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« La loi de programmation militaire propose un échantillonnage des moyens qui n’est soutenable qu’en temps de paix »

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L’historien Elie Tenenbaum, spécialiste des questions de sécurité, mesure dans une tribune au « Monde » l’écart entre le projet de loi de programmation militaire débattu à l’Assemblée nationale et le discours actuel sur l’économie de guerre et le « tournant » de la guerre en Ukraine.

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L’invasion russe de l’Ukraine a rappelé aux Européens leur vulnérabilité militaire. En dépit du réarmement mondial, des incantations américaines à prendre davantage sa part de la défense du continent, l’Europe, aux prises avec une économie anémiée, sceptique quant à l’urgence de son réveil stratégique, avait différé jusqu’au dernier moment son rattrapage. Le résultat est connu : les Etats-Unis assurent aujourd’hui 60 % de l’aide militaire à l’Ukraine, les pays membres de l’Union européenne (UE) n’atteignant que péniblement la barre des 25 %.

Pour autant, le choc n’a pas été sans effet. L’Allemagne, géant endormi depuis sa réunification, a mis en place un fonds spécial de 100 milliards d’euros pour le rééquipement de la Bundeswehr et se dirige vers une dépense militaire à hauteur de 2 % de son produit intérieur brut (PIB), la Pologne a quant à elle annoncé qu’elle visait un plancher à 3 % dès 2023.

La France ne fait pas exception, et la nouvelle loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030 propose elle aussi une augmentation de plus de 100 milliards d’euros sur les sept prochaines années. Dans un contexte d’endettement élevé et de pression sur les dépenses publiques, cet effort n’est pas anodin et peut être salué.

Un format hérité de l’après-guerre froide

Au contraire d’autres nations européennes cependant, la France ne s’engage pas franchement dans un retour à un modèle d’armée orienté vers le type de guerre qui se déroule aujourd’hui en Ukraine. Tout en se réclamant d’un « pivot vers la haute intensité », le projet de loi pérennise essentiellement un format hérité de l’après-guerre froide, visant à conserver des capacités permettant de couvrir tout le spectre des conflits, mais au prix d’un échantillonnage des moyens qui n’est soutenable qu’en temps de paix.

A la lecture du rapport annexé au projet de loi, il est frappant de noter le quasi-maintien à l’identique du format d’armée annoncé il y a cinq ans dans l’« Ambition 2030 » [« 1.2 Une ambition 2030 pour construire un modèle d’armée à la hauteur des enjeux stratégiques »]. Ce constat tranche avec un discours politique faisant de la guerre en Ukraine un tournant historique, appelant à adopter une économie de guerre et une transformation majeure de nos armées.

Evoquons tout d’abord le niveau d’ambition opérationnelle. En 1994, était exigé des armées françaises qu’elles puissent fournir, dans leur hypothèse maximale d’engagement, un contingent de 50 000 soldats pour la composante terrestre. Cette ambition était passée à 30 000 soldats en 2008, puis à 15 000 en 2013. Ce « contrat opérationnel » n’a pas évolué, alors que l’environnement stratégique s’est dégradé et que le niveau d’ambition de l’OTAN a été décuplé.

Difficilement soutenable dans les années passées du fait d’un financement au strict minimum, ce modèle « médian » est pérennisé par la LPM, qui lui redonne certes de l’épaisseur : entraînement, maintenance, munitions devraient être revus à la hausse. Ces efforts nécessaires consommeront une large part de ce qui n’aura pas été absorbé par l’inflation et le renouvellement des grands programmes (Rafale, porte-avions, dissuasion nucléaire, etc.).
 

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Élie TENENBAUM

Élie TENENBAUM

Intitulé du poste

Directeur du Centre des études de sécurité de l'Ifri