19
jan
2009
Éditoriaux de l'Ifri Lettre du Centre Asie

Les relations entre l'Inde et le Pakistan après les attentats de Bombay : Le dialogue impossible ? Lettre du Centre Asie, n° 37, janvier 2009

Les relations entre l'Inde et le Pakistan après les attentats de Bombay : Le dialogue impossible ?

La constitution d"un gouvernement civil mené par le Pakistan People"s Party (PPP) après sa victoire électorale aux élections législatives de février 2008 et l"élection de Asif Ali Zardari, co-président du PPP, comme président de la République islamique du Pakistan en avril 2008 semblaient devoir conduire à une accélération du processus de rapprochement entre l"Inde et le Pakistan qui avait été relancé à partir de 2004 par le président Musharraf sous le nom de " dialogue composite ". Le président Zardari avait, dès son élection, multiplié les déclarations favorables à ce rapprochement, allant même parfois au-delà des attentes en proposant, par exemple, début novembre, un accord nucléaire avec l"Inde et les autres Etats de l"Asie du Sud dans le cadre duquel le Pakistan s"engagerait à ne pas procéder à de premières frappes nucléaires. D"ailleurs, malgré un renouvellement de la tension à la frontière du Cachemire en mai 2008, les réunions programmées dans le cadre de ce dialogue se sont déroulées normalement dans la période qui a précédé les attentats.

Les attentats de Bombay, perpétués les 26, 27, 28 novembre par 10 militants islamistes, qui ont réussi à tenir tête aux différentes forces de sécurité indiennes pendant 60 heures, à occuper deux des lieux les plus prestigieux de la ville (l"hôtel Taj et l"hôtel Trident Oberoi) et un centre culturel juif, et à faire 154 victimes, en particulier en tirant indistinctement sur les passagers de la Gare Centrale de Bombay et sur les visiteurs et les malades d"un hôpital ne pouvaient pas rester sans conséquence sur les relations des deux pays.

Le jeu de l"Inde

L"Inde a réagi immédiatement en suspendant le dialogue composite et en présentant au Pakistan deux exigences :

-Le Pakistan devrait extrader vers l"Inde un certain nombre (ce nombre a varié selon les déclarations entre 4 et 40) de militants islamiques pakistanais ou indiens connus pour avoir prêter la main à des attentats commis en Inde précédemment comme le chef du Jaish-e- Mohammed , M. Masood Azhar, considéré comme responsable de l"attentat contre le Parlement indien en décembre 2001 ou un des chefs de la mafia de Bombay, M. Ibrahim Dawood, de nationalité indienne, probablement réfugié au Pakistan, un des auteurs présumés des attentats de Bombay en mars 1993, qu"il aurait financés. Il conviendra d"y ajouter les responsables des derniers attentats lorsque ceux-ci seront identifiés. Cette revendication traditionnelle de l"Inde n"a jamais été acceptée par les autorités pakistanaises précédentes et le gouvernement actuel a déjà fait savoir qu"il continuait à la juger inacceptable.

- Le Pakistan devrait s"engager à arrêter et à juger les principaux responsables des mouvements islamistes radicaux, soupçonnés d"alimenter le terrorisme en Inde et à détruire leurs camps d"entraînement et toutes leurs infrastructures.

Si ces deux exigences n"étaient pas satisfaites, New Delhi gardait " toutes les options ouvertes ", sans préciser quelles étaient ses options. Mais il ressortait clairement de nombreuses déclarations des autorités indiennes que " la guerre n"est pas une option ". C"est donc la voie légale et diplomatique qui a été choisie.

- En attendant que le Pakistan réponde à ces demandes, l"Inde a fait preuve, jusqu"à maintenant, d"une grande modération, qui contraste avec les actions qu"elle avait prises après l"attentat contre le Parlement indien, fin décembre 2001. Celle-ci s"explique par la conviction, initialement affirmée à plusieurs reprises par le Premier ministre et le ministre des Affaires étrangères, que les autorités gouvernementales civiles pakistanaises n"étaient pas impliquées dans l"organisation des attentats. Ainsi, aucun mouvement de troupes aériennes ou terrestres n"a été signalé malgré quelques affirmations contraires, et vite abandonnées, de l"armée pakistanaise. L"Inde n"a pas rompu, ni même dégradé, ses relations diplomatiques avec le Pakistan, les frontières entre les deux pays restent ouvertes, même si les visas semblent être accordés avec parcimonie, les transports aériens et terrestres entre les deux pays ne sont pas arrêtés, 15 pakistanais retenus dans les prisons indiennes ont été renvoyés au Pakistan début janvier, les échanges commerciaux entre les deux cotés de la ligne de contrôle au Cachemire, un des résultats concrets du dialogue composite, se poursuivent. Seuls quelques évènements publics, comme une tournée de l"équipe de criquet indien au Pakistan prévue en janvier ou des concerts et représentations théâtrales pakistanaises en Inde ont été annulées, plus sans doute pour des raisons de maintien de l"ordre public que comme des sanctions.

