11
juil
2018
Espace Média L'Ifri dans les médias
Barbara KUNZ, citée par Pierre Alonso dans Libération

Donald Trump fait la pluie et l’Otan

Mercredi à Bruxelles, après un coup de sang contre l’Allemagne à qui il reproche d’acheter du gaz à la Russie, le président américain s’est finalement apaisé. Sous l’œil habitué de ses partenaires.

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Dès la première heure, mercredi, le président américain a renouvelé ses critiques contre les Européens, et singulièrement contre l’Allemagne, violemment ciblée dans une diatribe de plusieurs minutes. Attablé pour un petit-déjeuner avec le secrétaire général de l’Otan, dont le sommet se tient mercredi et jeudi à Bruxelles, Donald Trump s’est déchaîné contre Berlin : «L’Allemagne enrichit la Russie. Elle est prisonnière de la Russie. L’Allemagne est complètement contrôlée par la Russie. Elle paie des milliards de dollars à la Russie pour ses approvisionnements en énergie et nous devons payer pour la protéger contre la Russie. Comment expliquer cela ? Ce n’est pas juste.»

« Partage de fardeau »

Ce coup d’envoi offensif et provocateur est à l’image des déclarations du président américain bien avant que ne débute le sommet de l’Otan. Donald Trump s’en était d’abord pris aux budgets de la défense des Etats européens, qu’il estime insuffisants. Depuis 2014, les membres de l’Alliance atlantique s’étaient engagés à y consacrer 2 % de leur produit intérieur brut, d’ici dix ans. Un objectif chiffré destiné à incarner le « partage du fardeau » de la sécurité collective. La France fait figure de bonne élève, avec une hausse prévue pour atteindre les fameux 2 % en 2025. L’Allemagne, au contraire, concentre la fureur américaine avec son 1,24 % du PIB pour la défense. Le mois dernier, Washington a formellement rappelé par courrier cet engagement à une dizaine d’alliés, dont Berlin. Mardi soir, Trump l’a asséné sur Twitter, allant même plus loin : « De nombreux pays de l’Otan, que nous sommes censés défendre, non seulement ne tiennent pas leur engagement de 2 % (ce qui est bas), mais sont défaillants depuis des années dans leurs paiements qu’ils ne versent pas. Vont-ils rembourser les Etats-Unis ? ». Mercredi, il a carrément suggéré aux alliés d’aller jusqu’à 4 % du PIB…

Au petit matin, c’est un autre angle d’attaque qu’a choisi le président américain. Il a tancé le projet de gazoduc Nord Stream 2, qui doit doubler les capacités du « pipe » reliant actuellement la Russie à l’Allemagne. Environ la moitié du gaz acheté par les Européens vient de Russie, faisant du continent le premier marché du géant de l’énergie Gazprom. L’entreprise russe s’est associée à cinq Européens, dont Engie, pour financer ce gigantesque chantier de 9,5 milliards d’euros qui doit aboutir fin 2019. Mais le projet ne s’est pas fait sans heurts, divisant profondément les membres de l’UE. Pour la Pologne, l’Ukraine ou encore les Etats baltes, ce nouveau gazoduc renforçait un peu plus la dépendance à l’égard de la Russie, l’Etat étant actionnaire majoritaire de Gazprom, alors qu’il aurait fallu au contraire « diversifier l’approvisionnement en gaz naturel ». Le chef de la diplomatie polonaise, Jacek Czaputowicz, s’est engouffré dans la brèche ouverte par Trump pour répéter son opposition au gazoduc, mercredi, lors de son arrivée au siège de l’Otan. Ce projet « est un exemple de pays européens qui fournissent des fonds à la Russie et lui donnent des moyens qui peuvent être utilisés contre la sécurité de la Pologne », a-t-il dénoncé.

« Concessions »

Trump tape donc sur un point faible en Europe, mais aussi en Allemagne. 

  • « Merkel a longtemps défendu ce gazoduc comme purement commercial et non politique. Son discours a ensuite évolué pour expliquer qu’il fallait dialoguer avec la Russie, y compris avec ce type de projet, relève Barbara Kunz, chercheuse à l’Institut français des relations internationales. Toute l’Allemagne n’est pas alignée derrière elle. C’est devenu le sujet le plus problématique du moment ».

Le sujet hérisse d’autant plus Washington, y compris le Congrès, que les Etats-Unis veulent conquérir de nouveaux marchés pour leur gaz naturel. « Trump lie les questions de défense avec les enjeux commerciaux et industriels. Il se sert de la question des budgets de défense pour obtenir des concessions des Européens et notamment de l’Allemagne sur le plan commercial », observe la politologue et directrice à Paris du think tank German Marshall Fund of the United States, Alexandra de Hoop Scheffer. Pour la chercheuse, c’est une première : jamais un président américain n’avait utilisé la défense «comme un outil de chantage auprès de ses alliés les plus proches». Avec un certain succès jusqu’ici, remarque-elle : « Les Européens sont prêts à faire des compromis sur les taxes douanières appliquées aux automobiles américaines importées et à acheter plus de gaz naturel des Etats-Unis ».

Mercredi, la chancelière allemande a réagi avec sobriété aux propos de Trump. A l’issue d’un entretien bilatéral dont elle s’est dite satisfaite, Angela Merkel a joué l’apaisement : « Nous sommes de bons partenaires et nous souhaitons continuer à coopérer. » Trump avait entre-temps radicalement changé de ton, louant ses « très bonnes relations » avec l’Allemagne après ce tête-à-tête. Dans sa prise de parole lors de la première réunion du sommet, Emmanuel Macron a quant à lui appelé, selon l’Elysée, à « ne pas fragiliser l’Alliance » estimant qu’une désunion de l’Otan « serait à terme la source de dépenses encore plus importantes ».

  • Berlin, quoique dans le viseur de Trump, n’a finalement pas tellement d’options, juge Barbara Kunz : « L’Allemagne est très atlantiste, sa sécurité est garantie par les Etats-Unis et l’Otan est au centre de sa politique de défense. L’Allemagne se repose sur les Etats-Unis. Elle est pétrifiée, sans plan B tant qu’il n’y a pas de sursaut de l’Europe de la défense. » 

 

Lire l'interview sur le site de Libération.

 

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Donald Trump Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN) politique européenne de l'Energie Allemagne Union européenne