Rechercher sur Ifri.org

Recherches fréquentes

Suggestions

Course à l’armement dans l’UE : des budgets en hausse, des capacités inégales

Interventions médiatiques |

interviewé par Alicia Piveteau pour

  Polytechnique insights 

 
Accroche

On observe ces dernières années un réarmement progressif des pays membres de l’UE et les budgets de défense sont globalement à la hausse. Si la France possède la seconde armée la plus importante de l’UE, elle peinerait aujourd’hui à déployer plus d’une brigade et à en assurer la relève par une unité équivalente.

Image principale médiatique
Colonne de véhicules blindés allemands pendant un défilé de l'OTAN
Colonne de véhicules blindés allemands pendant un défilé de l'OTAN
Arnoldas Vitkus/Shutterstock.com
Table des matières
Table des matières
body
  • Aujourd’hui, 4% du budget de la Pologne est consacré à la défense et son objectif est de construire la première armée de Terre de l’UE pour répondre aux menaces russes.
  • Suivant l’exemple polonais, l’Estonie consacre 3,4 % de son budget à la défense, contre 3,2 % pour la Lettonie et 2,9 % pour la Lituanie.
  • Si le Royaume-Uni a un budget de défense conséquent, son armée de Terre comme sa marine ont des lacunes au niveau des infrastructures, des équipements et de la main-d’œuvre.

Chronique par Léo Péria-Peigné, chercheur au Centre des études de sécurité de l'Ifri.

 

Pour répondre aux menaces géostratégiques, la Commission européenne a dévoilé le plan « ReArm Europe ». Dotée d’une enveloppe de 800 milliards d’euros, cette initiative entend renforcer rapidement les capacités industrielles et militaires des États. Avant de mettre à l’œuvre ce plan, quel est l’état global des armées des pays membres ?

Dresser un état des lieux des capacités de défense au sein de l’Union européenne est un exercice complexe puisque la plupart des données traduisent une vision uniquement théorique. En pratique, ces forces ne sont pas allées sur le terrain et n’ont pas connu d’expériences de combat en conditions réelles depuis les années 2000–2010, lors des guerres en Irak ou en Afghanistan. En 2025, les forces ukrainiennes sont les seules en Europe à pouvoir se targuer d’avoir testé leurs capacités militaires dans un conflit de haute intensité.

Pour le reste, les pays européens ont bénéficié des « dividendes de la paix » ces trois dernières décennies en réduisant considérablement leur budget militaire au profit d’autres secteurs. Certains États, tels que la Belgique et les Pays-Bas, avaient même fait le choix d’abandonner des équipements coûteux – comme les chars d’assaut ou les lance-roquettes – dans les années 1990–2010. À présent, ils cherchent à renouer avec leurs anciens acquis. Si les budgets de défense sont globalement à la hausse, alimentés par une volonté politique de réinvestir sur le long terme et de recréer des unités de combats opérationnelles, il faudra toutefois faire preuve de patience avant d’en voir les retombées. Selon les armées, entre cinq et dix ans seront nécessaires pour recréer ou rendre crédible une capacité complète.

Le cas français 

Depuis 2022, la France s’est progressivement retirée des théâtres d’opérations en Afrique de l’Ouest et au Sahel pour ne conserver que deux bases permanentes, au Gabon et à Djibouti. Les unités françaises conservent un certain niveau de compétences opérationnelles et une capacité à se déployer. Elles peuvent, certes, tabler sur leur expérience, mais les menaces auxquelles elles se préparent en Europe ne sont pas de même nature que celles affrontées lors des dernières guerres irrégulières. La question de la pertinence de ses moyens face à un adversaire comme la Russie se pose.

Tous corps confondus, les effectifs atteignent le palier des 200 000 militaires (et 41 000 réservistes). Si la France possède la seconde armée la plus importante de l’UE, dans l’hypothèse d’un conflit de haute intensité, elle peinerait actuellement à déployer plus d’une brigade – entre 7 000 et 8 000 militaires – et à en assurer la relève par une unité équivalente. Cet objectif doit cependant être atteint à court terme, avant d’envisager le déploiement d’une division (deux ou trois brigades) d’ici 2030.

