30
mar
2011
Publications Éditoriaux de l'Ifri

Volte-face de la politique énergétique allemande ? Le moratoire sur la prolongation de la durée de vie des centrales nucléaires Actuelles de l'Ifri, mars 2011

Face à la catastrophe nucléaire au Japon, le débat sur l'énergie nucléaire est à nouveau relancé en Allemagne ; un pays qui, traditionnellement, est marqué par un fort mouvement antinucléaire. Or, la Chancelière Angela Merkel a annoncé le 14 mars un moratoire sur la prolongation de la durée de vie des centrales nucléaires, décidé en octobre 2010 par le gouvernement noir-jaune. Le gouvernement souhaite désormais peser le pour et le contre de l'énergie nucléaire et réévaluer les risques résiduels que celle-ci implique.

Volte-face de la politique énergétique allemande? – Le moratoire sur la prolongation de la durée de vie des centrales nucléaires

Mais un débat énergétique honnête, tel qu'il est revendiqué par Angela Merkel, est-il encore possible ? Depuis des années, les défenseurs et les opposants à l'énergie nucléaire se confrontent avec des arguments plus ou moins valables. Après la catastrophe nucléaire au Japon, les deux camps s'agitent à nouveau. Depuis des décennies, les deux positions sont irréconciliables, le moratoire pourra-t-il clore le débat une fois pour toutes ?

Suite à l'accident de la centrale nucléaire de Fukushima au Japon, la population allemande se demande si une telle catastrophe pourrait se produire en Allemagne. Cette question se posait beaucoup moins lors de l'accident de Tchernobyl de 1986 car les standards de sécurité soviétiques fournissaient une explication « rassurante » et suffisante pour les Allemands, ou du moins pour le gouvernement. Cet accident a pourtant renforcé le mouvement antinucléaire allemand qui est resté depuis lors très fort et très actif dans le pays. Il se manifeste notamment à travers les manifestations contre les transports des déchets nucléaires vers les dépôts de stockage final.

Si un accident nucléaire est possible au Japon, pays de haute technologie par excellence, l'Allemagne peut-elle être sûre de ses réacteurs ? Même si l'énergie nucléaire est désormais considérée comme une énergie de transition, perdant ainsi son image de technologie d'avenir désormais reprise par les énergies renouvelables ; les risques résiduels semblent être trop élevés pour être tolérés par la population allemande.

La politique énergétique du gouvernement noir-jaune, qui vient de prolonger la durée de vie de ces réacteurs, se voit donc confronter à cette nouvelle réalité et à une population qui exige la sortie du nucléaire.

En annonçant un moratoire de trois mois sur la prolongation de la durée de vie des centrales nucléaires allemandes, Angela Merkel pensait pouvoir établir un temps de réflexion permettant un débat et des négociations avec tous les groupes impliqués, de la société civile (représentants des ONG de protection de l'environnement, défense de consommateur etc.) aux opérateurs nucléaires (E.ON, RWE, EnBW et Vattenfall). Ce moratoire prévoit un gel temporaire de la loi actuelle portant sur l'énergie nucléaire. Plus précisément, il s'agit de stopper le processus d'allongement de la durée de vie des centrales nucléaires ainsi que de fermer temporairement les réacteurs les plus anciens [1]. Quant aux plus récents, ceux construits après 1980, ils seront contrôlés et éventuellement modernisés.

Or, on reproche désormais un certain opportunisme et un certain populisme à Angela Merkel, mais aussi aux autres partis, en jouant la carte de la catastrophe. Il ne faut pas oublier que l'Allemagne se trouve actuellement dans un véritable marathon électoral avec sept élections dans les Bundesländer ; la coalition essaie donc de calmer le débat à l'échelle fédérale, d'autant plus que l'opposition s'interroge sur ce changement de cap soudain, de la coalition sur le nucléaire. Les doutes de l'opposition se voient confirmés lorsque le ministre de l'Economie, Rainer Brüderle, déclare dans un protocole d'une réunion de la Fédération de l'Industrie allemande (BDI), que les élections pèsent sur les décisions du gouvernement [2]. Le débat entre les partis politiques risque désormais de s'amplifier, surtout après les élections dans le Bade-Wurtemberg du 27 mars qui rendent une coalition verte-rouge possible, pouvant être perçue comme une réaction directe à la politique nucléaire du gouvernement noir-jaune.

