02
jan
2019
Espace Média L'Ifri dans les médias
Carole MATHIEU, citée par Thibault Laconde dans Energie & Développement

A quoi s'attendre pour l'année énergétique et climatique 2019 ? La réponse par 5 experts.

Que réserve 2019 pour le climat et l'énergie ? Quels seront les sujets qui feront l'actualité ? Les tendances à suivre ? Comme chaque année, j'ai invité quelques experts à plancher sur la question. Voici leurs réponses :

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"L'énergie et le climat devront faire partie de la remise à plat du projet européen." - Carole Mathieu

Fin mai 2019 se tiendront les prochaines élections au Parlement européen, un scrutin sous haute tension qui risque de se conclure par une montée en puissance des partis eurosceptiques. Après le Brexit, les institutions bruxelloises ont pleinement conscience d'une menace de plus en plus pressante sur l'avenir de l'Union européenne (UE). À la veille des élections, elles feront des propositions pour rapprocher le projet politique européen des préoccupations citoyennes. L'énergie et le climat devront faire partie de cette remise à plat des priorités et des méthodes. Avec l'adoption du Paquet Energie Propre, l'UE a poussé jusqu'au bout une logique de règlementation détaillée d'un marché qui, pourtant, se trouve de plus en plus influencé par l'intervention des Etats.
La vision 2050 montre que la neutralité carbone est un objectif atteignable, mais qu'elle suppose des innovations technologiques et une reconfiguration profonde du paysage énergétique. Comment l'UE peut-elle apporter la contribution la plus utile ? Quelle est, aujourd'hui, la bonne traduction du principe de subsidiarité ? Une fenêtre s'ouvre pour conduire un débat responsable, et donner enfin un nouveau souffle à l'Europe de l'énergie.
Carole Mathieu est responsable des Politiques européennes de l'énergie et du climat à l'IFRI.

"Seule une véritable solidarité permettra de traiter l’enjeu climatique et de réduire la pauvreté énergétique, de la Corrèze au Zambèze." - Marie-Noelle Reboulet

Les mouvements sociaux comme les impacts des phénomènes météorologiques ont (re)mis sur le devant de la scène l’exigence de justice sociale. En France, l’injustice sociale c’est 3,3 millions de ménages dont la facture énergétique du logement dépasse 8% du revenu. Dans le monde, c’est 1 milliard de personnes sans électricité et 2,7 milliards qui cuisinent et se chauffent avec des systèmes insalubres. 
Certes il y a des améliorations et elles vont se poursuivre : légère baisse du taux de précarité énergétique en France, 36 % d’humains qui n’ont pas accès à une cuisson propre contre 46% en 2000 et, en Afrique, "en 2018 l’électrification du territoire a augmenté plus rapidement que la croissance démographique". Mais ces améliorations sont lentes au regard de leurs conséquences sur les conditions de vie. 
Je fais le vœu que les changements climatiques, en mettant en exergue notre dépendance réciproque et nos intérêts communs, nous pousseront à renouveler ce "sentiment qui pousse les hommes à s’accorder une aide mutuelle" qu’on appelle "solidarité". Seule une véritable solidarité climatique permettra que chacun accepte les efforts nécessaires pour le bien de tous. Une transition énergétique ambitieuse pourra alors contribuer à traiter l’enjeu climatique global et à réduire la pauvreté énergétique, de la Corrèze au Zambèze.
Marie-Noelle Reboulet est présidente du GERES.

"2019, l'année où les banques centrales et superviseurs financiers doivent avoir un effet bœuf." - Benoit Leguet

En 2017, la Banque de France rassemblait ses consoeurs, banques centrales et superviseurs bancaires et assurantiels, au sein du Network for Greening the Financial System.
En 2018, la vingtaine de membres et observateurs du réseau notait les progrès réalisés dans la prise en compte des risques climatiques par les superviseurs, et pointait en creux les marges de progrès : les critères de durabilité jouent aujourd'hui un rôle mineur dans la gestion des portefeuilles propres des banques centrales ; ces mêmes critères sont pris en compte de façon marginale dans les modèles utilisés par les banques pour évaluer leurs risques de crédit – modèles sur lesquels s'appuient les superviseurs ; et les risques liés au climat ne sont pas pris en compte dans la conduite de la politique monétaire. Parmi les institutions financières, selon Climate Chance, seuls 6% des investisseurs, 12% des gestionnaires d'actifs, et 49% des banques dans le monde affirmaient prendre des mesures de gestion de leurs risques liés au changement climatique. Ces risques restent mal connus et probablement très sous-évalués. Les réflexions méthodologiques, notamment sur l'utilisation de scénarios de changement climatique se sont néanmoins multipliées ces dernières années. 
En 2019, l'amicale pression des superviseurs financiers peut et doit accélérer le mouvement, pour contribuer, comme le demande l'Accord de Paris, à aligner les flux financiers avec l'atteinte d'un monde "zéro émissions nettes" et résilient au changement climatique.
Benoit Leguet est directeur général d’I4CE, Institute for Climate Economics.

