émergence des puissances aéronavales chinoise et indienne et leurs nouvelles capacités de projection de forces « pourrait se révéler lourde de conséquences ». Avec la prolifération des missiles longue distance, de plus, « des zones jusqu’alors hors de portée de toute menace conventionnelle, comme la Polynésie française, ne seront à l’avenir plus aussi isolées qu’auparavant. » Or, les bases prépositionnées « peuvent représenter les premières cibles de la stratégie adverse d’interdiction », estiment les experts, car leur autonomie est faible. « Le dispositif n’est pas pensé aujourd’hui comme un outil de défense – et encore moins d’attaque – autonome. »

Dans le Pacifique, les deux îlots inhabités Matthew et Hunter, revendiqués par le Vanuatu mais administrés par le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, forment un bon exemple des failles de l’empire. Depuis que la Chine appuie les revendications du Vanuatu, « cet enjeu qui pourrait sembler anodin a pris une dimension nouvelle ». En 2018, une information – démentie – a mentionné une négociation pour ouvrir une base chinoise dans l’archipel. Pékin a fourni des véhicules militaires à Port-Vila (la capitale du Vanuatu), une aide au développement, et, surtout, a acquis la majeure partie de la dette du petit archipel. Mêmes craintes en Polynésie, où une entreprise chinoise finance une ferme aquacole géante de 28 km² pour 350 millions d’euros, tandis que des projets chinois de reprise de l’aéroport de Tahiti Fa’a sont évoqués.

Forces « tournées vers le bas du spectre » 

Comment répondre ? « Le dispositif français a perdu au cours des vingt dernières années la moitié de ses effectifs », souligne les chercheurs. Ils évoquent une force aérienne « anémiée », des bases « dépourvues de systèmes de défense active », et rappellent que la marine va manquer de patrouilleurs pendant plusieurs années faute d’investissements en temps et en heure. Selon eux, les forces, « tournées vers le bas du spectre » – les crises de faible niveau en jargon militaire – doivent être réévaluées.

Aujourd’hui, seule la base des EAU s’intègre dans une possible réponse de haute intensité - l’Ifri rappelle que l’accord d’assistance militaire signé par Nicolas Sarkozy en 2009 prévoit de « dissuader et repousser toute agression qui serait menée par un ou plusieurs Etats », dispositions qui impliquent nécessairement la France dans tout scénario de conflit armé avec l’Iran.

La France doit donc investir dans ses « points d’appui » et attirer plus de partenaires, suggère le document. Qui préconise l’ouverture d’une nouvelle implantation dans la zone indo-pacifique, à Singapour, en Malaisie, ou à Brunei.

 

Copyright Nathalie Guibert / Le Monde

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