Pour comprendre la complexité du sujet un petit retour historique s'impose.

La sortie de l'énergie nucléaire a été décidée pour la première fois en 2000 suite à un contrat passé par la Bundesrepublik avec les opérateurs nucléaires [3]. En se basant sur ce contrat, le gouvernement rouge-vert avait inscrit dans la loi en 2002 [4], la sortie progressive du nucléaire d'ici 2022 [5].

Le 28 octobre 2010 le Bundestag a voté la prolongation de la durée de vie de ces réacteurs en accord avec la majorité de la CDU (Union chrétienne-démocrate d'Allemagne) et le FDP (Parti libéral démocrate) [6]. Cette modification de la loi portant sur l'énergie nucléaire de 2002 prévoit de prolonger la durée de vie des sept réacteurs construits avant 1980 pour huit ans et d'allonger de quatorze ans celle des dix réacteurs les plus récents [7].

Au sein même du gouvernement, cette prolongation n'a pas fait l'unanimité. S'il s'est mis d'accord sur le fait que l'énergie nucléaire devrait être une technologie transitoire - en Allemagne les hommes politiques utilise l'image de la « technologie de pont » (Brückentechnologie) permettant d'établir un pont entre les énergies provenant des centrales à charbon et les énergies renouvelables, afin d'éviter des impasses énergétiques et une augmentation des prix énergétiques - le ministre de l'Environnement, Norbert Röttgen déclare qu'un «pont » de dix ans au maximum serait suffisant, tandis que le ministre de l'Economie, Rainer Brüderle, exige une prolongation d'au moins quinze ans. De plus, les quatre opérateurs nucléaires n'ont pas voulu accepter un accord qu'un prochain gouvernement pourrait suspendre. C'est pour cette raison qu'ils ont insisté pour que les changements soient contractuels et prévoient des amendes conventionnelles, au cas où un nouveau gouvernement modifierait le contrat.

La prolongation de la durée de vie des réacteurs allemands a finalement été votée le 1er octobre 2010 par 309 voix pour et 280 contre au Bundestag. Néanmoins, jusqu'à aujourd'hui elle ne fait pas l'unanimité, Greenpeace a porté plainte le 3 février 2011 contre l'autorisation de fonctionnement des six réacteurs les plus anciens en Allemagne [8]. Les Bundesländer de Berlin, de Brême, de la Rhénanie-Du-Nord-Westphalie, du Brandebourg et de la Rhénanie-Palatinat ont porté plainte le 28 février 2011 contre une prolongation de la durée de vie des centrales nucléaires. Selon le gouvernement noir-jaune, la révision de la loi de 2002 ne nécessitait pas un vote du Bundesrat (Chambre représentant les 16 Bundesländer), étant donné que la politique nucléaire relève de la compétence de l'Etat fédéral. La modification de la loi sur le nucléaire en 2002 n'a d'ailleurs pas non plus été votée par le BundesratQuelques députés du SPD (Parti social-démocrate d'Allemagne) et des Verts ont porté plainte contre le bien-fondé de la loi, critiquant ainsi la procédure de vote.

Les évènements au Japon ont changé la donne : Le ministre des Affaires étrangères, Guido Westerwelle, a averti dès le 14 mars d'une possible suspension de la prolongation de la durée de vie des centrales nucléaires. Le même jour, Angela Merkel annonça le moratoire de trois mois suspendant cette prolongation.

La situation juridique n'est pas claire dans ce contexte étant donné que le gouvernement ne peut pas suspendre une loi adoptée par le Bundestag. En effet, une loi adoptée ne peut être suspendue que par la Cour constitutionnelle. Le ministre de l'Environnement, Norbert Röttgen, cite la loi actuelle (paragraphe 19, alinéa 3) prévoyant la possibilité d'arrêter temporairement des centrales nucléaires si une radiation s'échappait des réacteurs et qu'elle mettait en péril des vies humaines ou des biens matériels. Or, ceci n'est pas le cas actuellement il n'y a pas de danger immédiat selon les experts.

