Allemagne : Quand le moteur économique de l’Europe est « fatigué »…

Lors du Forum de Davos en janvier 2024, le ministre allemand des Finances Christian Lindner a dû admettre : « L'Allemagne n'est pas un homme malade mais un homme fatigué après une courte nuit ». En effet, l’Allemagne d’après-guerre n’a jamais été aussi stressée qu’aujourd’hui, confrontée à trois crises simultanées : économique, sociale et politique.

Explication de Marie Krpata, chercheuse au Comité d’études des relations franco–allemandes (Cerfa) à l’Institut français des relations internationales (IFRI) au micro de RFI, rédaction en vietnamien. La chercheuse a d'abord déclaré que l'Allemagne était confrontée à de nombreux et grands défis.

AFD : L’extrême droite a le vent en poupe

Aucun Premier ministre allemand n’a jamais perdu autant de crédibilité que M. Olaf Scholz. Depuis janvier 2024, le gouvernement allemand est confronté à de nombreuses grèves des cheminots, au mécontentement des médecins et à de nombreuses protestations à grande échelle des agriculteurs et des chauffeurs de transports longue distance.

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Marie Krpata  : « C'est la première fois que l'Allemagne a une coalition tripartite au pouvoir au niveau fédéral comprenant le Parti social-démocrate allemand (SPD), les Verts et le Parti libéral (FDP). Actuellement, l’Allemagne connaît une baisse de croissance de 0,3 % et de 2022 à 2023, l’inflation est de 6 %. Ainsi, cette coalition tricolore, arrivée au pouvoir en 2021, a prévu, dans l'accord de coalition, une politique plus sociale avec une augmentation du salaire minimum à 12 euros/heure, ainsi que la construction de 400 000 logements supplémentaires, y compris des logements sociaux. .

Mais la guerre en Ukraine a bouleversé toutes les priorités. La situation actuelle n'est plus la même qu'en 2021 et aujourd'hui l'Allemagne est confrontée à une inflation très élevée, les prix de l'énergie vont continuer à augmenter et ont donc des impacts sur le pouvoir d'achat des ménages et des citoyens.

En effet, cela conduit à un mécontentement social comme celui que nous observons actuellement avec des agriculteurs mécontents de se voir couper du soutien aux moyens agricoles. On assiste ensuite à de nombreuses grèves comme celles des conducteurs de train qui réclament des augmentations de salaire en adéquation avec le niveau de l'inflation, ou qui réclament des réductions du temps de travail ».

Croissance en baisse : le modèle économique allemand est-il dépassé ?

Des statistiques récemment publiées montrent que l'Allemagne est le seul pays de l'Union européenne dont l'économie est en récession : le PIB a diminué de 0,3% au quatrième trimestre 2023. La raison en est que, malgré une économie très ouverte, axée principalement sur les exportations, l’Allemagne est fortement dépendante de la Chine. Le chiffre d'affaires des exportations allemandes vers la Chine au cours de la période 2022-2023 a diminué de 9 %.

• Comme l'explique Marie Krpata, la guerre en Ukraine a mis en lumière les « défauts » du modèle économique et industriel allemand.

Marie Krpata  : « En effet, l'Allemagne a une industrie très forte. Il s’agit de grandes industries qui consomment beaucoup d’énergie, créant les caractéristiques du modèle économique allemand, notamment l’industrie chimique et l’industrie de production d’aluminium et d’acier. Bien entendu, ce sont les secteurs les plus touchés par la hausse des prix de l’énergie. Contrainte d’abandonner les sources d’énergie russes, l’Allemagne a dû chercher de nouvelles sources d’approvisionnement, que ce soit aux États-Unis, en Europe du Nord ou dans le Golfe. Et ce sont des approvisionnements énergétiques coûteux qui nuisent à la compétitivité du modèle économique allemand.

En outre, l’Allemagne est également confrontée à une situation dans laquelle ses partenaires commerciaux mais aussi ses principaux concurrents comme la Chine et les États-Unis se dotent de politiques industrielleset ont des velléités d'auto-suffisance. A travers l'Inflation Reduction Act aux États-Unis ou le Made in China 2025 en Chine, ils offrent un cadre réglementaire qui peut être attractif pour certaines entreprises. Ici, c'est vrai qu'il y a une peur de la désindustrialisation, une peur de délocaliser la production vers d'autres régions du monde ».

