« L’Union africaine manque de dirigeants à la vision réellement panafricaine »
Alors que le Sénégalais Macky Sall doit assumer la présidence de l’UA en 2022, le chercheur Benjamin Augé de l'Ifri revient sur les progrès et faiblesses de l’organisation.
Le président sénégalais, Macky Sall, prendra la tête de l’Union africaine (UA) en février, succédant pour un an au Congolais Félix Tshisekedi. A ce titre, il chapeautera la conférence des chefs d’Etat chargée de fixer les objectifs de l’organisation panafricaine, alors que l’institution est en pleine réforme. Benjamin Augé, chercheur associé au centre Afrique subsaharienne de l’Institut français des relations internationales (IFRI) et co-auteur d’une note récente sur la Commission de l’UA, décrypte les enjeux de la présidence sénégalaise.
On a souvent décrit l’UA comme « un syndicat de chefs d’Etat » essentiellement préoccupé à couvrir les dérives des uns et des autres. Est-ce que cela a changé ?
L’UA souffre d’un manque de dirigeants à la vision réellement panafricaine. Au début des années 2000, il y avait le Nigérian Olusegun Obasanjo, l’Algérien Abdelaziz Bouteflika ou le Sud-Africain Thabo Mbeki, successeur de Mandela. Ces présidents avaient des moyens, ils représentaient les plus gros contributeurs et tenaient des discours panafricains.
Aujourd’hui, Cyril Ramaphosa est accaparé par ses problèmes intérieurs, les rapports de forces au sein de l’ANC [Congrès national africain, le parti au pouvoir en Afrique du Sud], la crise économique… Au Nigeria, Muhammadu Buhari s’exprime assez peu sur des thèmes panafricains et agit peu en ce sens, pas plus qu’Abdelmadjid Tebboune en Algérie. Les seuls qui tiennent de véritables discours panafricains sont les présidents de plus petits pays. Mais la plupart des Etats africains sont encore relativement tournés sur eux-mêmes.
A quoi sert la présidence de l’UA ?
Cela dépend beaucoup de qui occupe ce poste. Sur les dix dernières années, l’un des seuls à avoir vraiment marqué ses douze mois de présidence est le Rwandais Paul Kagame. Il est arrivé avec une équipe constituée, décidé à montrer qu’il peut y avoir une forme d’efficacité dans ce mandat. Il a posé les bases d’une réforme de l’institution, structurelle et financière, qui est toujours en train d’être mise en œuvre actuellement.
- « Du fait de la pandémie, le bilan des dernières présidences est très modeste. L’institution n’était pas préparée à fonctionner en virtuel. »
Beaucoup de présidences sont handicapées par la faiblesse institutionnelle de leurs administrations nationales. Par exemple, la présidence congolaise, en 2021, a eu beaucoup de mal à mener ses projets à leur terme, parce que structurellement la diplomatie de la République démocratique du Congo est assez faible.
La présidence précédente, celle de Cyril Ramaphosa, est tombée au début de la crise du Covid-19. Il a géré l’urgence : trouver des financements, des vaccins, etc. Il a sauvé son année grâce à un appareil diplomatique très fort et un ambassadeur à Addis-Abeba très efficace. Mais du fait de la pandémie, depuis deux ans, le bilan des présidences est extrêmement modeste. L’institution n’était, comme beaucoup d’autres, pas préparée à fonctionner en virtuel.
Comment définir une « bonne présidence » ?
C’est une présidence qui arrive un peu à tordre le bras des autres membres, à vaincre les résistances, notamment celles des cinq plus gros contributeurs de l’UA : le Maroc, l’Egypte, l’Algérie, le Nigeria et l’Afrique du Sud. C’est très compliqué de faire bouger l’institution s’ils ne le veulent pas. Reprenons le cas du Rwanda, un petit pays de 12 millions d’habitants. Paul Kagame s’est dit : « Ce n’est pas grave, je vais essayer de foncer et d’utiliser tous les outils qui sont en ma possession pour obtenir des résultats. » Au bout du compte, sa présidence est celle qui a le plus marqué les esprits au cours des dix dernières années.
Que peut-on attendre de la présidence de Macky Sall ? Mettra-t-il l’accent sur la résolution de la crise sahélienne ?
Le Sahel fait partie de ses priorités. Sans oublier d’autres crises, notamment celles provoquées par les coups d’Etat en Guinée et au Mali, deux pays, comme le Sénégal, membres de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao). Il devrait également s’attaquer aux questions environnementales, notamment au Sahel, avec ce projet de Grande Muraille verte dont il parle assez régulièrement. Mais tout cela, malheureusement, va être encore une fois soumis à la question du Covid-19. L’évolution de la pandémie aura de toute manière un impact sur son agenda.
Comment pourra-t-il faire avancer ces dossiers prioritaires ?
En arrivant avec des plans préparés et des objectifs clairs, même s’ils sont modestes. La diplomatie sénégalaise existe, elle ne découvre pas l’UA. Mais il devra faire avec une machine en pleine réforme et qui est, tout de même, encore assez souvent dysfonctionnelle.
Le budget de l’UA est encore très dépendant des financements extérieurs. Est-ce une faiblesse ?
Ça va mieux. Certains pays sont à jour de leurs contributions et les mécanismes de financement via la taxe douanière de 0,2 % sur les importations [réforme Kagame] se mettent peu à peu en place. Mais la plupart des membres n’ont pas encore fait leur ce mécanisme et il est difficile d’avoir des informations sur ce sujet. On tend vers une autonomisation financière de l’institution, mais on n’y est pas encore. Une partie significative de l’argent vient encore de bailleurs de fonds comme l’Union européenne (UE).
- « La France a tendance à privilégier une approche bilatérale dans ses relations avec les pays africains, plutôt que le multilatéralisme avec l’UA »
Toutefois, les pressions exercées par Bruxelles ne sont pas particulièrement fortes sur la question financière. Déjà parce que les financements européens sont un moyen d’avoir de l’influence sur l’UA et peut-être parce qu’au sein de l’UE, tout le monde ne voit pas l’UA de la même manière. Certains, comme la France, ont tendance à privilégier une approche bilatérale dans leurs relations avec les pays africains, plutôt que le multilatéralisme avec l’UA. D’autres, comme l’Allemagne ou les Pays-Bas, préfèrent travailler avec l’institution, étant eux-mêmes d’une tradition très multilatéraliste et ayant moins d’ambassades sur le continent. Il y a ainsi des philosophies différentes au sein de l’UE.
[...]
> Lire l'interview sur le site du Le Monde
Média
Partager