Au-delà de la question du droit constitutionnel qui a son importance et qui doit être résolue dès que possible, le moratoire permet d'approfondir un débat, longtemps mené de manière superficielle et parfois émotionnelle. Ainsi, Stefan Mappus (CDU), en réagissant à la catastrophe japonaise, a évoqué une « césure émotionnelle ». Le gouvernement doit veiller à ce que le débat ne dérive pas à nouveau vers cette tendance étant donné les événements, et qu'il ne soit pas une simple stratégie électorale.

Le 22 mars 2011, Angela Merkel a annoncé la création de deux commissions afin de discuter de l'avenir de l'énergie nucléaire. La Commission de sûreté nucléaire sera rattachée au ministère de l'Environnement. Le contrôle de sécurité des réacteurs allemands devra être terminé en juin 2011, avant de décider quel réacteur obtiendra un permis d'exploitation. Il pourrait s'ensuivre un durcissement des règles de sécurité pour les opérateurs nucléaires, afin de mieux protéger les centrales contre les attaques terroristes ou aériennes ou pour faire face à des catastrophes naturelles comme celle survenue au Japon.

Une Commission d'éthique discutera de la dimension sociétale de la production d'énergie nucléaire. Il sera question d'étudier la position de la population allemande face au nucléaire et de s'interroger sur les modalités d'un approvisionnement énergétique sûr. Cette interrogation en entraîne une autre : Le mythe de l'Allemand antinucléaire mais qui souhaite pourtant éviter des prix énergétiques élevés est-il toujours avéré ?

La CDU et le FDP ont longtemps insisté sur les arguments de l'impasse énergétique et de l'explosion des prix. Il fallait donc prolonger la transition de l'énergie nucléaire. Avec l'arrêt temporaire, voire définitif, des centrales nucléaires Isar I, Neckarwestheim, Biblis A et B, Philippsburg 1, Unterweser et Brunsbrüttel, l'Allemagne produira 6,8 % moins d'énergie qu'auparavant. Pourtant les prix n'ont pas encore explosé, et aucune panne de courant n'a été enregistrée.

Les experts en énergie ne sont pas étonnés de cet argument, qui s'apparente plutôt à un mythe pour eux. Dès 2008, l'Office fédéral de l'environnement a souligné dans une étude [9] que la sécurité d'approvisionnement ne serait pas mise en péril par une sortie du nucléaire en 2020. De plus, les objectifs environnementaux pourraient quant à eux également être maintenus si le gouvernement renonce à la construction de nouvelles centrales à charbon et si l'Allemagne réduit sa consommation d'électricité.

Même si les prix augmentent tout de même, comme l'a pronostiqué le gouvernement noir-jaune, l'institut de sondage Emnid a démontré qu'une majorité des Allemands serait prête à payer plus cher une électricité qui ne provienne pas des centrales nucléaires étant donné la catastrophe qui s'est produite au Japon [10].

En parallèle à la réflexion sur le nucléaire, le débat sur les énergies renouvelables doit être renforcé. Deux questions cruciales se posent actuellement :

- Comment financera-t-on la transition vers les énergies renouvelables ?

La loi portant sur le nucléaire avec les modifications de 2010 prévoit des fonds écologiques payés en partie par les opérateurs nucléaires [11]. Ces fonds financeraient une partie de la transition vers les énergies renouvelables. Il était convenu dans le cadre de la modification de la loi de 2002, que les opérateurs remboursent aux fonds écologiques une partie des bénéfices gagnés grâce à la prolongation de la durée de vie des centrales nucléaires. Le montant devait s'élever à 300 puis à 200 millions d'euros par an. Or, un autre défi se pose actuellement au sein du gouvernement : les critiques des opérateurs nucléaires. En effet, les opérateurs menacent d'arrêter de financer les fonds écologiques au moins pendant les trois mois du moratoire. Selon le gouvernement allemand, ceci serait une rupture de contrat.

