« La visite d’Emmanuel Macron dans le Pacifique vise à redéfinir une légitimité ébranlée »
Rétablir le lien entre la métropole et les territoires du Pacifique et revenir à une approche plus pragmatique sur le plan géopolitique, tels sont les enjeux du chef de l’Etat en Nouvelle-Calédonie et dans les îles océaniennes, analyse, dans une tribune au « Monde », Céline Pajon, spécialiste du Japon et de l’Indo-Pacifique.
Emmanuel Macron entreprend du 24 au 27 juillet une visite historique au cœur du Pacifique Sud. Après son passage en Nouvelle-Calédonie, il sera le premier président français à se rendre dans des îles océaniennes non françaises, Vanuatu et la Papouasie-Nouvelle-Guinée. Il souligne ainsi un paradoxe français dans la région : une influence diplomatique toute relative, malgré des territoires (Nouvelle-Calédonie, Wallis-et-Futuna, la Polynésie française), la plus vaste zone économique exclusive de la région, et la présence de deux forces de souveraineté avec plus de 2 700 militaires.
La visite présidentielle vise à redéfinir une légitimité ébranlée ces derniers mois, à l’échelle nationale, par la montée en puissance des indépendantistes et, sur le plan géopolitique, par la multiplication des initiatives de coopération, sous l’égide américaine et sans la France.
En Nouvelle-Calédonie, le président cherche à restaurer la confiance, après le référendum de décembre 2021 dont la légitimité est contestée par les indépendantistes. Ces derniers refusent de se joindre aux négociations pour sortir du processus de Matignon et déterminer le futur statut de l’île. Cette paralysie institutionnelle nourrit des tensions politiques et alimente les suspicions quant à la volonté des autorités françaises de poursuivre le processus de décolonisation.
Ces critiques, tout comme les contentieux et ressentiments liés aux essais nucléaires français en Polynésie française entre 1966 et 1996, contribuent à affaiblir la position de la France dans la région. Par ailleurs, l’arrivée au pouvoir des forces indépendantistes lors des élections territoriales d’avril sur le fenua relance le débat sur une plus grande autonomie de la Polynésie à l’égard de la métropole.
Une approche Indo-Pacifique à l’échelle sous-régionale
Le rétablissement de la confiance doit également passer par un réalignement des priorités entre Paris et ses territoires. En effet, les précédents déplacements d’Emmanuel Macron ont mis en évidence un décalage important entre les préoccupations des autorités et celles des populations locales, d’ordre économique, social et environnemental, et le discours du chef de l’Etat, centré sur la vulnérabilité des outre-mer face aux puissances prédatrices, dont la Chine, et leur rôle comme relais de la stratégie Indo-Pacifique de la France.
Les autorités françaises doivent donc s’efforcer de décliner leur approche Indo-Pacifique à l’échelle sous-régionale, en concertation étroite avec les collectivités locales élues. Un récent rapport d’information de l’Assemblée territoriale de Polynésie, en coopération avec la Nouvelle-Calédonie et Wallis-et-Futuna, a bien montré que l’approche Indo-Pacifique, jusqu’alors définie par Paris, avait engendré confusion et frustration, alors que les territoires sont désireux de se saisir de ce concept et de se l’approprier pour défendre leurs propres intérêts.
Ceci d’autant plus que les gouvernements locaux disposent de compétences importantes en matière de développement durable, de coopération régionale et internationale. Paris a d’ailleurs cette dernière décennie encouragé le développement d’une politique de voisinage pour ses territoires ultramarins, y voyant une manière de relayer les intérêts français au sein d’organisations régionales, comme le Forum des îles du Pacifique. Il semble donc important d’associer les outre-mer afin de légitimer cette stratégie Indo-Pacifique et de l’enraciner localement.
Limites de la puissance d’équilibre
L’annonce de l’alliance Aukus, le partenariat de défense entre l’Australie, le Royaume-Uni et les Etats-Unis, en septembre 2021, a porté un coup aux ambitions françaises dans la région et mis en évidence les limites et les contradictions de la position équilibriste de la France, qui aspire à offrir une alternative au choix imposé par la rivalité sino-américaine. Paris ne dispose en effet ni des capacités ni du poids diplomatique permettant de jouer un tel rôle.
Cette posture de « puissance d’équilibre(s) » enferme en réalité la France dans l’étau sino-américain et complique ses actions d’influence, la promotion de ses intérêts et la structuration de ses partenariats régionaux. La France a ainsi refusé de rejoindre formellement l’initiative américaine des Partners in the Blue Pacific, au motif que cela enverrait un signal stratégique négatif à la Chine. Des pays comme l’Allemagne ou la Corée du Sud devant rejoindre le groupe, la France court le risque d’apparaître isolée plutôt qu’indépendante, en l’absence d’une option crédible à offrir.
A l’heure d’un nouveau grand jeu géopolitique dans le Pacifique, la France, qui a pourtant des intérêts souverains dans la zone, n’a pas encore de stratégie régionale, à la différence des Etats-Unis, de l’Australie ou du Royaume-Uni. Le chef de l’Etat devrait préciser les priorités politiques dans cette sous-région de l’Indo-Pacifique et signaler la montée en puissance de la France sur les problématiques du changement climatique, de la sécurité environnementale et de la sécurité maritime, toutes au cœur des préoccupations des pays du Pacifique insulaire.
Affirmer davantage la présence française
L’Agence française de développement (AFD) est en première ligne en Océanie pour préserver la biodiversité et contrer le réchauffement climatique. Kiwa, son projet emblématique, réunit plusieurs bailleurs dans le but de renforcer la résilience des écosystèmes et des économies face au défi climatique, tant dans les territoires français du Pacifique que dans les pays de la région.
Des partenaires tels que l’Inde, le Japon et la Corée du Sud pourraient rejoindre cette initiative, tandis que de nouveaux investissements sont prévus pour d’autres projets dans les années à venir. L’expérience et l’expertise des forces armées françaises dans la région doivent être mieux valorisées.
La France se coordonne militairement depuis 1992 au sein de l’accord Franz avec ses partenaires australiens et néo-zélandais pour fournir une assistance humanitaire et un soutien face aux catastrophes naturelles des pays de la région, comme récemment aux Tonga. Avec les Etats-Unis, ce groupement se transforme en « Quad Pacifique », qui assiste les Etats océaniens dans la surveillance de leurs zones économiques exclusives et lutte contre la surpêche.
Pour le développement durable des îles océaniques
Depuis 2021, la France a mis en place un séminaire régional des gardes-côtes afin de renforcer le cadre de coopération. Ces mécanismes pourraient également être élargis à de nouveaux membres, probablement légitimes et intéressés, tels que le Japon, voire le Royaume-Uni.
Enfin, les territoires français du Pacifique ont les capacités pour devenir des têtes de pont pour l’Europe dans la région, ainsi que des pôles d’excellence et d’innovation porteurs de solutions concrètes pour le développement durable des îles océaniques.
Ces orientations ont le mérite de réconcilier intérêts souverains et intérêts de puissance, positionnant la France comme un acteur constructif de l’Indo-Pacifique. Une action concrète qui répond aux besoins de développement durable, de sécurité humaine et maritime des pays insulaires du Pacifique et entraînera un impact géopolitique significatif, bien plus important qu’une stratégie parfois mal comprise.
Céline Pajon est spécialiste du Japon et de l’Indo-Pacifique à l’Institut français des relations internationales (IFRI). Elle pilote le programme de recherche sur l’Océanie et est également associée à la Brussels School of Governance et au Canon Institute for Global Studies (CIGS) de Tokyo.
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