Le clash Trump-Medvedev, un «affrontement de gangsters plus qu’un conflit diplomatique», selon un expert
Donald Trump a annoncé le déploiement de sous-marins nucléaires après des provocations de l’ex-président russe Dmitri Medvedev. Le chercheur Dimitri Minic analyse la montée des tensions auprès du « HuffPost ».

Le clash a fait craindre un emballement mondial. Vendredi 1er août, Donald Trump a annoncé le déploiement de sous-marins nucléaires après des propos de l’ex-président russe Dmitri Medvedev qui a menacé les États-Unis. « Chaque nouvel ultimatum est une menace et un pas vers la guerre. Non pas entre la Russie et l’Ukraine, mais avec son propre pays », avait notamment taclé le Russe sur X.
Le républicain, frustré par l’entêtement de Vladimir Poutine, a en effet sommé Moscou de trouver une issue à la guerre en Ukraine d’abord en 50 jours, puis en seulement 10 ou 12 jours. Et face aux provocations répétées de Dmitri Medvedev, Donald Trump a donc annoncé rapprocher des sous-marins nucléaires vers la Russie par « précaution ». Il a par ailleurs annoncé dimanche la visite de son envoyé spécial Steve Witkoff en Russie « mercredi ou jeudi ».
Que penser des provocations de Dmitri Medvedev et de cette passe d’armes avec Donald Trump ? Que dit cet affrontement des relations entre les États-Unis et la Russie ? Dimitri Minic, docteur en histoire des relations internationales et chercheur au Centre Russie/Eurasie de l’Ifri (Institut français des relations internationales), livre son analyse au HuffPost.
Le HuffPost : Comment expliquer la transformation de Medvedev, autrefois perçu comme un libéral, et aujourd’hui devenu faucon anti-occidental ?
Dimitri Minic : Les déclarations de Medvedev s’inscrivent dans un contexte politique et social spécifique dont le vice-président du Conseil de sécurité de Russie est à la fois un acteur, qui établit des stratégies, et un reflet. L’ancien président russe cherche à garantir sa place au sein du régime russe et tente d’être utile en se mettant au service des stratégies psychologico-informationnelles et diplomatiques du Kremlin.
La carrière politique de Medvedev est plutôt derrière lui, puisqu’il a déjà occupé les plus hautes fonctions de l’État et qu’il a aujourd’hui une place confortable au sein du régime. Son obsession est donc probablement moins l’ascension que le maintien de sa position et de sa fortune colossale, qu’il doit, comme les autres caciques, au bon vouloir du Kremlin. La guerre contre l’Ukraine et les sanctions ont non seulement radicalisé la politique et la société, mais aussi réduit l’accès aux ressources et suscité des tensions au sein des élites. Medvedev a des choses à se faire pardonner – lui qui a gardé l’image d’un président libéral et modernisateur – et des richesses à protéger. Son outrance est donc en partie instrumentale.
Se comporter en faucon lui permet de renforcer sa position en se rendant utile, dans la mesure où il contribue à intimider l’Occident et à faire passer Vladimir Poutine pour un arbitre, raisonnable et sage.
Medvedev est aussi le reflet d’un climat politique et médiatique russe, dont sont constitutifs les discours outranciers, imprégnés du langage de la pègre et du style démagogique et populiste qui a aussi fait la popularité de Poutine. Cela étant dit, les diatribes anti-occidentales de Medvedev sont certainement sincères. Sa prétendue « volte-face » tend à confirmer l’inauthenticité de son ancienne image – qui a longtemps mystifié l’Occident – et nous montre à quel point, une fois encore dans l’histoire russe, la modernisation n’est pas synonyme d’occidentalisation.
Que penser des provocations nucléaires répétées de Dmitri Medvedev, qui s’adressent maintenant aux États-Unis de Donald Trump ?
Les diverses menaces nucléaires plus ou moins explicites de Medvedev ne doivent pas laisser penser qu’il a un quelconque poids dans la décision d’utiliser l’arme nucléaire, ni qu’il traduit une réelle intention du Kremlin en la matière. L’arme nucléaire, y compris dans le cadre de la nouvelle doctrine, ne serait employée qu’à la suite de mesures de dissuasion fortes et concrètes – que le Kremlin s’est jusqu’ici abstenu de mettre en œuvre – et dans des conditions précises, qui sont très loin d’être réunies.
