03
avr
2020
Espace Média L'Ifri dans les médias
Hans STARK, interviewé par Stanislas Vasak pour France Culture

Y a-t-il un modèle allemand dans la lutte contre le coronavirus ?

Face au Covid-19, l’Allemagne résiste mieux que les autres grands pays européens. Si le nombre de contaminations est très élevé, la mortalité est beaucoup plus faible qu’en Italie, en Espagne, ou en France. L'efficacité du système fédéral allemand explique en partie ces bons résultats.

France Culture

La pandémie a franchi un cap symbolique ce mercredi 1er avril en Allemagne. Le taux de létalité (le nombre de décès rapporté à celui des contaminations) a dépassé le seuil de 1% pour s’établir à 1,2%. Selon l’Institut de santé publique Robert Koch, le nouveau coronavirus a déjà fait près de 900 victimes en Allemagne, pour plus de 73 000 personnes contaminées le 2 avril. Ces chiffres sont inquiétants, car ils augmentent de jour en jour, mais ils restent très en-deçà du bilan constaté ailleurs en Europe. En Italie, le pays le plus touché au monde avec plus de 13 000 morts le 1er avril, le taux de létalité frôle les 12%. Il est d’environ de 9% en Espagne, 8% au Royaume-Uni et 7% en France.

Dépistage massif et préventif

Si l’Allemagne parvient à contenir plus ou moins l’épidémie, c’est d’abord parce qu’elle a rapidement pris conscience du danger. "En France, la priorité politique du mois de février tournait davantage autour de la réforme des retraites qu’autre chose", note Hans Stark, professeur de civilisation allemande à la Sorbonne, "en Allemagne, on a pris beaucoup plus tôt la mesure du problème en Chine, peut-être en raison des liens commerciaux très intenses qui existent entre les deux pays". Dès la fin janvier, les autorités sanitaires allemandes ont généralisé le dépistage pour les personnes revenant des zones à risque, la Chine, l’Italie mais aussi le Tyrol, en Autriche. Cela a permis notamment d’identifier, d’isoler et de soigner plusieurs vacanciers qui avaient contracté le virus en séjournant dans la station de ski d’Ischgl, l’un des principaux foyers de contamination en Europe. L’Allemagne a les moyens de sa politique de prévention, elle pratique aujourd’hui entre 300 000 et 500 000 tests de dépistage par semaine, un objectif que la France espère atteindre à la fin du mois. 

Pour prendre en charge les malades, l’Allemagne pouvait compter avant la crise sur 28 000 lits de réanimation. D'après la Société hospitalière allemande, qui regroupe l'ensemble des hôpitaux du pays, il y en a désormais 40 000, dont 30 000 équipés de respirateurs. Et le 31 mars, 45% de ces lits étaient disponibles selon le ministre de la Santé Jens Spahn. La France n’en avait que 5 000 avant la crise, le ministre de la Santé Olivier Véran veut porter cette capacité à 14 000 lits dans les prochaines semaines. En attendant, l’Allemagne hospitalise près d’une centaine de patients français atteints par le Covid-19.

  • Mais alors que le système sanitaire français reste très centralisé, le fédéralisme allemand donne davantage de souplesse, explique Hans Stark : "Ce sont les Länder (Etats régionaux) qui gèrent la politique de santé en Allemagne, et ils mettent les moyens nécessaires pour que les villes disposent d’hôpitaux correctement équipés". Dans une ville moyenne comme Krefeld, près de Düsseldorf (250 000 habitants), il y a par exemple trois gros hôpitaux publics, relève Hans Stark. Par ailleurs, il y a davantage de médecins en Allemagne qu’en France, 4,3 pour 1 000 habitants selon les derniers chiffres de l’OCDE, contre 3,4 pour 1 000 sur le territoire français. Et dans un pays très urbanisé comme l’Allemagne, les déserts médicaux n’ont pas la même ampleur qu’en France.

Le refus d’un confinement généralisé

Malgré ces atouts, l’Allemagne n’a pas encore réussi à enrayer l’épidémie. C’est pourquoi la chancelière Angela Merkel vient d’annoncer le prolongement jusqu’au 19 avril des mesures de restriction des contacts sociaux. Restriction et non confinement, la nuance est importante pour les autorités allemandes. Il s’agit d’abord de faire respecter la fameuse distanciation sociale en interdisant les rassemblements de plus de deux personnes en dehors du cadre familial. Mais pas question d’imposer aux citoyens une limitation des déplacements ou un quelconque couvre-feu. "Ce confinement très strict à la française, avec autorisation à chaque sortie, le rayon d’un kilomètre, une heure par jour, effraie un peu en Allemagne", avance Henrik Uterwedde, chercheur associé à l’Institut franco-allemand de Ludwigsburg, "les politiques ont voulu éviter d’en arriver là, parce que cela revient à enfermer des gens". Seuls deux Länder, la Bavière et la Sarre, ont pris des mesures qui s’apparentent au confinement en vigueur en France. 

  • Il y a aussi l’argument économique qui joue contre un confinement total. Selon les experts qui conseillent le gouvernement fédéral, l’Allemagne devrait voir son PIB plonger en 2020, un recul estimé entre 2,8 et 5,4% selon les scénarios. "On n’est pas très loin de l’impact de la crise financière de 2008", prévient Hans Stark, "si l’Allemagne était totalement confinée comme en France, l’impact serait encore plus important".

Angela Merkel s’envole dans les sondages

Face au coronavirus, la chancelière peut compter sur le soutien sans faille de la population. Selon le dernier baromètre politique de la chaîne de télévision publique ZDF, 89% des Allemands approuvent la façon dont leur gouvernement gère la crise. Et ils sont désormais 79% à avoir une opinion positive d’Angela Merkel. 

En France aussi, la cote de popularité d’Emmanuel Macron s’est redressée de façon spectaculaire : mais avec 46% selon la dernière enquête de l’IFOP, le Président français reste à la tête d’un pays divisé. Les deux dirigeants n’ont pas la même approche de la crise selon Henrik Uterwedde : "L’Allemagne n’est pas la France, on n’a pas un Président en guerre, on a une chancelière qui est assez calme, qui mesure ses mots, qui agit en tandem avec son gouvernement et les Länder". Et de fait, le fédéralisme allemand oblige Angela Merkel à consulter les ministres-présidents des 16 Etats régionaux pour toute décision relevant de la sécurité intérieure. 

>> Voir l'interview sur le site de France Culture.

 

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