Depuis le début de l’invasion russe en Ukraine, la Pologne s’est montrée particulièrement active en matière de réarmement. Elle entend doubler ses effectifs militaires et accéder à l’arme nucléaire. Des pays européens suivront-ils cette direction ?

Varsovie a en effet décidé de quitter le stade de la théorie en amorçant une phase de renforcement capacitaire depuis 2022. Environ 4 % de son budget est consacré à la défense. Contrairement aux autorités françaises qui ont fait le choix de conserver le plus de capacités possibles tout en réduisant les effectifs, la vocation polonaise n’est pas d’avoir l’armée la plus complète d’Europe. Son objectif en ligne de mire est de construire la première armée de Terre de l’UE pour être apte à répondre aux menaces russes. Elle s’impose ainsi comme l’armée la plus nombreuse dans le paysage européen en enregistrant 202 100 militaires actifs (professionnels et volontaires) sur une population d’environ 37 millions d’habitants. En dirigeant ses investissements sur des besoins stratégiques précis, son objectif à l’horizon 2035 est de se doter d’un arsenal de 1 600 chars (la France en compte 200), de 1 200 pièces d’artillerie et de 800 lance-roquettes.

Face à la pression exercée par la Russie, les pays qui lui sont limitrophes suivent l’exemple polonais en augmentant leurs dépenses militaires : l’Estonie consacre 3,4 % de son budget à la défense, suivie par la Lettonie (3,2 %) et la Lituanie (2,9 %).

Effets d’annonce ou capacités réelles ?

Les budgets et le volume des équipements militaires ne sont pas systématiquement révélateurs des capacités effectives. Comment déployer des lance-roquettes pour réaliser des frappes en profondeur ? Comment déployer des sous-marins nucléaires afin d’exercer une pression sur une zone navale ? Au-delà de l’acquisition, c’est la maîtrise des défis opérationnels qui se joue. Par exemple, la France n’a pas mobilisé de chars depuis plusieurs années et en matière de guerre électronique, elle n’en a que les moyens et des compétences très limitées ou spécialisées. 

Quant au Royaume-Uni, s’il détient le budget de défense le plus conséquent en Europe (hors Turquie), son armée de Terre comme sa marine se trouvent dans un état critique, marquées par des lacunes au niveau des infrastructures, des équipements et de la main‑d’œuvre. En règle générale, les chiffres annoncés en Europe peuvent aisément être réduits d’un tiers, de moitié dans certains cas, car ils cachent toujours des défaillances de maintenance.

Quels résultats attendus ? 

La multiplication des annonces et des investissements marque une importante rupture avec les trente années de désengagement militaire qui ont suivi la fin de la Guerre froide. Par-delà les discours politiques, le paysage militaire européen aura-t-il évolué d’ici 5 à 10 ans ? Comment pallier les difficultés de recrutement ? Quel sera le nombre effectif, et non théorique, de soldats prêts à être déployés dans de bonnes conditions ?  Pour l’heure, le processus de réarmement n’est qu’à ses débuts, des années de sous-investissement devront être rattrapées avant d’obtenir une crédibilité dans l’actuel environnement géostratégique, composé d’acteurs qui communiquent et ne comprennent que le rapport de force.

 

> Lire la chronique sur Polytechnique insights.

Decoration

Média

Nom du journal, revue ou émission
Polytechnique insights

Journaliste(s):

Journaliste
Alicia Piveteau

Nom de l'émission

Nom de l'émission
Polytechnique insights

Format

Catégorie journalistique
Interview

Partager

Decoration
Auteurs
Photo
Léo Péria-Peigné, chercheur au Centre des études de sécurité de l'Ifri

Léo PÉRIA-PEIGNÉ

Intitulé du poste
Crédits image de la page
Colonne de véhicules blindés allemands pendant un défilé de l'OTAN
Arnoldas Vitkus/Shutterstock.com