Les autorités indiennes paraissent avoir deux objectifs principaux :

Le premier est stratégique : Il s"agit de s"assurer de l"interdiction effective de tous les groupements terroristes (Jaish-e-Mohammed et Lashkar-e-Taïba rebaptisé Jamaat-ud-Dawa etc.) et de la fermeture de leurs camps d"entraînement qui forment des militants prêts au " djihad " contre l"Inde. Initialement, ces groupes étaient destinés à mener le combat contre la présence indienne au Cachemire et ont bénéficié d"un soutien à peine dissimulé de l"armée pakistanaise et de ses services secrets, l"Inter Service Intelligence Agency (ISI) dans le cadre de la politique dite des " mille coupures " contre l"armée indienne. Ils sont maintenant accusés d"être responsables de nombreux attentats hors du Cachemire, comme celui contre le Parlement de Delhi en décembre 2001 et, aujourd"hui, des attentats de Bombay. Les autorités pakistanaises ont promis à de nombreuses reprises de mettre un terme à leurs activités. Citons, par exemple, la déclaration indo-pakistanaise du 6 janvier 2004 à l"issue d"un sommet du SAARC[1] à Islamabad, qui permit la relance du " dialogue composite " entre l"Inde et le Pakistan. Ces promesses n"ont jamais été tenues, d"une part, parce que l"opinion publique pakistanaise soutient, dans sa majorité, ces groupements dont certains ont développé parallèlement une importante activité humanitaire, d"autre part, parce que l"armée pakistanaise n"a, sans doute, pas renoncé à les utiliser pour affaiblir le grand rival indien. Il est peu probable que l"Inde se contentera, cette fois, de l"interdiction purement formelle de quelques mouvements extrémistes et de la mise en résidence surveillée de leurs chefs, le temps que la tension s"apaise, pour les voir réapparaître sous d"autres noms, mais avec les mêmes leaders et les mêmes objectifs, quelques semaines ou quelques mois plus tard comme ce fut le cas en 2002.

Le second objectif est politique : Les élections législatives en Inde doivent se dérouler au mois d"avril prochain. Face à une opposition menée par le BJP (Bharatya Janata Party, le parti hindouiste) qui joue à fond la carte nationaliste, le Parti du Congrès et ses alliés de l"United Progressive Alliance ne peuvent se permettre d"aller à ces élections sans avoir obtenu des résultats significatifs qui justifieraient, aux yeux de l"opinion publique, la politique de retenue qu"ils ont menée jusqu"à maintenant. Il est essentiel pour le gouvernement d"obtenir du Pakistan plus que ce qu"avait obtenu le Gouvernement BJP en 2002.

Le jeu du Pakistan

La première réaction du président Zardari et du Premier ministre Gilani a été d"offrir leur pleine coopération à l"Inde, en acceptant, par exemple, la demande qui leur avait été présenté par le Premier ministre indien d"envoyer à Delhi le directeur général de l"Inter Service Intelligence (l"ISI), les services secrets pakistanais. L"armée y a mis son veto, et la visite n"a pas eu lieu.

Depuis lors, les déclarations contradictoires, les atermoiements et les tergiversations se succèdent avec, semble-t-il, comme objectif de céder le moins possible à l"Inde, tout en donnant suffisamment de gages pour ne pas s"aliéner l"opinion publique internationale, en particulier les Etats-Unis, la Chine et l"Arabie saoudite.