- Comment peut-on gérer la question à l'échelle fédérale ?

Afin de mettre en œuvre le tournant de la politique énergétique, le gouvernement fédéral est désormais prêt à reprendre des compétences aux Länder. Il est question notamment de la création d'un réseau à l'échelle fédérale qui réservera certains tracés pour la construction des lignes à hautes tensions. Or jusqu'ici les projets ont souvent été retardés car les Bundesländer délivrent les permis de construire à des vitesses différentes. L'agrandissement du réseau de distribution électrique est considéré comme particulièrement important afin de pouvoir transporter une quantité croissante d'électricité produite notamment par le vent. Le 15 avril, Angela Merkel et les 16 Ministre-Présidents discuteront de cette relance du réseau.

Le débat sur la sortie nucléaire sera long, ce sera au gouvernement d'éviter toute dérive émotionnelle et de prendre des décisions rationnelles. Pour le gouvernement il s'agit aussi de prouver sa crédibilité politique remise en question par le moratoire, mais aussi par l'affaire Guttenberg [12] et l'abstention incomprise de l'Allemagne au Conseil de Sécurité de l'ONU sur la Libye.

Le moratoire et les décisions qui seront prises en juin auront un impact à l'échelle internationale : Ainsi la mobilisation anti-nucléaire allemande demande déjà au gouvernement d'aborder ces questions dans les rencontres bilatérales avec la France. Cependant, comment les Français vont juger le fait que l'Allemagne renonce à la production d'énergie nucléaire tout en important l'électricité produite dans les centrales de son voisin ? Le débat atteindra donc le niveau franco-allemand voire européen, puisque le nucléaire se trouve déjà à l'agenda européen. Enfin, le débat sera un test pour l'Allemagne, tiendra-t-elle un rôle de précurseur ou s'isolera-t-elle au niveau européen ?

 

[1] Actuellement 8 des 17 réacteurs sont éteints.

[2] Traduit par l'auteur : « (...) il explique que face à aux élections au Landtag beaucoup de pression est mise sur la politique et que c'est pour cette raison que les décisions ne sont pas toujours rationnelles. »

[3] Bundesministerium für Wirtschaft und Technologie: „Vereinbarung zwischen der Bundesregierung und den Energieversorgungsunternehmen vom 14. Juni 2000".

[4] Modification de la loi Atomgesetz (AtG) i.d.F. du 15 juillet 1985 (BGBl. I 1565) au 22 avril 2002 (BGBl. I 1351): Bundesministerium für Wirtschaft und Technologie: „Gesetz zur geordneten Beendigung der Kernenergienutzung zur gewerblichen Erzeugung von Elektrizität".

[5] En se basant dans les deux cas sur la loi portant sur le nucléaire Atomgesetz (AtG) i.d.F. du 15 juillet 1985 (BGBl. I 1565) prévoyant une utilisation civile du nucléaire.

[6] Modifications 17/3051 et 17/3052 de la loi portant sur le nucléaire Atomgesetz (AtG) i.d.F. du 15 juillet 1985 (BGBl. I 1565).

[7] Exemples : Le réacteur Isar 1 sera fermé désormais en 2020, la fermeture était prévue pour 2012, le réacteur Brokdorf fermera en 2036 au lieu de 2022.

[8] Il s'agit de Biblis A et B, Isar 1, Philippsburg, Krümmel et Brunsbüttel.

[9] Loreck, Charlotte, « Atomausstieg und Versorgungssicherheit », Presse-Hintergrundpapiere: 2008 Bundesamt.

[10] Selon ce sondage qu'Emnid a effectué pour le magazine Focus plus des deux tiers (69%) des 1000 sondés accepteront des prix énergétiques plus élevés.

[11] Modification 17/3053 de la loi portant sur le nucléaire Atomgesetz (AtG) i.d.F. du 15 juillet 1985 (BGBl. I 1565).

[12] Affaire de plagiat conduisant à la démission du ministre de la Défense.

Photo : www.bmu.bund.de

 

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