En revanche, Medvedev adopte le style de dissuasion de la Russie, conçu comme agressif et coercitif, où les menaces et avertissements servent à instiller la peur. Il s’inspire d’une rhétorique nucléaire dangereuse portée par les propagandistes du régime ainsi que par Poutine lui-même, et l’exploite dans sa stratégie de survie.
Comment analyser la décision de Donald Trump de déployer des sous-marins nucléaires ? Est-il tombé dans le « piège » de Medvedev ?
L’incident entre Trump et Medvedev et les propos outranciers et irresponsables qui en furent à l’origine sont l’illustration d’une évolution plus large qui dépasse la Russie. S’il y a bien une collusion idéologique entre Washington et Moscou, on observe aussi une « russification » de la politique américaine, où l’autoritarisme, la violence, le populisme et la démagogie s’épanouissent au détriment de la démocratie.
L’algarade entre Trump et Medvedev ressemble ainsi davantage à un affrontement entre gangsters qui se toisent qu’à un conflit diplomatique. Si l’incident prend une telle proportion, c’est aussi parce que Trump répond à un semblable.
Est-ce que Moscou prend Trump au sérieux ?
Non, la Russie ne prend pas au sérieux Donald Trump et le prendra encore moins au sérieux avec ce type de menaces, qui font suite à un message posté sur un réseau social par un second couteau de la politique russe – ce que Trump n’ignore pas.
Premièrement, le président américain a renforcé la position de Medvedev en interne car il a involontairement validé la pertinence de la stratégie de survie de l’ancien président russe, en montrant que ce dernier était important et utile. En effet, cela laisse entendre qu’il exerce une influence réelle sur Washington. En outre, cela contribue à forger l’image de Medvedev comme ennemi reconnu de l’Occident, lui qui veut faire oublier son passé libéral. Par ailleurs, cela renforce l’image de Poutine comme dirigeant sage et raisonnable.
Deuxièmement, Trump a démontré son impuissance ainsi que l’absence de stratégie et de volonté de Washington de peser réellement dans un conflit dont il souhaite pourtant la fin. Cela traduit une frustration – exprimée à plusieurs reprises ces derniers mois – et une tentative de dialoguer avec Poutine d’une autre façon. De ce point de vue, si Trump a servi les intérêts de Medvedev, ce dernier a servi les intérêts de Trump, qui a décidé d’exploiter ce « prétexte » pour menacer indirectement Poutine. Il est toutefois peu probable que cela impressionne le Kremlin, qui a pour l’instant obtenu du président américain le plus important à ses yeux : l’arrêt de l’aide militaire américaine à l’Ukraine.
Que nous dit cet incident de l’état actuel des relations entre les États-Unis et la Russie ? Vladimir Poutine n’a-t-il pas intérêt à ménager Donald Trump, qui a évoqué la possibilité de nouvelles sanctions ?
Cela fait plusieurs mois que le Kremlin a compris que Trump – après l’avoir testé par la flatterie, les promesses et les manœuvres dilatoires –, fragilisé par ses difficultés politiques internes, était piégé et n’avait pas envie d’obtenir la paix au point de s’impliquer sérieusement dans le rapport de force.
Les leviers d’actions sont limités pour Washington, et les droits de douane n’en font pas partie, compte tenu de la faiblesse du commerce entre la Russie et les États-Unis. La première option pour la Maison Blanche serait de renforcer les sanctions en obligeant les pays tiers à ne plus commercer certains produits avec la Russie. Or, cela semble difficilement réalisable et risquerait d’isoler encore un peu plus les États-Unis, tout en renforçant les BRICS + et leurs projets.
La deuxième option pour Washington consiste à livrer massivement des armes à l’Ukraine, une mesure très impopulaire chez les partisans de Trump, mais à laquelle il devra pourtant se résoudre s’il souhaite réellement amener la Russie à faire des concessions.
En réalité, Trump ne dispose d’aucune offre assez attractive et durable pour convaincre le Kremlin de renoncer à ses objectifs politiques en Europe et dans le monde. Washington a probablement sous-estimé les projets du Kremlin, tandis que ce dernier a sans doute surestimé le rôle et l’influence réelle de Trump en Europe. Le président américain était prêt à d’importantes concessions, mais il ne s’est montré ni disposé ni en mesure de donner à la Russie ce qu’elle souhaite réellement : un nouveau Yalta et la désoccidentalisation de l’ordre international.
>Lire l'interview sur le site de Huffington Post
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