-Il y a eu d"abord le déni : le Pakistan n"avait rien à voir avec les attentats et l"Inde profitait de la situation pour entretenir une hystérie guerrière pour faire oublier l"échec flagrant de ses services de sécurité à Bombay. D"ailleurs, les autorités indiennes ne fournissaient aucune information directe aux autorités pakistanaises ce qui prouvait que le dossier indien était vide. Ce déni justifiait une violente campagne anti-indienne qui présentait l"Inde comme l"agresseur. Plusieurs incidents plus ou moins imaginaires recevaient la plus large publicité pour accréditer l"idée que l"Inde était sur le point de faire la guerre au Pakistan. Etait ainsi créé un climat d"unanimité nationale, allant jusqu"à envisager le concours des Talibans pakistanais pour lutter contre l"ennemi indien.

-Ensuite, le Pakistan a du reconnaître l"évidence : les attentas avaient bien été commis par des Pakistanais et il était plus que probable que des " entités non-étatiques " situées au Pakistan y avaient contribué. Le gouvernement indien a fourni aux autorités pakistanaises un dossier très complet qui a été corroboré par les Américains et les Britanniques. L"admission de cette implication a cependant été difficile. Elle a coûté son poste au conseiller pour la sécurité du Premier Ministre, le général à la retraite Mahmoud Ali Durrani.

-Dans le même temps, le président et le Premier ministre continuaient à affirmer vouloir coopérer avec l"Inde en proposant avec insistance une enquête commune sur les évènements de Mumbaï, ce qui est, pour le moment, inacceptable pour l"Inde qui soupçonne que tous les éléments compromettant des entités pakistanaises éventuellement impliquées par l"enquête leur seraient immédiatement transmis. De plus, à la suite d"un vote du Conseil de sécurité des Nations Unis le 10 décembre 2008, incluant le Jamat ud Dawa dans la liste des organisations terroristes, le gouvernement pakistanais fermait les bureaux de cette organisation et mettait en résidence surveillée quelques-uns uns de ces principaux leaders dont son chef, M. Hafiz Mohammed Saeed.

-Cette politique réussit assez bien : le Pakistan joue habilement de son atout principal : les Etats-Unis ont besoin que l"armée pakistanaise soit activement engagée dans la lutte contre les Talibans afghans et pakistanais sur la frontière occidentale du pays. Une mobilisation de l"armée sur la frontière orientale, pour ne rien dire de véritables actions guerrières sur cette frontière, créerait une situation difficile pour les forces alliées sous direction américaine qui combattent en Afghanistan. Les Etats-Unis et la Grande-Bretagne déploient donc une activité diplomatique intense[2] tant à Islamabad qu"à New Delhi pour éviter ce risque, ce qui semble ne pas avoir empêché le Pakistan de transférer à la mi-janvier une partie de ses troupes de la frontière afghane à la frontière indienne. Au passage, le Pakistan engrange des succès diplomatiques. La récente visite du ministre des affaires étrangères de la Grande-Bretagne, M. David Miliband, en Inde et au Pakistan (15/18 janvier) est exemplaire de ce point de vue. M. Miliband a estimé que le refus du Pakistan d"extrader les suspects en Inde pouvait se justifier s"ils étaient soumis à de véritables procès au Pakistan. De plus, M. Miliband a reconnu, au grand mécontentement de New Delhi, qu"une " solution à la querelle sur le Cachemire aiderait à priver les extrémistes de la région de leur principale (raison) d"en appeler aux armes ".

Un dialogue toujours impossible ?

Au premier abord, les deux adversaires ont intérêt à trouver un compromis. L"arrivée au pouvoir d"un nouveau président américain inquiète New Delhi, qui avait développé des relations particulièrement cordiales avec le président Bush, et ceci d"autant plus que l"on prête au nouveau président la volonté de nommer un représentant spécial pour l"Inde, le Pakistan et l"Afghanistan, dont le portefeuille inclurait la question du Cachemire. L"Inde pourrait avoir intérêt à trouver rapidement une solution, sous peine de prendre le risque d"une pression américaine massive dans un sens qui pourrait être contraire à ses intérêts en " internationalisant " la question du Cachemire.

Le Pakistan, lui aussi, a intérêt à bouger. Dans la situation extrêmement difficile qu"il traverse (crise économique, guerre civile dans les territoires frontaliers avec l"Afghanistan, insécurité croissante dans le reste du pays du fait de la multiplication des attentats terroristes), il a un besoin vital du soutien de la communauté internationale. C"est sans doute ce qu"est venu dire au président Zardari, qui en est certainement convaincu, mais aussi aux responsables de l"armée, le prince Mukran bin Abdul Aziz, chef des services secrets saoudiens, lors de sa visite à Islamabad à la mi-janvier.

