Rechercher sur Ifri.org

Recherches fréquentes

Suggestions

Simone Veil (1927-2017)

Éditoriaux
|
Date de publication
|
Image de couverture de la publication
pages_de_veil_israel_et_la_diaspora_2017.jpg
Accroche

Simone Veil, qui vient de décéder, a été membre du Conseil d'administration de l’Ifri pendant de nombreuses années. Nous nous souvenons de son attention bienveillante et de son soutien constant.

Elle avait par ailleurs rédigé un article pour Politique étrangère (n° 2/1988) au sujet de son rapport à Israël. Nous reproduisons ce texte ci-dessous.

Corps analyses

Il y a quarante ans, mon rapport avec Israël était avant tout d’ordre affectif. À Auschwitz, j’avais découvert ce que signifiait le sionisme pour une diaspora toute tendue vers la recherche de la terre promise. Pour les juifs déportés de Pologne, pour certains de ceux venus de Tchécoslovaquie, l’idée de rester en Pologne ne les effleurait pas ; seul les habitait, si jamais ils échappaient à l’extermination, l’espoir de se rendre en Palestine. Pour nous, juifs français, la question ne se posait pas. La France nous attendait, notre vie reprendrait chez nous, pas comme avant, mais presque.

Après 1945, je me suis sentie profondément solidaire du périple des personnes déplacées vers la Palestine, des acteurs de l’aventure tragique d’Exodus, des victimes du refoulement par les Anglais. J’ai vécu la déclaration d’indépendance d’Israël et les combats qui ont suivi dans une perspective émotionnelle. La création de l’État juif apparaissait comme une espèce de miracle, la réalisation d’une promesse autant que d’un rêve. L’État d’Israël, c’était aussi un pays d’accueil pour les juifs chassés et persécutés durant des siècles.

C’était une terre que l’on fertilise, un désert qui devient verger. C’était enfin le pays des kibboutz, d’une expérience nouvelle d’organisation sociale fondée sur la solidarité. Les juifs devenaient tout à la fois soldats et hommes de la terre. Cette émotion que j’éprouvais alors, je la ressens encore aujourd’hui face à la transformation du pays quand je vais de Jérusalem à Tel-Aviv, à travers cette route si chargée d’histoire et empreinte de tant de beauté.

J’avais vécu l’aventure militaire de la défense du territoire avec passion, angoisse. Au lendemain de la guerre des Six Jours, en 1967, après une victoire brillante, rapide et qui survenait après une très grande peur, je me posais de nouvelles questions : Israël était victorieux mais comment allait-il aménager sa victoire ? Saurait-il concilier les exigences de sa sécurité avec le principe du respect du droit des peuples ? C’est en termes personnels et émotifs, encore une fois, que j’ai vécu ce dilemme. Je ne saurai mettre en cause la sécurité d’Israël mais en même temps la reconnaissance de certaines valeurs s’impose. Je vis dans une perpétuelle tension, prise entre le désir de l’objectivité – si nécessaire à Israël – et en même temps la difficulté, n’étant pas israélienne, n’assumant pas les risques des Israéliens d’adopter une approche objective et en quelque sorte désincarnée.

Il est facile d’être donneur de conseils et de jouer au juste en se retranchant derrière des principes alors qu’on assume ni les charges ni les risques d’un pays en guerre. Mon avenir se joue ailleurs, ce n’est ni ma sécurité, ni celle de mes enfants qui sont en cause.

Pourtant je ne puis cacher qu’en 1982, au lendemain de l’invasion israélienne du Liban, je me suis sentie particulièrement troublée. D’instinct, je jugeais cette aventure risquée – comme beaucoup d’Israéliens – mais il m’était désagréable de m’exprimer ouvertement et en public. Lorsqu’on exerce des responsabilités publiques dans son pays, l’influence que peut exercer ce que l’on dit, ce que l’on exprime, peut aller bien au-delà de ce que l’on a voulu dire, bien au-delà de votre pensée. Aussi me suis-je imposée une grande prudence d’expression. La tentation permanente de la diaspora est de juger Israël. Mais ce que nous disons est perçu différemment par les Israéliens et par le monde extérieur.

Parce que nous sommes juifs, on accorde à nos propos une signification particulière, souvent mal ressentie par les Israéliens eux-mêmes, même si une partie des Israéliens sollicitent l’avis de la diaspora à des fins de politique intérieure. Une grande majorité d’Israéliens, en fait, acceptent difficilement que les juifs de la diaspora prennent parti dans leur débat intérieur. Ils le vivent comme une accusation, un rejet, une remise en cause illégitime. Au moment où Shimon Pérès se déclara favorable à l’idée d’une conférence internationale sur le Moyen-Orient, je fus sollicitée pour appuyer ce projet. À l’époque je ressentais cette initiative comme inopportune, et pour le moins prématurée. Aujourd’hui, les propositions de George Shultz interviennent dans un contexte international différent. La situation dans les territoires occupés est telle que l’ouverture et le dialogue s’imposent pour sortir de l’impasse dans laquelle Israël se trouve.

