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Élections au Japon. Le gouvernement en difficulté face à la montée des populismes

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Les élections sénatoriales du 20 juillet 2025 ont marqué un tournant dans la vie politique japonaise.

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Le Premier ministre japonais Shigeru Ishiba assiste à une réunion avec le secrétaire général de l'OTAN Mark Rutte (non visible) au bureau du Premier ministre.
Le Premier ministre japonais Shigeru Ishiba assiste à une réunion avec le secrétaire général de l'OTAN Mark Rutte (non visible) au bureau du Premier ministre.
David Mareuil/POOL/SOPA Images/Shutterstock
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Habituellement considérées comme un baromètre politique intermédiaire, elles ont cette fois révélé une recomposition politique plus profonde. La coalition gouvernementale du Parti libéral démocrate (PLD) et du Komeito, conduite par le Premier ministre Shigeru Ishiba, déjà en minorité à la Chambre basse, vient de perdre sa majorité absolue à la Chambre haute. Ce nouvel échec pourrait coûter sa place au chef de l’exécutif. Ce revers électoral illustre l’enlisement du PLD dans l’ère post-Shinzo Abe (Premier ministre de 2012 à 2020) et marque la montée en puissance de nouvelles forces populistes, notamment le parti Sanseito.

Un scrutin à forte charge symbolique

Ce scrutin renouvelait 125 des 248 sièges de la Chambre haute, mais sa portée allait bien au-delà. Il s’agissait du premier test électoral pour Ishiba depuis son échec cuisant aux législatives anticipées d’octobre 2024, et le dernier avant les prochaines élections générales prévues dans trois ans.

La coalition au pouvoir n’a obtenu que 47 sièges, en deçà des 50 nécessaires pour maintenir la majorité absolue. Le PLD a perdu à lui seul 18 sièges. À l’inverse, plusieurs forces d’opposition et partis émergents progressent : le Parti démocrate du peuple (PDJ), conservateur, a gagné 19 sièges, renforçant sa place de premier parti d’opposition, et le parti populiste Sanseito, jusqu’ici marginal avec un seul siège, est parvenu à faire élire 14 nouveaux sénateurs, portant à 18 le nombre de ses parlementaires toutes chambres confondues. Le parti entend bâtir une base locale pour peser lors des prochaines législatives, visant 50 à 60 sièges. Cette recomposition modifie les rapports de force au sein de la Chambre haute et fragilise durablement le gouvernement.

Le pouvoir d’achat, point focal des élections

La campagne a été dominée par la question du pouvoir d’achat, dans un contexte marqué par une inflation persistante (+ 3,7 %), des salaires en recul (-2,9 %) et un yen bas. Le symbole de cette crise est l’envolée du prix du riz, causée par une très mauvaise récolte due à une vague de chaleur en 2023, et une hausse de la consommation attribuée par certains à l’afflux de touristes étrangers dans le pays[1]. Ce sentiment de déclassement économique s’étend à l’échelle nationale : le Japon a perdu son rang de troisième puissance économique mondiale au profit de l’Allemagne en 2023, avant d’être dépassé par l’Inde en 2025 en termes de produit intérieur brut (PIB).

Cette « crise du riz » a cristallisé des inquiétudes économiques et identitaires, amplifiées par une couverture médiatique intense et des maladresses politiques. Le ministre de l’Agriculture a notamment été remplacé après avoir reconnu publiquement qu’il n’achetait jamais de riz, cette denrée de base lui étant régulièrement offerte — un aveu perçu comme un symbole d’élitisme déconnecté.

La proposition du gouvernement de verser 20 000 yens par personne (moins de 120 euros) pour compenser l’inflation n’a pas convaincu l’opinion, qui a préféré le projet de l’opposition visant à réduire, voire supprimer, la taxe sur la consommation. Ce climat de défiance a favorisé l’essor de mouvements populistes, aux dépens du PLD et des partis traditionnels.

Le Japon confronté à une normalisation populiste

L’un des faits marquants du scrutin est la percée du Sanseito (littéralement, le « parti pour la participation politique »), un parti populiste fondé en 2020 sous la forme d’une chaîne YouTube qui proposait aux internautes d’assister en direct à l’élaboration d’une nouvelle force politique qui les représenteraient enfin[2].

Porté par une rhétorique nationaliste, conspirationniste et xénophobe, il capte un électorat en rupture avec les élites traditionnelles qui peinent à se renouveler, et qui n’ont pas vu venir le succès de ce mouvement.

Les idées d’une droite ultra-conservatrice, longtemps portées au sein du PLD — notamment par la figure d’Abe — s’expriment désormais en dehors du parti. La dissolution récente des factions qui structuraient le débat d’idées au sein du PLD visait à affaiblir les logiques clientélistes. Elle a aussi eu pour effet de désorganiser le parti et d’accélérer cette mutation.