"2019 peut être l'arrêt de mort ou l'acte de naissance de la mobilité bas carbone." - Marie Degremont

La taxe carbone millésime 2019 devait contribuer à accélérer la transition énergétique en France, notamment dans les transports, qui représentent 29% des gaz à effet de serre émis sur notre territoire. Las, cet outil économique s’est fracassé contre le mouvement des gilets jaunes. L’aspect social de la transition écologique, trop longtemps occulté, a fait une irruption violente sur la scène politique. Cette année sera décisive en la matière : elle peut être celle d’un enterrement de première classe des quelques mesures déjà engagées ; ou bien celle d’un nouveau départ, vers une transition plus ambitieuse et plus cohérente. Gageons que cette pause permettra d’expliciter les défis à relever, d’élargir le champ d’une transition qui doit être systémique. 

Le grand débat prévu au début de l’année devra faire prendre conscience que cette transition doit inclure l’ensemble des citoyens, quel que soit leur niveau de revenu. Il doit conduire à accepter une transformation profonde de nos sociétés. 
Pour la mobilité, puisque c’est de ce secteur qu’est partie l’étincelle de la crise de cet automne, des mesures concrètes doivent être prises. Il va falloir rendre accessibles des solutions de transport bas carbone hors des grandes villes : transport à la demande, covoiturage, petites lignes ferroviaires, par exemple. Il devra aussi être question de transformer le parc automobile, pour que cesse la folie des SUV et assimilés, au profit de véhicules moins lourds, moins puissants, plus économes. Il ne faudra pas oublier la question centrale de l’aménagement du territoire, qui doit être fondamentalement repensé : habiter loin de tout n’est pas soutenable, tant d’un point de vue environnemental, qu’économique et social.
Marie Dégremont est docteur en science politique et cheffe de projet "transition énergétique" chez France Stratégie

"Avec la prise de conscience des risques et des émissions toujours à la hausse, 2019 pourrait être l'année de l'adaptation au changement climatique." - Thibault Laconde

En 2018, la planète a connu des incendies de proportions bibliques de la Californie à la Grèce en passant par la Suède, des inondations au Japon et en Inde suivies de vagues de chaleur qui ont envoyé des dizaines de milliers de personnes à l'hôpital, l'ouragan Florence, le seul de catégorie 5 a s'être aventuré aussi loin au nord des États-Unis, des sécheresses dévastatrices en Europe centrale, en Afrique du Sud et en Australie... Bref rien de bien nouveau : les années précédentes avaient aussi eu leur lot de monstres climatiques et les prochaines continueront probablement à égrainer cette sombre litanie.
Et pourtant, il me semble qu'on a senti un frémissement en 2018, plus particulièrement pendant le creux de l'été alors que la torpeur était troublée seulement par l'accumulation des mauvaises nouvelles : une réalisation encore inachevée de l'ampleur de la catastrophe en cours. 2019 sera peut-être l'année où le voile se déchire ?
En attendant de plus en plus d'individus et d'organisations réalisent que les risques climatiques ne sont pas aussi éloignés dans l'espace et dans le temps qu'ils le pensaient. Cette prise de conscience combinée à la hausse continue des émissions de gaz à effet de serre pourrait bien faire de 2019 l'année où les efforts d'adaptation changent d'échelle. Puisque le risque est bien là et que nous ne parvenons pas nous entendre pour en traiter les causes, il est naturel de tenter de se protéger. Reste à voir si ce sera un chacun pour soi probablement contre-productif, où des murs et des digues s'élèvent autour d'ilots de richesses climatisés, ou si nous parviendrons à faire de l'adaptation au changement climatique un projet collectif et solidaire.
Thibault Laconde est consultant énergie-climat... et l'auteur de ce blog.

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