08
nov
2021
Espace Média L'Ifri dans les médias
Paul MAURICE, cité par Laurent Marchand dans Ouest France

Politique économique en Allemagne : un rigoriste aux Finances ?

Alors que les négociations entre les partis pressentis pour former une coalition (SPD, Verts, FDP) sont en cours, un portefeuille sensible suscite toutes les attentions : celui des finances. L’Europe s’interroge sur la nature de la politique économique qui dominera à Berlin. À la fois sur le Pacte de stabilité, suspendu à cause de la pandémie et qui devrait faire l’objet de négociations, et sur les emprunts européens émis pour la première fois avec le plan de relance.

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Car, comme le relevait Adam Tooze, professeur à Columbia, dans un article remarqué du Guardian le 20 octobre 2021, dans les faits​, cette nomination va déterminer les perspectives non seulement du prochain gouvernement allemand, mais de l’Europe ».

 

Que fera Christian Lindner ?

Des trois partis (les sociaux-démocrates du SPD, les Verts et les Libéraux du FDP) qui négocient actuellement le contrat de la future coalition, c’est effectivement le libéral Christian Lindner qui est en pole position. C’est à la fois son ambition personnelle et le thème dominant de son propre parti.

C’est aussi un chantre de la rigueur et il est considéré en matière de politique budgétaire comme un authentique faucon. D’où les inquiétudes à Paris et dans les autres capitales, notamment dans les pays du Sud de l’Union européenne. Partisan de moins d’État, de moins d’impôts, alertant sur les effets du retour de l’inflation, Christian Lindner avait été l’un des politiques allemands les plus durs, au moment de la crise grecque, en matière de rigueur budgétaire.

Alors que le Pacte de stabilité est suspendu jusqu’à la fin de 2022, une difficile négociation au niveau européen va avoir lieu au printemps, pour définir les contours d’un retour à la normale. Avec les mêmes critères (non tenables pour beaucoup de pays surendettés par les crises à répétition) ? Ou avec des critères assouplis ? C’est tout l’enjeu.

Jeudi 4 novembre 2021, dans un long entretien à la Frankfurter Allgemeine Zeitung , Christian Lindner a lancé quelques pavés dans la mare des Verts, en se positionnant pour un retour graduel au Pacte de stabilité. Ce dont nous discutons, c’est de finances soutenables et de politiques en mesure de limiter les risques d’inflation.​ Il est important que le prochain gouvernement, pour la rédaction de son premier budget, remplisse toutes les conditions de la solidité ».

 

Berlin à la croisée des chemins

Doit-on s’attendre à un nouvel esprit, plus souple, lié aux circonstances exceptionnelles que nous traversons, dans la lignée de la tribune en faveur des eurobonds qu’une série d’économistes allemands avaient publiée dans les colonnes du Monde en mars 2020 ? Ou bien faut-il se préparer au retour d’une figure semblable à Wolfgang Schäuble, le ministre de fer, qui durant huit ans a tenu fermement les comptes publics allemands ?

  • C’est une question que se posent les Européens, mais qu’on se pose aussi en Allemagne », nous dit Paul Maurice, chercheur au Comité d’études des relations franco-allemandes de l’IFRI. On est vraiment à la croisée des chemins, entre une politique consistant à dire que l’orthodoxie budgétaire nous permet d’avoir de l’avance, c’est l’argument d’Olaf Scholz, regardez en cas de crise je peux sortir le bazooka budgétaire ; et de l’autre côté, on sait qu’il y a des manques d’investissement dans les infrastructures qui sont défaillantes, dans les bâtiments publics, les routes, et cela a aussi des conséquences.​
  • Quel est le poids des nouveaux économistes, plus souples que la vieille garde ? On est vraiment entre deux générations en Allemagne, la génération à laquelle appartient Scholz, et les plus jeunes, qui souhaiteraient quelque chose d’un peu moins rigoriste, estime Paul Maurice. Il y a eu un changement de génération parmi les économistes allemands ​, affirmait récemment dans un entretien au Monde Gabriel Felbermayr, directeur (autrichien) de l’Institut pour l’économie mondiale de Kiel.
On a vu émerger une analyse plus moderne et plus internationale, moins marquée par les idéologies, de l’expérience des dix dernières années. Beaucoup d’économistes des nouvelles générations ont affirmé qu’on ne peut pas dire que l’Union européenne soit dotée de structures efficaces et solides. L’idée s’est imposée peu à peu que nous avions besoin d’une politique budgétaire plus forte au niveau européen.
  • Mais au final, l’Allemagne veut-elle vraiment changer de ligne, notamment sur le Pacte de stabilité ? La position de Scholz reste ferme sur ce sujet, estime Paul Maurice. Si les Finances reviennent au FDP, il y aura quand même une volonté de maintenir le Pacte de stabilité.​

 

L’inflation, le spectre des Allemands

Alors que le retour de l’inflation s’est fait particulièrement sentir en Allemagne au troisième trimestre (plus de 4 %), la rigueur (tactique ou de conviction) de Christian Lindner a donc des chances de capter l’inquiétude des épargnants allemands. Christine Lagarde, la cheffe de la Banque centrale européenne, sera particulièrement sous pression dans les prochains mois, pour amorcer un changement de cap.

Alors que la négociation pour la formation de la nouvelle coalition entre dans sa phase décisive le 10 novembre, un autre ministre des finances que Lindner est-il envisageable ? Si vraiment cela bloque, la solution au dilemme serait la troisième voie, estime Paul Maurice. Il est possible qu’on essaye de trouver une personnalité un peu neutre, avec un profil d’expert, pour dépolitiser et dépassionner ce poste. Et offrir à Lindner un autre poste important pour faire bonne figure. Si cela bloque. Après, le FDP n’est pas le parti majoritaire, c’est le troisième parti. Et le SPD a une politique à mettre en œuvre.​

 

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