La France et l'Allemagne, moteurs d'une souveraineté minérale européenne ?
Marie Krpata, chercheuse au Comité d'études des relations franco-allemandes (Cerfa) se penche sur un sujet qui devient de plus en plus incontournable pour la souveraineté technologique de l’Union européenne (UE) et qui a d’ailleurs été évoqué au cours du 25e Conseil des ministres franco-allemand qui s’est tenu à Toulon fin août : les minéraux critiques.
Tout d’abord j’aimerais revenir avec vous sur l’enjeu géopolitique de ces minéraux critiques et en quoi l’UE est affectée. Pouvez-vous nous en dire davantage ?
Les minéraux critiques sont au centre de la rivalité sino-américaine. Si les Etats-Unis tentent de garder l’avantage sur la production de semi-conducteurs les plus avancés et interdisent les exportations des technologies indispensables à leur fabrication vers la Chine, la Chine dispose d’un levier qu’elle hésite de moins en moins à actionner pour riposter : les minéraux critiques.
L’Europe est touchée à plusieurs égards : par les contrôles aux exportations américains, d’une part – les entreprises ASML, Zeiss ou Trump sont particulièrement affectées ; et par les restrictions à l’exportation chinoises, d’autre part. Sachant que les minéraux critiques sont nécessaires pour la transition numérique et énergétique et pour renforcer les capacités en matière de défense de l’Europe.
Quelques chiffres pour illustrer la domination chinoise pour ce qui est de l’approvisionnement en terres rares : la Chine produit quasiment 70 % des terres rares à l’échelle mondiale, et elle en transforme près de 90 %. En 2023, 86 % de l’approvisionnement de l’UE en « terres rares légères » provenaient de Chine. Concernant les « terres rares lourdes » ce pourcentage atteignait même les 100%.
Alors comment l’UE ambitionne-t-elle d’agir pour se défaire de cette dépendance ? Quelles sont les ambitions de l’UE en la matière ?
Une législation européenne sur les matières premières critiques (en anglais « Critical Raw Materials Act ») a vu le jour en mars 2024. Celle-ci fixe plusieurs objectifs quantifiés d’ici 2030 : 10 % des besoins annuels de l’UE doivent être produits au sein de l’UE, 40 % doivent être transformés au sein de l’UE et 25 % doivent provenir du recyclage. De plus, au sein de l’UE il devra être fait en sorte de ne pas s’approvisionner à plus de 65 % d’un même pays hors UE. Il s’agit là d’objectifs quantitatifs qui concernent les « matières premières stratégiques », c’est-à-dire celles qui sont considérées comme étant les plus cruciales pour les technologies stratégiques utilisées dans le cadre de la transition verte et numérique, dans la défense et l’aérospatial.
Comment l’UE peut-elle s’y prendre pour atteindre ces objectifs ?
Il s’agit d’abord de construire des chaînes d’approvisionnement résilientes – de l’extraction jusqu’au recyclage.
L'État doit devenir un investisseur stratégique. Pour s’armer contre la volatilité des prix, pour sécuriser l’accès aux ressources minières et lutter contre les éventuelles ruptures d’approvisionnement, l’UE devrait par exemple constituer des stocks stratégiques de matières premières et de métaux.
Par ailleurs, l'Europe pourrait développer des technologies alternatives et plus efficaces que celles actuellement employées dans l’extraction et le raffinage. Il faut donc aussi mettre l’accent sur l’innovation et miser sur des techniques plus respectueuses écologiquement et socialement.
Enfin, des projets stratégiques en coopération avec d’autres pays doivent être envisagés par le biais d’une véritable diplomatie minérale. Celle-ci doit être cohérente et pensée sur le long terme, en tenant compte à la fois des intérêts de l'UE et des fournisseurs. On peut mentionner à ce propos que l’UE a conclu des partenariats stratégiques en matière de minéraux critiques avec une quinzaine de pays sur les deux années qui se sont écoulées.
Marie Krpata est chercheuse au Comité d'études des relations franco-allemandes (Cerfa) à l'Ifri.
Lire et écouter l'intégralité de l'interview sur le site de eu! radio.
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