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Immigration clandestine : un sujet tendu

En matière de politique d'immigration, le gouvernement du Premier ministre Olaf Scholz fait également l'objet de nombreuses critiques. L'immigration clandestine a explosé ces deux dernières années, principalement en provenance de Russie, de Biélorussie, de Hongrie et de Slovaquie. En 2023, la part des demandes d’asile en Allemagne représentera un tiers de l’ensemble de l’Europe, dont la majorité sont des Syriens, des Turcs et des Afghans. Le système d’accueil des immigrants dans de nombreuses localités allemandes est surchargé.

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Marie Krpata  : « Maintenant, la question est de savoir comment intégrer ces personnes sur le marché du travail allemand ? De plus, depuis 2022, avec environ 1,4 million de réfugiés ukrainiens, de nombreux Ukrainiens sont entrés sur le marché du travail. L’intégration d’un tel nombre de personnes sur le marché du travail ainsi que l’intégration dans la société allemande constituent donc une question qui se pose actuellement.

Comme vous l’évoquiez plus haut à propos du parti AFD, il y a eu il y a quelques mois un scandale lié à ce parti. Selon des révélations, lors d'une réunion secrète à Potsdam, en présence de cadres du parti AFD et des Identitaires, un goupuscule d'extrême droite, la question de la remigration a été évoquée, avec l'intention de repousser  les non-Allemands et les citoyens allemands d'origine étrangère hors d'Allemagne.

L'incident a fait grand bruit. De nombreux Allemands sont descendus dans les rues pour protester dans tout le pays. Cela prouve qu'il existe encore uune société civile très dynamique et un attachement profond à la démocratie. Mais on observe effectivement aussi une tendance comme celle du parti d’extrême droite AFD, qui recueille actuellement de fortes intentions de vote dans les sondages ».

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La locomotive allemande est fatiguée : quelles conséquences pour l’Union européenne ?

Selon Marie Krpata, experte des relations franco-allemandes auprès de RFI Vietnamienne, cet élan de l'AFD pourrait avoir des impacts sur les prochaines élections au Parlement européen. Avec un programme électoral prônant la dissolution de l’Union européenne, c’est-à-dire une Europe dans laquelle les nations sont souveraines, l’AFD est véritablement un modèle parmi bien d’autres partis de l’Union européenne.

Dans un contexte géopolitique tendu compliqué par la guerre en Ukraine, le gouvernement allemand subit de fortes pressions et l’Allemagne supporte toutes les conséquences de la guerre, de la hausse des prix de l’énergie à l’inflation. …

Marie Krpata  : « De nombreuses priorités en Allemagne ont été bouleversées, notamment en matière de sécurité et de défense, puisqu'a été prise la décision d'augmenter le budget de la défense à 2% du PIB pour créer un fonds spécial de 100 milliards d'euros pour moderniser l'armée allemande (Bundeswehr). Sur le front énergétique, l’Allemagne a fait preuve de résilience et d’adaptation en abandonnant sa dépendance au gaz russe. Sur le plan économique, l’Allemagne doit également procéder à certains changements pour réduire sa vulnérabilité dans ses relations avec les pays tiers.

En effet, l’Allemagne tente de tirer les leçons de sa dépendance énergétique à l’égard de la Russie, car le pays était dépendant à 55 % du gaz russe lorsque la guerre a éclaté. L’Allemagne cherche notamment à tirer des leçons de ce précédent adaptées à ses relations avec la Chine, car l’économie allemande et l’économie chinoise sont très étroitement liées. L'Allemagne veut diversifier ses sources d’approvisionnement ainsi que ses marchés d’exportation et de production, sans commettre les mêmes erreurs qu’avec la Russie ».

L'Allemagne de M. Olaf Scholz est confrontée à de nombreux défis. Si le moteur économique de ce bloc de 27 pays ne peut pas fonctionner correctement, l’Union européenne risque de subir de nombreuses conséquences graves, car de nombreux pays du bloc considèrent l’Allemagne comme un partenaire commercial majeur. Et c'est un facteur qu'on ne peut ignorer, selon la conclusion de Marie Krpata, spécialiste des relations franco-allemandes !

• Cet article est disponible sur le site de RFI Tiếng Việt (article en vietnamiem).
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