06
avr
2022
Espace Média L'Ifri dans les médias
Vladimir Poutine, Président de la Fédération de Russie
Claude-France ARNOULD, interviewé par Richard Godin pour L'Obs

« Pérenniser les sanctions contre la Russie pourrait nous marginaliser jusqu’à une perte d’influence »

Après la découverte de massacres de civils dans des villes et villages de la région de Kiev repris aux troupes russes, l’UE a annoncé vouloir instaurer un cinquième train de mesures contre Moscou. Mais quels seront leurs effets sur le temps long ? Quelles peuvent être leurs conséquences ? Entretien avec la diplomate Claude-France Arnould, conseillère du président de l’Institut français des Relations internationales (Ifri) pour les affaires européennes et ancienne ambassadrice.

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La Commission européenne a proposé mardi 5 avril aux Vingt-Sept de durcir les mesures contre Moscou, en arrêtant leurs achats de charbon russe (45 % des importations de l’Union européenne) et en fermant les ports européens aux bateaux russes. Un cinquième train de sanctions qui s’ajoute à l’intense pression économique et diplomatique sur le régime de Vladimir Poutine, déjà visé par un épais mille-feuille de mesures décidées à travers le monde.

Si le conflit dure encore, la question de la pérennisation des sanctions instaurées va se poser. Les Occidentaux continueront-ils de soutenir les Ukrainiens comme le réclame Volodymyr Zelensky ? Ou voudront-ils atténuer les conséquences sur l’économie mondiale ? « L’Obs » fait le point avec la diplomate Claude-France Arnould, conseillère du président de l’Institut français des Relations internationales (Ifri) pour les affaires européennes et ancienne ambassadrice.

Les sanctions mises en place contre la Russie depuis le début de la guerre en Ukraine peuvent-elles devenir permanentes ?

La pérennisation des sanctions est un scénario envisagé si le conflit dure longtemps. L’option actuelle est même de renforcer ces sanctions. Il faut cependant veiller à ce que du côté russe, il n’y ait pas une acclimatation qui rendrait ces sanctions inefficaces du fait des alternatives trouvées avec d’autres partenaires. On constate également une anticipation des sanctions et donc une adaptation de l’économie russe depuis l’annexion de la Crimée [en 2014] pour rendre la Russie davantage résiliente.

Quelles seraient les conséquences d’une pérennisation des sanctions ?

Du côté européen, il y a une adaptation progressive pour essayer de diminuer la dépendance énergétique à la Russie, ainsi qu’au niveau de l’approvisionnement alimentaire et de certains matériaux. Nous chercherons des alternatives pour nous adapter à la hausse des prix que cela implique.

En revanche, il ne faut pas oublier l’effet de ces sanctions sur d’autres parties du monde qui pourraient être gravement touchées, notamment au niveau alimentaire. Cela pourrait avoir des conséquences très dommageables qu’on ne mesure pas aujourd’hui, en particulier pour les pays africains. Mais aussi dans nos relations avec ces pays parce qu’ils nous demanderaient des comptes sur le fait que nous les avons mis en difficulté, au moment même où la Russie et la Chine mènent une guerre d’influence sur le continent.

Quelle serait la meilleure option à envisager ?

Il faut se placer sur le temps long et analyser très rationnellement les effets de ces sanctions. On ne les prend pas pour dire qu’on en prend mais pour qu’elles aient un effet. Donc il faut étudier très précisément et sereinement l’impact négatif de ces sanctions pour ceux que l’on vise, l’impact sur nous et sur la solidarité qu’on peut conserver sur le long terme, mais aussi l’impact sur nos partenaires en Afrique, au Moyen-Orient… Je crois que cela doit se faire avec une certaine indépendance de jugement, au niveau européen. Il faut mettre dans la balance les conséquences délétères pour nos entreprises et les éventuels effets d’aubaine qui peuvent apparaître du côté de nos adversaires.

Il y a aussi une division claire du monde. Lors des différents votes à l’ONU, beaucoup d’Etats ont voté comme les Européens et les Nord-Américains mais beaucoup d’autres n’ont pas voulu sanctionner ou condamner la Russie, comme la Chine, l’Inde et une grande partie du Moyen-Orient. Il faut analyser très sérieusement le fait que si nous nous mettons dans une politique de prolonger et aggraver les sanctions, cela risque d’aboutir à peu d’effets tout en nous marginalisant jusqu’à une perte d’influence.

Peut-on envisager de couper définitivement les liens avec la Russie ?

C’est une option évoquée par certains, mais je ne crois pas que cela puisse nous mener vers une solution plus efficace pour mettre fin au conflit en Ukraine. Il n’y a pas eu de rupture des relations diplomatiques dans les pires moments de la guerre froide et cela a permis de nous protéger contre un certain niveau d’escalade militaire.

La rupture des liens avec la Russie n’est donc pas du tout souhaitable. Ce n’est pas une bonne option pour ce que nous voulons défendre, c’est-à-dire la paix en Europe. Il ne faut pas la défendre à tout prix, mais il n’y a rien à gagner à couper les relations diplomatiques. Imaginer la situation actuelle sans dialogue, c’est déraisonnable. La Russie concentre beaucoup d’acteurs, donc il y a tout à gagner à garder des liens malgré l’horreur. Parfois, rompre ces liens a pour effet de renforcer le soutien à ceux dont on condamne les exactions.

Si les Ukrainiens et les Russes trouvent entre eux une solution au conflit, faut-il retirer les sanctions ?

La négociation de la paix se fera de toute façon entre les Ukrainiens et les Russes. Si une solution pacifique acceptable pour les deux parties est trouvée, nous n’aurons pas de raisons de continuer à appliquer des sanctions qui sont toujours douloureuses des deux côtés. Il faut en revanche tirer les leçons de ce que l’on a vécu et donc veiller à notre indépendance d’approvisionnement, notre mix énergétique et notre autonomie stratégique. Nous devons rester vigilants, mais nous n’avons aucune raison de maintenir les sanctions si les deux principaux acteurs du conflit trouvent une solution.

 

> Lire l'interview sur le site de L'Obs

 

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Sanctions occidentales Vladimir Poutine Russie Ukraine