Dissuasion nucléaire : Paris et Londres vers un accord de "coordination"... pour changer quoi ? "La France gardera sa souveraineté"
La France et le Royaume-Uni sont prêts à "coordonner" leurs dissuasions nucléaires pour protéger l’Europe, ont fait savoir Emmanuel Macron et Keir Starmer ce jeudi 10 juillet, à l’issue d’un sommet franco-britannique, à Londres. Jean-Louis Lozier, conseiller auprès de l’Ifri, spécialiste des questions de dissuasion nucléaire, nous explique les enjeux d’un tel accord. Entretien.

La Dépêche du Midi : La création d’un groupe de supervision nucléaire franco-britannique a été annoncée, de quoi s’agit-il et comment pourrait-il fonctionner très concrètement ?
Jean-Louis Lozier, conseiller au centre des études de sécurité de l’Ifri (Institut français des relations internationales) : Ce groupe sera piloté directement par l’Élysée et du côté britannique, par le Cabinet Office. Il y aura un conseiller chargé des affaires stratégiques qui, je suppose, gérera cela. Ce groupe s’occupera de trois domaines : le domaine politique, le domaine des capacités et le domaine des opérations.
Les coopérations politique et en matière de capacités existent déjà non ?
Oui, mais je pense que la coordination politique sera rendue plus fine, plus constante. Concernant les capacités, il existe des coopérations depuis 2010 avec le projet "Teutates" qui a permis la réalisation d’une infrastructure commune pour la simulation de nos armes de guerre. C’est sur le volet des opérations qu’il y aura le plus de nouveautés.
Les doctrines nucléaires française et britannique vont-elles changer ?
Oui, ce serait une vraie évolution. Cela dit, les fondamentaux de nos doctrines respectives restent présents. Il faut savoir que nos doctrines étaient déjà assez proches dans l’emploi des armes nucléaires, donc le rapprochement est plus simple. Mais jusqu’à présent, chaque pays réfléchissait seul à l’emploi de ses armes. Aujourd’hui, on se donne la possibilité de le faire ensemble avec les Britanniques. C’est une évolution, certes, mais on renforce les fondamentaux : c’est bien le président de la République française qui décidera de l’emploi des armes nucléaires françaises. La dissuasion restera sous souveraineté française.
Qu’est-ce que cela changera ?
On peut penser, par exemple, qu’en cas de crise, il serait possible de s’accorder pour augmenter le nombre de sous-marins nucléaires en mer. Mais on peut aussi envisager une planification en commun. Quand je parle de planification, je pense au choix des cibles potentielles. Je ne sais pas si cela sera fait. Ce n’a pas été annoncé. Tout cela reste à l’état d’hypothèse, mais c’est le genre de réflexion que l’on peut avoir.
Et quel est l’intérêt de planifier des opérations en commun ?
Face à un agresseur — tout le monde pense évidemment à la Russie et à sa politique impérialiste, expansionniste —, on est plus fort à deux puissances nucléaires coordonnées. C’est un raisonnement que tout le monde comprend.
La dissuasion nucléaire française sera-t-elle partagée ? Est-ce seulement possible ?
Non, la dissuasion ne sera pas partagée. La France gardera sa souveraineté. En cas de menace extrême contre l’Europe et les deux pays, il y aura immédiatement un contact entre le Premier ministre britannique et le président français. Mais à ce moment-là, chaque pays restera souverain. On se donne simplement la possibilité de réagir de façon coordonnée.
Les missiles français pourraient-ils se substituer aux missiles américains que le Royaume-Uni utilise ?
Non, d’un point de vue technique et technologique, ce n’est pas possible. Toute la composante sous-marine britannique a été conçue autour des missiles américains. Ce n’est pas quelque chose qu’on remplace comme ça.
Quel est le message envoyé à la Russie à travers cette coopération renforcée ?
Le message envoyé au président russe, c’est que s’il compte sur une absence de réaction des États-Unis — comme certains peuvent le craindre —, il aura en face de lui, a minima, une union très forte entre le Royaume-Uni et la France dans le domaine nucléaire. Il faut garder à l’esprit que les forces nucléaires françaises comme britanniques sont capables d’infliger des dommages absolument inacceptables sur le territoire russe. Et à deux, ce sera encore plus inacceptable…
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