20
mar
2019
Espace Média L'Ifri dans les médias
Alice EKMAN, citée par Frédéric Lemaître, Brice Pedroletti et Jean-Pierre Stroobants dans Le Monde

L’UE durcit le ton face à la Chine

Le président chinois, Xi Jinping, est attendu en Italie, à Monaco et en France à partir du 21 mars. L’Union européenne cherche à surmonter ses divergences, alors que Rome s’apprête à signer un accord-cadre avec Pékin.

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C’est une tournée européenne attendue que celle que débute Xi Jinping en Italie, jeudi 21 mars, avant de se rendre à Monaco puis en France du 24 au 26 : comme pour les précédentes, cette succession de visites bilatérales forme un tout hautement significatif pour l’Union européenne. Chaque étape est en principe pour le président chinois l’occasion d’un grand exercice de communication et de promotion de son projet phare des « nouvelles routes de la soie », ou initiative « Belt and Road » (BRI, selon le sigle anglais). Mais c’est aussi le moment choisi par les Etats membres pour s’entendre sur uane nouvelle réponse européenne aux ambitions – et ambiguïtés – chinoises, sous la forme d’un plan d’action. Un tournant, si l’UE réussit à surmonter ses divergences.

M. Xi sera certes à la fête en Italie, qui pourrait devenir le premier pays du G7 à signer un mémorandum d’entente avec Pékin sur la BRI. Une dizaine d’autres Etats européens l’ont fait depuis 2015, mais la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni s’y sont toujours refusés. Les Chinois s’intéressent également au port de Trieste – qui leur donnerait une place bien plus centrale en Europe, d’un point de vue commercial mais aussi stratégique, que le Pirée en Grèce, passé entièrement sous contrôle chinois en 2016.

Non formellement membre de l’UE, la principauté monégasque, pour laquelle les flux financiers ou touristiques en provenance de Chine sont autant de bonus, incarne une victoire symbolique pour Pékin. L’opérateur Monaco Telecom, propriété de Xavier Niel (actionnaire à titre personnel du Monde), a signé un accord avec le groupe chinois de télécoms Huawei, qui fera du Rocher le premier pays entièrement couvert en 5G.

Dans l’Hexagone, Emmanuel Macron défend, au côté de l’Allemagne, une exigence de réciprocité vis-à-vis de la Chine et de la BRI, qui se retrouve au cœur du plan d’action en dix mesures que la Commission européenne présentera aux dirigeants européens lors du Conseil européen des 21 et 22 mars. Ce plan se fonde sur une nouvelle « perspective stratégique » au sujet de l’initiative chinoise, un document expressément élaboré pour « clarifier » les implications multiples des « nouvelles routes de la soie » – économiques, commerciales, technologiques mais aussi sécuritaires.

 

« Risques sécuritaires »

Pour la première fois, la Chine y est décrite comme un « rival systémique soutenant des modèles alternatifs de gouvernance » et un « concurrent économique en quête de leadership technologique ». Même les prétentions territoriales chinoises en mer de Chine du Sud, et le refus de Pékin de reconnaître le jugement à ce sujet de la cour d’arbitrage de La Haye en 2016, y sont épinglées, car elles « affectent l’ordre juridique international » et « compliquent la résolution des tensions autour de voies de communication maritimes vitales aux intérêts européens ». De même, l’accroissement rapide des capacités militaires chinoises, couplé à sa montée en gamme technologique, « présente des risques sécuritaires pour l’Union européenne dans un délai court et moyen ».

A Bruxelles – où la haute représentante européenne pour les affaires étrangères, Federica Mogherini, a reçu lundi 18 mars le chef de la diplomatie chinoise, Wang Yi –, l’opération de séduction de la Chine vis-à-vis de l’Europe, fondée sur leurs supposées convergences en matière de multilatéralisme ou d’objectifs climatiques face aux reculades de l’administration Trump, n’est pas parvenue à convaincre.
 

  • « On a vu en fait émerger dans les centres de recherche à Washington, Bruxelles, Paris et Berlin, une analyse convergente sur la Chine, constatant un durcissement du contexte politique intérieur, une réforme des entreprises d’Etat qui n’avance pas, des accès au marché chinois toujours très réglementés, et des inquiétudes renforcées sur ce que la Chine veut faire à l’extérieur »estime Alice Ekman, qui a dirigé pour l’Institut français des relations internationales (IFRI) l’étude « La France face aux “nouvelles routes de la soie” chinoises ». 

