12
oct
2022
Espace Média L'Ifri dans les médias
Cédric PHILIBERT, tribune parue dans Le Monde

« Plus qu’une réforme des marchés, c’est une réforme des tarifs de l’électricité qui peut aider à faire face aux prix élevés »

L’économiste de l’énergie Cédric Philibert préconise, dans une tribune au « Monde », une tarification progressive et en temps réel, qui conserverait les effets incitatifs que la suppression du marché unique européen éliminerait.

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Que peut-on attendre d’une réforme des marchés de l’électricité ? Sur ces marchés de gros, européens, tous les mégawattheures consommés au même moment sont payés au prix requis par le producteur dont le coût marginal instantané est le plus élevé – en général, les centrales à gaz. Ce principe d’« ordre de mérite » a assuré, jusqu’ici, l’adéquation de l’offre et de la demande d’électricité.

La guerre en Ukraine a fait exploser le prix du gaz, et la faiblesse imprévue du parc nucléaire français a fortement accru le recours aux centrales à gaz. Le coût moyen de la production d’électricité, lui, est beaucoup plus faible que ces coûts marginaux. Les réacteurs nucléaires, les barrages hydroélectriques, les éoliennes et les panneaux solaires n’ont pas vu leur coût de production augmenter soudain, car ils ne paient pas (ou peu) de combustible.

Les propositions de réforme des marchés proposées par le gouvernement grec ou par Michael Liebreich, fondateur de Bloomberg New Energy Finance, dissocieraient deux marchés : un marché de l’électricité bas carbone, renouvelable ou nucléaire, et un marché de l’électricité d’origine fossile (gaz ou charbon).

Les deux marchés de l’électricité

Le premier marché de l’électricité bas carbone reposerait sur des accords d’achats d’énergie à long terme entre entreprises et compagnies de distribution. Le deuxième, celui de l’électricité « fossile », resterait dominé par l’ordre de mérite, afin d’éviter tout black-out. Les consommateurs paieraient un prix moyen. Ainsi, les prix actuels élevés de l’électricité fossile ne contamineraient plus ceux de l’électricité bas carbone.

Mais cette proposition aurait pour effet de diluer le signal prix. Si le prix est inférieur à celui de la production marginale, aucun consommateur n’ajustera sa demande en la réduisant ou en la déplaçant dans le temps, jusqu’au niveau « efficace », c’est-à-dire quand le coût supporté est égal à celui du kWh marginal.

De même disparaîtrait l’incitation donnée aux producteurs de produire davantage aux heures de pénurie, incitation que le mécanisme du « complément de rémunération » a préservée pour les énergies renouvelables : chaque producteur reçoit ou paie la différence entre le prix de vente moyen reçu au cours du mois précédent par l’ensemble des opérateurs et le prix convenu par contrat, qui lui garantit une « rémunération raisonnable ».

Les avantages de la réforme

Avec une telle réforme, construire des parcs éoliens ou solaires plus performants (plus de panneaux photovoltaïques, des pales d’éoliennes plus longues, ou produire plus le soir et moins à midi, par exemple) n’aurait plus d’intérêt. Le développement de stockages, non plus. A moins, bien sûr, de concevoir des contrats entièrement modulés selon les heures et les jours de l’année, et sur vingt ans !

Au total, une telle réforme des marchés conduirait à des énergies propres moins efficaces et à davantage de production électrique fossile. De plus, si elle ne concerne que les nouveaux outils de production, elle mettra longtemps à produire des effets. Et si elle concerne les producteurs actuels, la question des contrats existants soulèvera de difficiles questions légales et constitutionnelles.

Pourrait-on, cependant, obtenir les bénéfices vantés par les partisans d’une telle réforme des marchés, sans en avoir les inconvénients ? En premier lieu, les règles de marché actuel produisent des profits indus, qui peuvent être taxés. La France vient de le faire, de fait, avec les énergies renouvelables. Dans les contrats des opérateurs éoliens, solaires et bioélectriques, en effet, si les prix de marché dépassent le prix convenu, ce n’est plus l’Etat qui paie les opérateurs, ce sont les opérateurs qui paient l’Etat.

Les deux axes de la réforme

A l’origine, cette contribution se limitait au remboursement des subventions auparavant perçues grâce à ce mécanisme. La loi de finance rectificative votée à l’été 2022 a supprimé ce plafond – au 1er janvier 2022. Dès lors, tout profit au-dessus de la « rémunération raisonnable » que ces contrats visent à garantir est entièrement prélevé. Cela équivaut à une taxation à 100 % des « surprofits » des opérateurs d’énergies renouvelables.

L’exécutif, qui a proposé cette mesure, et le Parlement, qui l’a voté, ont paradoxalement refusé « en même temps » toute taxation des superprofits des opérateurs gaziers et pétroliers ! ! ! L’Europe a heureusement pris le relais, et taxera les profits indus à 33 %. Et cela ne nécessitera pas une réforme des marchés.

Mais c’est surtout une réforme des tarifs de l’électricité qui peut aider à faire face aux prix marginaux élevés, tout en conservant, voire en augmentant, les bénéfices d’un recours aux énergies bas carbone. Ces tarifs peuvent être réformés selon deux axes. Premièrement, une évolution des prix en temps réel augmenterait la consommation aux heures de surplus, et la découragerait aux heures de déficit – sur le modèle des tarifs « heures pleines-heures creuses » et « tempo ».

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Cédric Philibert(chercheur associé au Centre énergie et climat de l’Institut français des relations internationales (IFRI))

 

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