10
jan
2023
Espace Média L'Ifri dans les médias
Thomas GOMART, chronique parue dans la revue Études

L'Europe au milieu du gué

On commence à mesurer les conséquences de la guerre en Ukraine sur le positionnement international de l’Union européenne. L’agression de la Russie est subie en premier lieu par le peuple ukrainien, qui paie le prix du sang. Moscou renoue avec une tradition militaire consistant à considérer ses soldats comme une ressource inépuisable, quitte à les exposer sans équipement adapté et sans entraînement.

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La Russie pratique un bombardement systématique des infrastructures civiles et se livre à des crimes de guerre en territoire ukrainien. Sur le sien, il n’y a aucun carreau cassé.

L’onde de choc de la guerre se ressent intensément sur l’ensemble du continent et fait ressentir ses effets au-delà. En Asie, la guerre n’intéresse guère, sauf lorsque sa dimension nucléaire resurgit : une puissance dotée exerce une menace nucléaire directe sur un pays non doté pour imposer ses gains territoriaux. En ce sens, le comportement de la Russie détruit les principes de la dissuasion façonnés par les différentes crises de la Guerre froide (Berlin, Cuba, euromissiles). Si elle se déroule sur le sol ukrainien, la guerre a des effets indirects puissants sur les économies européennes qui traversent une crise énergétique aiguë, lourde de conséquences. C’est l’ensemble de l’appareil productif européen qui se retrouve sous une triple pression : celle provoquée par la rupture des approvisionnements énergétiques en provenance de Russie ; celle entraînée par le changement d’attitude de la Chine où l’idéologie désormais l’emporte sur l’économie ; celle déclenchée par l’adoption en août dernier de l’Inflation Reduction Act aux États-Unis. Cette loi accélère la transition énergétique de l’appareil de production américain grâce à des subventions massives, susceptibles de fortement dégrader la compétitivité des entreprises européennes.

Au début de novembre 2022, le chancelier Olaf Scholz s’est rendu en Chine pour un voyage qui a suscité de nombreuses critiques. Il ne faisait que reprendre les habitudes d’Angela Merkel et répondre aux demandes pressantes de ses industriels. Il faut bien comprendre que des pans entiers de l’industrie allemande, comme l’automobile ou la chimie, dépendent directement du marché chinois. Il faut aussi comprendre que le contexte politique s’est brutalement durci après la mise au pas de Hong Kong et le XXcongrès du Parti communiste chinois. Nul n’ignore désormais que Xi Jinping fait de la fidélité au marxisme-léninisme et à Mao Zedong la priorité de l’État-parti. Le chancelier doit faire face à de vives critiques intérieures qui soulignent à quel point l’Allemagne s’est fourvoyée en dépendant à ce point du gaz russe pour assurer son modèle économique. Des voix appellent à une plus grande prudence à l’égard de la Chine, surtout si elle venait à accentuer ses pressions sur Taïwan. L’île occupe une position toute particulière dans la mondialisation, en raison notamment de son rôle clé pour la production de microprocesseurs.

À la mi-novembre s’est tenu le G20 auquel a participé Sergueï Lavrov, le ministre russe des Affaires étrangères. Cette séquence multilatérale n’a pas tourné en faveur de la Russie dont l’isolement est apparu plus visible. Il est vrai que les Ukrainiens étaient parvenus juste avant à reprendre la ville de Kherson, ce qui marquait « le début de la fin de la guerre » pour Volodymyr Zelensky. À la fin novembre, Emmanuel Macron s’est rendu à Washington, puis à La Nouvelle Orléans, pour la première visite d’État de l’administration Biden. À cette occasion, les présidents français et américain ont souligné leurs positions communes sur l’Ukraine et sur l’Indo-Pacifique. Les deux pays coopèrent davantage dans les domaines militaire, spatial et nucléaire.

En réalité, le cœur des voyages de Scholz et de Macron concerne moins l’Ukraine proprement dite que la situation économique et énergétique de l’Union européenne, qui devrait entrer en récession en 2023. Si, de part et d’autre de l’Atlantique, il s’agit de créer davantage d’emplois industriels en investissant sur la transition énergétique, force est de constater que l’Union européenne et les États-Unis ne disposent pas des mêmes atouts pour ce faire. Ces derniers peuvent à la fois exporter leur gaz et investir sur les renouvelables. C’est pourquoi les Européens, par la voix de Macron, appellent à « synchroniser » les deux agendas, au risque de voir l’Europe s’enfoncer dans une crise énergétique susceptible de ruiner ses entreprises comme ses ménages. Il y a urgence.

 

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