Ces analyses communes entre Etats-Unis et UE ont toutefois abouti à des conclusions différentes : Washington a choisi les sanctions, l’Europe cherche à s’entendre sur une méthode.

Pour le sinologue François Godement, conseiller pour l’Asie à l’Institut Montaigne, le plan d’action annoncé le 12 mars constitue une « révolution copernicienne » : pour la première fois, note-t-il, la Commission propose un délai pour la négociation avec la Chine d’un accord d’investissement en 2020 – la Chine faisant traîner les choses depuis sept ans. L’enjeu est de limiter le chantage aux transferts de technologie lors d’investissements européens en Chine, et d’accéder aux marchés publics chinois et à des secteurs jusqu’à présent verrouillés.

Une autre mesure appelle à l’entrée en application rapide de « l’instrument de filtrage des investissements directs étrangers pour des motifs de sécurité », voté au Parlement européen en février – avec, pour cible, sans la nommer, la Chine. Et à l’adoption d’une « approche commune dans le domaine de la sécurité des réseaux 5G », visant Huawei. Autant de contraintes auxquelles la Chine cherche à se soustraire en multipliant les promesses et les propositions estampillées « nouvelles routes de la soie ». 

 

  • « Le label BRI permet à la Chine de nouer d’innombrables partenariats, auprès de pays, d’institutions, de centres de recherche qui portent les priorités chinoises et les “multilatéralisent”, tout en évitant de parler du reste »analyse Alice Ekman.

 

Tiraillements

La Commission, qui avait déjà durci le ton envers Pékin en 2012 et 2016, s’était heurtée jusqu’ici à l’opposition du Royaume-Uni et des pays scandinaves. Ces derniers restent sceptiques, mais le Brexit les prive évidemment d’un allié de taille. Cette fois, c’est l’Italie qui fait bande à part. Les tensions entre Rome et Bruxelles, ainsi qu’avec Paris, encouragent ses dirigeants à jouer la carte chinoise. Un « mythe », selon M. Godement : « Faire appel aux capitaux chinois, dans le cadre des routes de la soie, en s’attendant à des mises de fonds considérables est une idée préconçue. Les Chinois promettent beaucoup mais investissent peu. »

Pékin a pris note des inquiétudes européennes. L’éditorial du 18 mars du China Daily relève que le document européen, qualifiant la Chine tout à la fois de « partenaire », de « concurrent » et de « rival », montre que « l’Europe reste plus ou moins ambivalente » face à la Chine « malgré sa volonté générale de travailler avec elle ».

Aux yeux des Chinois, Pékin peut difficilement ne pas donner la priorité aux relations bilatérales quand les tiraillements de l’attelage européen sont aussi visibles à l’heure du Brexit, de la montée des populismes ou même des « gilets jaunes » en France. « L’intégration de l’Union européenne est confrontée à des défis sans précédent. La vague populiste contre cette intégration prend de l’ampleur et aura certainement un impact important », explique au Monde Feng Zhongping, vice-président de l’Institut chinois des relations internationales contemporaines (Cicir).

 

Nouveaux débouchés

« La plupart des chercheurs chinois pensent que l’Union européenne est en train de s’affaiblir », prévient Wang Peng, chercheur associé à l’Université du peuple, à Pékin. En cause, selon lui, un élargissement à l’Est « excessif », qui a sous-estimé « l’immense fossé qui sépare l’Est et l’Ouest du continent dans le domaine économique et social ».

Les Européens se savent toutefois vulnérables en cas de guerre commerciale entre Chine, Etats-Unis et Europe. Une étude récente de l’agence Eurofound a montré que si Donald Trump mettait ses menaces protectionnistes à exécution, la Chine chercherait rapidement de nouveaux débouchés en Europe, concurrençant davantage encore ses producteurs. Avec sa croissance faible, et surtout dépendante de ses exportations, l’UE souffrirait davantage que ses deux rivaux. En 2017, elle a exporté 198 milliards d’euros de biens vers la Chine, et importé 375 milliards. Pour les services, le déséquilibre reste pour l’heure à son avantage : 45 milliards contre 28. D’où, sans doute, l’urgence d’adopter un plan d’action.

 

Frédéric Lemaître (Pékin, correspondant) , Brice Pedroletti et Jean-Pierre Stroobants (Bruxelles, bureau européen)

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