03
jan
2020
Espace Média L'Ifri dans les médias
Adel BAKAWAN, interrogé par Thomas Guien pour LCI.

Frappes américaines à Bagdad : "Rien n'empêche désormais l'Iran de pratiquer la politique de la terre brûlée en Irak"

Le puissant général iranien Qassem Soleimani et un dirigeant pro-iranien ont été tués tôt vendredi dans un raid américain à Bagdad. Cette attaque pourrait provoquer un embrasement dans la région, comme l'explique à LCI le chercheur Adel Bakawan.

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Un assassinat ciblé aux conséquences imprévisibles. Le général iranien Qassem Soleimani, figure-clé de l'influence de la République islamique au Moyen-Orient, a été tué dans un raid américain dans la nuit de jeudi à vendredi à Bagdad. Un coup dur pour Téhéran, qui promet des représailles. Mais aussi pour l'Irak, plus que jamais au bord du précipice, comme l'explique à LCI Adel Bakawan, chercheur associé à l'IFRI et dirigeant du Centre de Sociologie de l'Irak (CSI).

La mort du général Soleimani constitue-t-elle un revers pour le pouvoir iranien ?

Un mythe disparaît. Un mythe qui s'est construit au fil des ans, le général Soleimani ayant été un héros de guerre, un combattant qui se trouve là où les crises se déroulent : au Yémen, en Iran, au Liban, en Irak…  Les grands chefs d'Etat, quand ils se rendaient à Téhéran, demandaient à le rencontrer après leur entrevue avec l'ayatollah Khomeini. C'était le cas de Vladimir Poutine : il savait que la politique iranienne au Moyen-Orient était construite, dirigée par Qassem Soleimani.

Les menaces proférées au lendemain de sa mort par les autorités iraniennes sont-elles les prémices d'un conflit armé ?

Il est probable que la République islamique iranienne opte pour une stratégie de vengeance, et non une guerre. Depuis l'annonce de la mort du général, personne n'a parlé dans les médias de conflit, que ce soit les ministres ou les milices. Si une vengeance sur le sol américain est peu probable, celle-ci aura lieu : elle prendra du temps, elle n'aura pas lieu ces prochaines heures. Mais elle aura lieu. Et sans doute en Irak. Pour plusieurs raisons. Car c'est en Irak que Qassem Soleimani et Abou Mehdi al-Mouhandis (ndlr : numéro deux de la coalition de paramilitaires majoritairement pro-Iran désormais intégrés à l'Etat irakien) ont été tués ce vendredi. Ensuite, c'est en Irak que la République iranienne dispose à la fois de milices lourdement armées et institutionnalisées par l'Etat irakien. Elles font partie intégrante de ce dernier. Rappelons que l'Iran investit chaque année pour ces milices deux milliards de dollars. En outre, l'Iran dispose d'une base sociale forte en Irak.

  • "Les conséquences seront dramatiques pour la société irakienne"

 

L'Irak pourrait donc faire les frais de la mort de ce puissant général iranien ?

Pour comprendre les éventuelles conséquences de la mort de Soleimani, il faut rappeler que la société irakienne est composée de deux grandes catégories : celle qui, depuis le mois d'octobre, réclame la fin du système politique mis en place par Washington et prône le slogan "L'Irak doit rester libre, l'Iran dehors". La seconde catégorie, qui a une histoire de plusieurs siècles, descend dans la rue ces jours-ci. Son slogan ? "L'Amérique dehors, l'Iran doit rester libre". Eux voient à travers la liberté de l'Iran celle de l'Irak. Ils ne font pas la différence entre les deux pays. Au final, les conséquences seront dramatiques pour la société irakienne. Toutes les hypothèses sont sur la table. La guerre civile entre les deux catégories au sein de la population, le dérèglement de l'Etat, mais aussi la résurgence – qui a déjà débuté – du groupe Etat islamique. Dans ce contexte, rien n'empêche désormais l'Iran de pratiquer la politique de la terre brûlée en Irak.

 

Retrouvez cette interview sur le site de LCI.
 
 
Mots-clés
Etats-Unis Irak Iran