« La transition énergétique n’a réellement démarré qu’en Europe »
Le directeur du centre énergie & climat de l’Institut français des relations internationales, Marc-Antoine Eyl-Mazzega, estime que le monde n’est pas sorti du fossile. Il y a urgence, selon lui, à s’attaquer au charbon, au méthane, et à protéger les forêts et les océans.
En mai 2021, l’Agence internationale de l’énergie appelait, pour la première fois, à ne plus investir dans de nouvelles installations pétrolières ou gazières. Six mois plus tard, lors de la conférence mondiale sur le climat (COP26) de Glasgow, en Ecosse, des engagements inédits étaient pris pour tenter de réduire le recours aux fossiles. Marc-Antoine Eyl-Mazzega, directeur du centre énergie & climat de l’Institut français des relations internationales (IFRI), revient sur les enjeux colossaux liés à la transformation du secteur de l’énergie.
Où en est-on de la transition énergétique ?
On a connu, au cours de l’histoire, différentes phases qui correspondent à l’utilisation de différents vecteurs énergétiques. Les équilibres ont été modifiés, mais on a surtout ajouté de nouvelles sources d’énergie : aujourd’hui, la moitié de la planète est encore en diversification énergétique. Au charbon, au pétrole, au gaz, on ajoute du solaire, de l’éolien et éventuellement du nucléaire, mais sans réduire les fossiles.
En Europe, nous sommes dans une situation exceptionnelle. Il y a clairement eu un découplage entre la croissance économique en hausse et les émissions de gaz à effet de serre qui ont diminué – pas assez, mais elles ont baissé. Les Etats-Unis ne connaissent pas ou peu de découplage, et tous les pays qui n’ont pas encore émergé ont des niveaux d’émissions très marginaux. En réalité, la transition énergétique n’a commencé que chez nous.
Dans ce contexte, est-il possible d’abandonner réellement les fossiles ?
Nous n’avons pas le choix. Il faut sortir du charbon, réduire très largement la consommation de pétrole et de gaz. En Europe, c’est en cours, mais la difficulté est que nous sommes dans un entre-deux : nous ne sommes pas encore sortis des fossiles et pas encore pleinement dans le nouveau monde des technologies bas carbone. Nous subissons donc les inconvénients et les vulnérabilités liés aux deux systèmes.
Quel bilan tirez-vous de la COP26 de Glasgow ?
Après la COP, le verre me semble à moitié plein, avec l’adoption d’objectifs de neutralité carbone, les engagements sur le charbon ou le méthane. Mais les engagements pris sont trop lointains par rapport à l’urgence qui est la nôtre et le grand défi reste de mettre en œuvre ces promesses. Or, dans la plupart des cas, il n’y a pas de stratégies ou, quand il y en a, elles sont inadaptées aux réalités.
La prochaine décennie sera décisive, mais d’une certaine façon il est déjà trop tard, trop de temps a été perdu : nous n’arriverons pas à créer les conditions pour s’inscrire dans une trajectoire de réchauffement limité à 1,5 °C et atteindre la neutralité carbone, c’est-à-dire réduire nos émissions de gaz à effet de serre de 80 % d’ici à 2050. Cela paraît maintenant hors d’atteinte. Ce qui n’empêche pas qu’il faut continuer de se fixer cet objectif. Si on vise 2 °C, on aura 3 °C ; si on vise 1,5 °C, on aura peut-être 2 °C !
N’est-il pas possible d’accélérer, par exemple pour sortir du charbon ?
Quand on regarde ce secteur en détail, les chiffres font froid dans le dos. On dénombre 8 500 centrales en activité, soit 2 000 gigawatts de capacité de production totale, dont plus de la moitié en Chine. Or la majorité d’entre elles ont été installées ces vingt dernières années, elles vont donc fonctionner encore très longtemps !
« Il est déjà trop tard, trop de temps a été perdu : nous n’arriverons pas à réduire nos émissions de gaz à effet de serre de 80 % d’ici à 2050 », Marc-Antoine Eyl-Mazzega
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Article paru dans le "Bilan du Monde 2022. Géopolitique-Environnement-Economie », hors-série du « Monde », 220 pages, janvier 2022
> Lire l'intégralité de l'article sur le site du journal Le Monde.
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