Quarante ans nous séparent de la création de l’État d’Israël. Pour beaucoup de jeunes Européens, les victimes aujourd’hui ce sont les Palestiniens. Ils ignorent les conditions qui ont amené la création de l’État d’Israël même s’ils connaissent la shoah. Ils ne perçoivent pas Israël comme une terre d’accueil. Comment les jeunes comprendraient-ils les événements qui secouent Israël sur le plan affectif comme sur le plan historique ? Au lendemain de la rencontre germano-américaine de Bitburg, en 1985, j’ai très intensément éprouvé qu’une phase de l’histoire était en train de s’achever, que l’on passait à autre chose. Quarante ans, c’est le temps qu’il a fallu à Moïse pour sortir du désert. Quarante ans, c’est l’espace de deux générations. Celle qui a subi, et celle qui, déjà, théorise.

Devant le passage du temps, la diaspora doit avant tout éviter le provincialisme, le repli sur soi. Aujourd’hui, j’éprouve à l’égard d’Israël la même émotion, le même attachement, mais également une inquiétude. Plus que jamais, l’interdépendance des pays entre eux s’impose comme une réalité. Certes, la détente pourrait profiter à Israël. Mais la situation d’Israël est objectivement périlleuse. Politiquement, culturellement, Israël fait partie du Nord, mais géographiquement il se trouve au Sud. Israël doit-il devenir un pays du Sud et accepter d’y jouer son destin, devenant un partenaire ouvert au dialogue avec ses voisins, fussent-ils arabes, dans un ensemble régional ? Est-il inconcevable de penser qu’Israël pourrait apporter une manière de penser et de faire qui leur serait pour tous un facteur de progrès ?

 

 

Decoration

Contenu disponible en :

Régions et thématiques

Thématiques analyses
Régions

Partager

Téléchargez l'analyse complète

Cette page ne contient qu'un résumé de notre travail. Si vous souhaitez avoir accès à toutes les informations de notre recherche sur le sujet, vous pouvez télécharger la version complète au format PDF.

Simone Veil (1927-2017)

Image principale
Mosquée Süleymaniye, Istanbul, Turquie
Programme Turquie/Moyen-Orient
Accroche centre

Le programme Turquie/Moyen-Orient de l’Ifri fournit une expertise sur l’évolution des systèmes politiques, des sociétés et des économies de la région. Il se focalise d’une part sur les évolutions en Turquie et au Levant (influences turque et iranienne, risque de morcellement des États de la région, recompositions diplomatiques), et également au Maghreb (insertion du Maghreb dans les circuits mondiaux, relations politiques et économiques avec l’Europe et avec l’Afrique sub-saharienne…).

Image principale

L'Indonésie et la cause palestinienne

Date de publication
25 juillet 2025
Accroche

Lors de son discours inaugural à la présidence, le 20 octobre 2024, le président indonésien en exercice, Prabowo Subianto, a réaffirmé certains principes fondamentaux de la philosophie nationale indonésienne. Il a rappelé la politique étrangère de longue date de l’Indonésie fondée sur la non-alignement, ou « bebas dan aktif » (libre et active), ainsi que son rejet des pactes militaires.

Daniel PETERSON
Image principale

Middle Power Lawfare : l'Afrique du Sud, la justice internationale et la crise de Gaza

Date de publication
21 juillet 2025
Accroche

L’intensification de la violence à Gaza, à la suite de l’attaque "Déluge d’Al-Aqsa" menée par le Hamas le 7 octobre 2023 et de la riposte militaire d’Israël, a provoqué une réévaluation plus large de la diplomatie mondiale. Les alliances géopolitiques de longue date ont été bouleversées, et des questions relatives aux obligations humanitaires, à la responsabilité des institutions et aux limites de l’action des États sont revenues au cœur du débat international.

Gustavo DE CARVALHO
Image principale

Gaza et les diplomaties latino-américaines : un regain d’engagement multilatéral pour la Palestine ?

Date de publication
21 juillet 2025
Accroche

Depuis le 7 octobre 2023 et les représailles israéliennes dans la bande de Gaza, la guerre met en tension quelques-unes des dernières digues qui évitent à l’ordre international d’imploser, notamment le respect du droit international et du droit humanitaire, et le multilatéralisme. Dans cette perspective, qu’est-ce que les positionnements des États latino-américains face à la guerre à Gaza nous disent de cet ordre international en recomposition ? Qu’est-ce que ces positionnements nous apprennent sur la nature des rapports entre les États de la région et entre ceux-ci avec le reste du monde ?

Kevin PARTHENAY
Image principale

La relation turco-hongroise : opportunisme de circonstance ou amitié qui prend tout son sens ?

Date de publication
02 juillet 2025
Accroche

Si la Turquie et la Hongrie occupent des positions contrastées au sein de l’architecture européenne - candidate de longue date pour l’une, membre récalcitrant pour l’autre -, leurs politiques étrangères révèlent des convergences frappantes, tant dans leur posture souverainiste que dans leurs orientations de politique étrangère.

Thelma LORENTZ

Comment citer cette étude ?

Image de couverture de la publication
pages_de_veil_israel_et_la_diaspora_2017.jpg
Simone Veil (1927-2017), de L'Ifri
Copier
Image de couverture de la publication
pages_de_veil_israel_et_la_diaspora_2017.jpg

Simone Veil (1927-2017)