Cet effritement de la base traditionnelle du PLD profite à des groupes plus agiles, qui maîtrisent les codes de la communication numérique, mobilisent les réseaux sociaux et savent capter l’attention des jeunes générations. De fait, la participation électorale en hausse, notamment au sein de la jeunesse, semble lui avoir profité. Les sondages à la sortie des urnes montrent que la moitié des moins de 40 ans dit avoir voté pour le Sanseito et pour le Parti démocrate du Japon (PDJ), révélant un net clivage générationnel[3].

Le Japon, qui semblait jusqu’alors relativement épargné par la vague populiste qui déferle sur les démocraties occidentales, est aujourd’hui touché à son tour. Le Sanseito assume d’ailleurs une parenté idéologique avec des formations comme le Rassemblement national ou l’Alternative pour l’Allemagne (AfD), et son leader Sohei Kamiya revendique une filiation avec le trumpisme.

Une poussée populiste enracinée dans un malaise profond

Le succès du Sanseito s’explique par une série de facteurs structurels : lassitude à l’égard du PLD, au pouvoir depuis 1955 et secoué par des scandales financiers à répétition, absence d’alternative crédible depuis l’échec de l’alternance de 2009-2012, et fragmentation de l’opposition. Fin 2024, la majorité des Japonais (56 %) déclarait ne se sentir proche d’aucun parti politique[4]. Le succès des partis populistes relève donc sans doute davantage d’un vote de protestation que d’une véritable adhésion à leurs idées.

Reste que la dimension xénophobe du discours populiste trouve un écho croissant dans l’opinion, nourrie par les inquiétudes liées à l’augmentation du nombre d’étrangers au Japon, un sujet de plus en plus présent dans les médias et le débat public, sur fond de vieillissement accéléré de la population.

Plusieurs préoccupations s’entremêlent, amalgamant les questions liées aux travailleurs immigrés, au « sur-tourisme », à la criminalité supposément induite par une présence étrangère accrue, ainsi qu’aux investissements immobiliers étrangers – souvent d’origine chinoise – qui alimentent une angoisse identitaire.

La population étrangère reste pourtant modeste[5], représentant moins de 3 % de la population de l’archipel en 2024 et le fruit d’une décision politique. En effet, face au vieillissement de la population et à la pénurie de main-d’œuvre, les gouvernements successifs ont facilité l’accueil de travailleurs étrangers, y compris peu qualifiés, sans toutefois mettre en place de véritables politiques d’accompagnement.

Parallèlement, le tourisme a été fortement encouragé : en 2024, plus de 37 millions de visiteurs ont afflué, souvent concentrés dans les mêmes zones et entraînant des nuisances. Enfin, l’acquisition de biens immobiliers par des étrangers est facilitée par une politique particulièrement permissive. Le gouvernement Ishiba avait commencé à prendre la mesure du malaise, promettant un meilleur encadrement de ces acquisitions.

Si le Japon ne bascule pas dans le populisme, il est entré dans une phase où les forces populistes entrent dans le rapport de force politique avec les partis traditionnels.

Une instabilité gouvernementale qui s’installe

Les résultats des élections semblent entériner une instabilité gouvernementale durable, avec un chef de l’exécutif qui devra consacrer une énergie considérable à bâtir des coalitions ad hoc pour gouverner.

Dans ce contexte, le Japon apparaît fragilisé face à des défis extérieurs majeurs, notamment les pressions de son allié américain pour augmenter son budget de défense et ouvrir davantage son marché. Contre toute attente, un accord sur les droits de douane a pourtant été annoncé deux jours après les élections, alors que l’on pensait Ishiba affaibli et difficilement en mesure d’obtenir des concessions du président Trump.

Cet accord commercial abaisse les surtaxes douanières de 25 % à 15 % sur les produits japonais, y compris les automobiles – un enjeu crucial pour l’archipel, représentant un tiers des exportations vers les États-Unis. En contrepartie, Tokyo s’est engagé à investir jusqu’à 550 milliards de dollars aux États-Unis pour renforcer les chaînes d’approvisionnement stratégiques, et à accroître la part de riz américain dans ses quotas d’importation – un compromis étonnant, au regard du contexte politique. Toutefois, même des droits de douane fixés à 15 % pourraient fragiliser davantage une économie déjà en difficulté, et continuer à alimenter le discours des forces populistes.

 


 


[1]. « Why Japan Is Running Low on Rice », NHK Word, 10 septembre 2024, disponible sur :  www3.nhk.or.jp.

[2]. Site du parti Sanseito : www.sanseito.jp.

[3]. M. Fackler, « Young Voters Are Pulling Japan to the Right. But How Far? », New York Times, 21 juillet 2025, disponible sur : www.nytimes.com.

[4]. W. Miner, « Dissatisfaction with Democracy Is Widespread in Japan Ahead of Snap Election », Pew Research Center, 22 octobre 2025, disponible sur : www.pewresearch.org.

[5]. « Japan’s Foreign Population Hits 3.8 Million », Nippon, 28 mars 2025, disponible sur : www.nippon.com.

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979-10-373-1091-0

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Céline PAJON

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Chercheuse, responsable de la recherche Japon et Indo-Pacifique, Centre Asie de l'Ifri

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Alexandre HAYM
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