Cependant, les signaux restent contradictoires.

- D"une part, des éléments d"un compromis se dessinent. Le ministre indien des Affaires étrangères, M. Pranap Mukerjee, a laissé entendre que l"Inde pourrait se contenter d"un jugement au Pakistan des principaux suspects. Il est immédiatement revenu sur cette déclaration en précisant qu"un jugement au Pakistan et une extradition en Inde étaient complémentaires et non exclusifs mais le message était lancé. L"armée pakistanaise a, elle aussi, envoyé des signaux positifs : Dans une interview à Der Spiegel, le chef de l"ISI, le Général Ahmad Pasha qui a vécu en Allemagne plusieurs années, a déclaré : " Nous sommes peut-être un peu timbrés au Pakistan, mais pas complètement fous : nous savons très bien que notre ennemi, c"est le terrorisme, pas l"Inde ". Le 14 janvier, le ministre de l"intérieur pakistanais, M. Rehman Malik, annonçait que le chef du Jamaat-ud-Dewa était arrêté (et non pas mis simplement mis en résidence surveillée) ainsi que 124 autres terroristes et que cinq camps d"entraînement avaient été démantelés.

-Mais, d"autre part, la tension semble s"accroître. Pour la première fois, dans un discours du 6 janvier, le Premier ministre indien, M. Manmohan Singh, a mis en cause certaines autorités pakistanaises dans l"organisation des attentats : Les terroristes qui ont frappé à Mumbaï, a-t-il déclaré, " doivent avoir eu le soutien de certaines agences officielles au Pakistan ". De plus, le ministre indien des Affaires étrangères n"exclut pas d"augmenter la pression sur le Pakistan en rendant de plus en plus difficiles les contacts de toute nature entre l"Inde et le Pakistan, y compris en fermant complètement la frontière entre les deux pays. Au Pakistan, les déclarations martiales n"ont pas cessé et, comme indiqué plus haut, des mouvements de troupes pakistanaises vers la frontière indienne sont signalés.

-En fait, les deux protagonistes n"arrivent pas à surmonter la barrière de méfiance réciproque et de confiance trahie qui les sépare, héritage des conditions dans lesquels s"est réalisée la partition de l"Empire britannique des Indes et des trois guerres indo-pakistanaises, pour simplement se parler. Il n"y a pas de dialogue mais l"affirmation parallèle de certitudes contradictoires. Il appartient à la communauté internationale de tout faire pour rétablir ce dialogue, peut-être en proposant les grandes lignes d"une solution : une action déterminée, visible et vérifiable des autorités pakistanaises contre les groupes extrémistes installés sur leur territoire avec l"organisation de véritables procès, accompagnée d"engagements discrets du Pakistan sur quelques questions sensibles comme les incidents frontaliers au Cachemire ou le retrait du soutien aux mouvements indépendantistes[3] dans cet Etat de l"Union indienne pourrait peut-être permettre la reprise du dialogue entre l"Inde et le Pakistan qui est de l"intérêt des deux pays.


[1] Le SARCC ou South Asia Association for Regional Cooperation regroupe l"Inde, le Pakistan, le Bangladesh, le Népal, le Bhutan, les Maldives et le Sri Lanka.

[2] Du coté américain, se sont rendus dans les deux capitales depuis les évènements de Bombay, le sénateur John Kerry, le futur vice-président des Etats-Unis, le sénateur Joe Biden , le sous secrétaire d"Etat John Negroponte, le chef d"état major des armées, l"amiral Mullen et , à deux reprises le responsable de la région au Département d"Etat, M. Richard Boucher ; du coté britannique, le Premier Ministre Gordon Brown et le ministre des affaires étrangères, David Miliband.

[3] Les élections à l"assemblée provinciale du Cachemire se sont déroulés en plusieurs étapes fin novembre début décembre dans le plus grand calme avec une participation électorale importante malgré l"appel au boycott lancé par la mouvance anti-indienne. Certains observateurs attribuent cette situation à une volonté délibérée du Pakistan de ne pas envenimer la situation au Cachemire.