A l’heure de Trump II, quels sont les soutiens de la Russie ?
Dimitri Minic, chercheur au Centre Russie/Eurasie de l’Ifri, historien et docteur en histoire des relations internationales a été interviewé par Pierre Verluise, fondateur du Diploweb et producteur de Planisphère sur Radio Notre Dame et RCF. Cette émission a été diffusée en direct le 4 novembre 2025.
Déconstruction d’une idée reçue au sujet de Vladimir Poutine
Poutine est loin d’être le stratège ou le « joueur d’échec » que fantasment certains observateurs. L’« opération militaire spéciale » en a fourni un exemple paroxystique : initialement conçue pour soumettre politiquement Kyiv en un rien de temps, cette opération a débouché sur une guerre longue et meurtrière imprévue, qui a considérablement affaibli la Russie. Cet échec a d’ailleurs ouvert une période de déstabilisation pour le pouvoir russe, qui s’est refermée à l’été 2023 avec l’échec de la contre-offensive ukrainienne et l’assassinat de E. Prigozhin.
La Chine : un partenaire stratégique de long terme
Le premier soutien majeur de Moscou est Pékin. Depuis la chute de l’URSS, les deux pays approfondissent leur partenariat en réaction aux interventions occidentales. L’annexion de la Crimée (2014) puis l’invasion de l’Ukraine en 2022 ont renforcé ce rapprochement, marqué par une asymétrie croissante au profit de la Chine. Pékin soutient la Russie diplomatiquement et économiquement, en lui fournissant notamment des biens à double usage qui lui permettent de continuer sa guerre en Ukraine. Leur point commun : des ambitions impérialistes et un projet anti-occidental affirmé. Cette relation n’est pas transactionnelle. La Chine a choisi de sacrifier sur l’autel de cette relation les bénéfices économiques qu’elle tirait d’une position ambiguë à l’égard de l’Occident, et notamment de l’Europe, partenaire économique essentiel pour la Chine.
La Corée du Nord : d’un soutien opportuniste à une alliance militaire
Moscou s’est d’abord adressé à Pyongyang dans une perspective opportuniste, pour obtenir des obus d’artillerie puis des soldats qui se sont notamment battus dans la région russe de Koursk. Si la qualité militaire de ce soutien doit être relativisée, ce dernier a été à la fois crucial et révélateur des difficultés rencontrées par Moscou. Les deux pays ont considérablement renforcé leur partenariat depuis le 24 février 2022 au point de conclure une alliance militaire. Toutefois, rien ne permet d’affirmer en 2025 que la Chine, la Russie et la Corée du Nord formeraient un bloc uni et coordonné.
L’Iran : une coopération utile mais limitée
Les livraisons iraniennes de Shahed à la Russie ont permis de rééquilibrer, pendant une brève période, la relation entre les deux pays. Depuis le 7 octobre 2023, l’Iran a par ailleurs été fortement affaibli. Ce partenariat reste limité : Moscou et Téhéran n’ont pas signé de clause de défense mutuelle et ont des intérêts relativement divergents. Ils sont par exemple concurrents dans le secteur énergétique. Sans parler des difficultés à bâtir une coopération économique solide et de la nécessité pour la Russie de préserver ses relations avec les monarchies du Golfe. Toutefois, ces deux pays sont unis par des projets anti-occidentaux et se concentrent sur la déstabilisation des positions occidentales au Moyen-Orient et dans le monde.
Le Moyen-Orient : la perte d’un terrain d’influence historique
La présence russe au Moyen-Orient remonte à l’époque soviétique, avec la Syrie comme allié clé. En 2015, l’intervention militaire en soutien à Bachar al-Assad a marqué une forme de retour de Moscou dans la région et renforcé l’image de grande puissance à laquelle tient beaucoup la Russie. Cependant, la chute d’Assad et l’effondrement du prétendu Axe de la Résistance iranien ont constitué un sérieux revers à la Russie qui se voit contrainte de repenser sa projection vers l’Afrique et au-delà.
Les États-Unis et l’Europe : entre illusions et désillusions
Donald Trump, qui porte une vision transactionnelle de la politique, a probablement nourri l’espoir de détacher Moscou de Pékin en promettant à ce premier un partenariat économique fructueux. Mais Trump, comme d’autres avant lui, s’est trompé sur le partenariat sino-russe, qui n’est ni pragmatique ni transactionnel. Par ailleurs, le président américain n’a rien à proposer à la Russie d’assez pérenne et solide pour que celle-ci renonce à la Chine. Il s’est au fond heurté à trois intransigeances : celle de la Russie en Ukraine, qui n’a jamais rien voulu négocier d’autre que la capitulation ukrainienne ; celle de la Chine, qui a refusé de céder sur les droits de douane ; et, enfin, celle de l’Iran, qui n’a pas renoncé à ses ambitions régionales et sécuritaires. Washington s’est montré faible et hésitant, tandis que l’Europe craint d’imposer des garanties de sécurité, ce qui permettrait pourtant potentiellement de pousser Moscou à négocier.
Trump, soutien implicite de la Russie ?
Donald Trump n’est pas un allié de Moscou. En revanche, ses erreurs d’appréciation, sa relative indifférence au sort de l’Ukraine et de l’Europe, son refus de livrer de nouvelles armes à l’Ukraine, sa réticence à mettre à exécution ses menaces contre la Russie et les collusions idéologiques entre la nouvelle administration américaine et le Kremlin aident de fait Moscou. Les ambiguïtés américaines et les hésitations européennes nourrissent l’agressivité et l’audace des actions déstabilisantes de la Russie, en témoignent l’envoi de drones en Pologne. Moscou saisit ces opportunités pour poursuivre une partie de ses principaux objectifs politiques : détruire l’OTAN et l’UE, déconnecter les États-Unis et l’Europe, isoler l’Ukraine et l’Europe orientale des États-Unis et de l’Europe occidentale.
Conclusion
La Russie n’est pas isolée : elle bénéficie du soutien matériel et diplomatique de la Chine, de l’appui militaire de la Corée du Nord et de la coopération asymétrique de l’Iran. Si elles ne sont pas dénuées de contradictions voire de rivalités, ces relations devraient continuer à se renforcer au nom de convergences anti-occidentales marquées, dont l’objectif est de marginaliser les États-Unis et l’Europe dans l’ordre international. Au lieu de minimiser, dans nos analyses, le renforcement de cet ensemble de pays anti-occidentaux, il faut d’ores et déjà essayer d’identifier les synergies qu’ils pourraient créer à l’avenir...
> Lire l'article en entier sur Diploweb et écouter l'interview sur le site de RCF.
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