01
fév
2022
Espace Média L'Ifri dans les médias
Thomas GOMART, chronique parue dans la revue Études

De Gaulle référence obligée des candidats à la présidentielle

On le sait, la politique étrangère ne fait pas gagner une élection présidentielle, mais peut la faire perdre. Les discours en la matière relèvent des figures imposées, plus ou moins préparées. Il s’agit moins d’un désintérêt des électeurs pour les questions internationales que d’une difficulté des candidats à produire une vision à la fois réaliste et originale.

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C’est doublement paradoxal car le modèle politico-économique de la France s’enchâsse dans la mondialisation et ses institutions prévoient une sorte de « domaine réservé » présidentiel pour la politique étrangère. Parmi les candidats, il y a ceux qui pensent que la France, en raison de son héritage universaliste, pourrait orienter le cours de la mondialisation. Il y a ceux qui estiment que celle-ci dilue l’identité nationale et espèrent pouvoir se barricader. Enfin, il y a ceux qui cherchent à en tirer parti en misant notamment sur l’Europe.

Pour éviter d’attendre une improbable synthèse, sans doute faut-il rappeler que l’objectif fondamental d’une politique étrangère est de parvenir à construire l’environnement international le plus favorable aux intérêts et valeurs d’un pays en fonction de sa géographie, de son histoire et de son potentiel. En somme, de créer les conditions de sa sécurité et de sa prospérité. De là découlent ses choix d’alliances, d’ententes ou, au contraire, de ruptures. Dans le débat présidentiel, la politique étrangère est souvent réduite au rang de la France. Impossible d’éviter la référence au général de Gaulle dont la figure et la politique de « grandeur » surplombent les candidats à la magistrature suprême. Tous s’y réfèrent d’une manière ou d’une autre, en évoquant la nécessaire « indépendance » de la France sur la scène internationale. Un épisode retient particulièrement leur attention : le retrait du commandement intégré de l’Otan décidé par de Gaulle en 1966. Cette mise en exergue induit une lecture partielle, et forcément partiale, de son héritage, qui produit encore des effets, notamment dans la vision des relations avec Washington et surtout avec Moscou.

Arrivé au pouvoir par Alger, le général de Gaulle entend se débarrasser du fardeau algérien, qui ternit l’image de la France, divise les Français et pèse sur l’organisation de ses forces armées. Pour lui, l’enjeu stratégique principal se situe en Europe, et plus précisément en Allemagne. Cela signifie de s’imposer non seulement auprès de la Grande-Bretagne mais surtout de l’URSS et des États-Unis, tout en nouant des relations étroites avec la jeune République fédérale d’Allemagne (RFA) sans lesquelles tout projet européen serait vain. De juin 1958 à janvier 1959, les sept mois qui séparent son installation à Matignon de son installation à l’Élysée se révèlent décisifs pour orienter le cours de la politique étrangère française.

Quatre dates méritent d’être rappelées. Dès le 17 juin 1958, il met un terme à toute collaboration nucléaire à des fins militaires avec des États étrangers (que ce soit la RFA, l’Italie et Israël), lors de la première réunion du Comité de défense nationale de son gouvernement. Les 14 et 15 septembre de la même année, il reçoit le chancelier Konrad Adenauer à La Boisserie, à Colombey-les-Deux-Églises (Haute-Marne). Les deux hommes posent les bases d’un rapprochement franco-allemand destiné à entraîner une relance de l’Europe. Le 17 septembre, il adresse un mémorandum de 533 mots à Washington et à Londres avec trois revendications principales : l’élargissement de la compétence géographique de l’Otan, la remise en question de l’intégration militaire et du monopole atomique américain, l’exigence d’une association de la France à une direction politique et stratégique du monde libre. Point important à relever : il n’en a pas informé Adenauer au cours de leurs échanges. Jusqu’en 1960, le général de Gaulle conjugue une double approche afin, d’une part, d’obtenir l’aide américaine pour le programme atomique français et, de l’autre, de prendre des décisions unilatérales remettant en cause l’intégration militaire au sein de l’Otan. Dernière date, le 23 décembre 1958, avec l’adoption du plan Rueff, qui vise à un assainissement des finances publiques sans lequel la France ne saurait retrouver sa crédibilité internationale. Les candidats gagneraient à se rappeler cette chronologie pour éviter des contresens historiques. Les diplomaties chinoise et russe aiment aussi s’y référer. Plus fondamentalement, dans quelle mesure les candidats seront-ils capables d’adapter cet héritage à l’actuelle situation géopolitique de la France ?

 

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