07
oct
2019
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Adel BAKAWAN, propos recueillis par Agnès Rotivel pour La Croix

« La protection américaine était à ce jour la seule garantie des Kurdes de Syrie »

Doit-on « se préparer au pire » dans le nord de la Syrie ? le point de vue d’Adel Bakawan (1), sociologue, directeur du centre de sociologie de l’Irak (CSI), université de Soran, chercheur associé à l’Institut français des relations internationales (IFRI).

La Croix

On sait pas encore si l’Administration américaine, et surtout le Pentagone, sont d’accord avec la décision prise tard dans la nuit, à la surprise de tous, par Donald Trump. Car il y a un précédent : en janvier dernier, le président américain avait déjà annoncé qu’il retirait ses 2 000 soldats de Syrie –, qui combattaient Daech auprès des Kurdes et avait permis la reconquête de Racca. Sous la pression du Pentagone et des diplomates américains, il avait reculé. Donc, il faut d’abord observer ce qui va se passer.

Mais si cette décision, telle qu’annoncée par le chef de la Maison-Blanche et le président turc Recep Tayyip Erdoğan, se met en place, les conséquences seront dramatiques en premier lieu pour les Kurdes de Syrie. Car ceux-ci existent aujourd’hui comme entité politique et administrative en grande partie grâce à la protection des Américains. Les Kurdes du Rojava sont menacés par Damas, par la Turquie, par Daech, ils ont de très mauvaises relations avec le gouvernement régional du Kurdistan irakien, avec qui ils partagent une frontière, ils ont une relation relativement tendue avec l’Iran, et la Russie n’est pas très heureuse de leur relation avec les États-Unis.

La protection américaine était à ce jour leur seule garantie. En la retirant, les Kurdes de Syrie se trouvent en grand danger. Quelles sont leurs options ? Elles sont toutes dramatiques. La première est de chercher un accord avec le parti Baas de Damas, c’est-à-dire avec le régime de Bachar Al Assad. Or, on sait très bien que dans l’idéologie baasiste, ils sont bienvenus en tant que Syriens mais pas en tant que Kurdes syriens, donc un accord avec Damas signe la fin de leur existence politique. Mais elle leur assure la protection de leur territoire, de leur ville, de leur population par un pouvoir « légitime », car à ce jour il y a toujours un État syrien, reconnu internationalement. Donc la Turquie n’a pas de raison d’agir dans ce territoire.

La deuxième option est de demander une intervention de la Russie, ce qui est peu probable car Moscou – et Téhéran –, les deux acteurs du conflit syrien sont liés par des accords bilatéraux avec Ankara. La Turquie ne peut pas intervenir en Syrie sans en référer à Moscou et Téhéran.

La troisième option, c’est Daech : dans leurs prisons, les Kurdes de Syrie ont quelque 10 000 combattants de l’organisation islamique. S’ils les libèrent, les Kurdes radicaliseront la nature du conflit à la fois avec la Turquie, mais aussi avec les pays de la région : la Syrie, l’Irak, la Jordanie. Les forces occidentales dans la région seront, elles aussi, en grand danger.

 

(1) Auteur de : « L’impossible État irakien, les Kurdes à la recherche d’un État », Éditions L’Harmattan, 186 pages, 19,5 €

Cet article est également disponible sur le site de La Croix.

 

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