09
mar
2020
Espace Média L'Ifri dans les médias
Marc-Antoine EYL-MAZZEGA, cité par Sébastian Seibt sur France 24

Coronavirus : pourquoi l'Arabie saoudite a déclenché une nouvelle guerre des prix du pétrole

L’Arabie saoudite a décidé, dimanche, de débuter une nouvelle guerre des prix du pétrole. Pour punir la Russie de ne pas avoir accepté de réduire sa production pour contrer l’impact négatif du coronavirus sur la demande, Riyad a drastiquement réduit ses prix. Une stratégie qui ne leur a pourtant pas réussi par le passé.

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Lundi noir pour l’or noir. Le prix du baril de pétrole a chuté de 30 %, lundi 9 mars, marquant ainsi sa plus importante baisse journalière depuis la guerre du Golfe de 1990-1991. Il est passé d’un peu plus de 45 dollars à près de 30 dollars. Dans un contexte d’épidémie mondiale ralentissant l’activité économique, le Covid-19 apparaît comme le suspect idéal pour cette dégringolade. Mais, en réalité, ce choc a pour décor un affrontement entre l’Arabie saoudite et la Russie, avec les États-Unis en second rôle.

“Le coronavirus est l’élément qui a fait basculer une situation déjà explosive”, affirme Michael Bradshaw, spécialiste des questions énergétiques à la Warwick Business School, contacté par France 24. Lorsque l’épidémie s’est déclarée en Chine fin 2019, la demande mondiale de pétrole souffrait déjà du ralentissement de l’économie et de la popularité croissante des énergies renouvelables. Face à l’étincelle Covid-19, l’Arabie saoudite a organisé la semaine dernière une réunion des pays de l’Opep+ (Organisation des pays exportateurs de pétrole + la Russie) pour relancer le marché moribond.

Riyad inonde le marché

Riyad voulait obtenir un accord sur une baisse importante de la production afin de maintenir les prix à un niveau acceptable. "Niet", ont répondu les Russes, qui avaient pourtant conclu une alliance sur les niveaux de production de pétrole avec l’Arabie saoudite en 2016. Moscou “ne voulait pas réduire davantage sa production, car les Russes ont l’impression de perdre des parts de marché et ont besoin de produire au moins autant afin de continuer à profiter de la manne pétrolière”, explique Michael Bradshaw.

Le royaume wahhabite, acteur dominant du jeu pétrolier, digère mal l'affront de la Russie, qui produit 12 % du pétrole mondial. Il réagit alors “comme il le fait toujours quand un autre pays producteur de pétrole se montre insubordonné : en punissant l’intégralité du marché”, notre Dawud Ansari, expert de la politique énergétique des pays du Moyen-Orient à l’Institut allemand pour la recherche économique de Berlin, contacté par France 24.

L'Arabie saoudite ouvre alors le robinet à pétrole pour inonder le marché de sa production à bas prix, "ce qu'elle fait depuis près de quarante ans pour défendre ses parts de marché et faire plier ceux qui ne se rangent pas derrière elle”, rappelle Dawud Ansari.

À cet égard, 2020 rappelle 2014. À l’époque, l’Arabie saoudite s’était aussi lancée dans une guerre des prix afin de freiner la révolution du pétrole de schiste américain. Pendant plus d’un an, le royaume - qui produit le pétrole le moins cher au monde - avait tout fait pour garder les prix au plus bas car la production de pétrole non-conventionnel américain est bien plus onéreuse, car très gourmande en investissement. Résultat ? Riyad avait échoué à mettre les États-Unis au pas.

Les États-Unis, victime collatérale

Toute la question est de savoir si la pétromonarchie va gagner son bras de fer avec la Russie.

  • Riyad mise encore et toujours sur son atout majeur : la compagnie d'État Saudi Aramco “continue à engranger des bénéfices même avec un baril à 30 dollars”, souligne Marc-Antoine Eyl-Mazzega, directeur du centre énergie et climat et spécialiste des questions énergétiques russes à l’Institut français des relations internationale (Ifri), contacté par France 24.

 

En face, la Russie n’a pas une économie aussi puissante et diversifiée que les États-Unis, ce qui rend le pays d’autant plus dépendant de ses exportations d'hydrocarbures. “Certains acteurs du secteur pétrolier russe ne pourront pas survivre longtemps si le cours du pétrole se maintient à 30 dollars”, confirme Dawud Ansari.

Mais le combat est beaucoup moins déséquilibré qu’on pourrait le croire.

  • D’abord, la Russie a pu se constituer des réserves financières ces dernières années, car "le budget du pays se fonde sur un prix très conservateur du baril de pétrole - aux alentours de 40 dollars ”, explique Marc-Antoine Eyl-Mazzega.

Ensuite, le “coût social d’une politique des prix pétroliers bas est plus important pour l’Arabie saoudite que la Russie”, assure Michael Bradshaw, de la Warwick Business School. Même si le royaume tente de diversifier son économie, son budget demeure petro-dépendant à 90 %, et le précieux hydrocarbure lui permet de s’acheter la paix sociale. À cet égard, “le pouvoir russe reste plus stable”, reconnaît Dawud Ansari.

Pour les experts interrogés, il n’est d’ailleurs pas exclu que cette guerre des prix fasse les affaires de Moscou, du moins à court terme. L’acteur pétrolier de premier plan le plus exposé à la baisse des prix demeure les États-Unis. Si le secteur du pétrole de schiste a survécu à l’offensive saoudienne sur les prix de 2014-2015, les producteurs américains ont continué à s’endetter pour investir, ce qui fait qu’ils restent très fragiles.

  • En provoquant la riposte saoudienne, la “Russie a très bien pu vouloir rendre la monnaie de sa pièce à Donald Trump pour la tentative américaine de faire dérailler le projet de gazoduc Nord Stream 2, et les sanctions imposées au géant russe Rosneft pour ses affaires au Venezuela”, analyse Marc-Antoine Eyl-Mazzega.

“Le Kremlin a clairement décidé de sacrifier l’Opep+ pour punir les États-Unis à un moment clef pour Donald Trump”, ajoute Alexander Dynkin, président de l’Institut de l'économie mondiale et des relations internationales, interrogé par le Los Angeles Times. Le président américain compte, en effet, sur la bonne santé de l’économie pour se faire réélire en novembre 2020. Une succession de faillite dans le secteur pétrolier américain serait du plus mauvais effet à quelques mois de la présidentielle.

 

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