La Chine peut miser sur les technologies quantiques pour surpasser les Etats-Unis
Pour répondre à cette priorité stratégique, le pays a mis ses universités en ordre de bataille, estime l’Institut français des relations internationales. La Chine s’est fixé pour objectif de prendre la tête de la compétition mondiale dans le domaine des technologies quantiques. Son effort, impressionnant, la hisse d’ores et déjà en très bonne place dans ce nouveau champ de la confrontation stratégique avec les Etats-Unis, estime Marc Julienne, chercheur à l’Institut français des relations internationales (IFRI), auteur d’une étude parue lundi 14 février.
Dans l’informatique (par des potentialités de calcul gigantesques permettant des opérations qui prendraient des milliers d’années avec les systèmes actuels), la communication (par le déchiffrement sans limite et une cryptographie inviolable) et la détection (des radars et des capteurs d’images de haute précision), « les espoirs d’innovation technologique que nourrit la quantique sont insondables, autant que son potentiel de bouleversement des équilibres de puissances », rappelle ce chercheur.
Le 13e plan quinquennal pour l’innovation scientifique et technologique nationale, en 2016, avait défini (sans que les budgets soient connus) la communication et l’informatique quantiques comme la priorité numéro 2, après l’Internet mobile et devant l’intelligence artificielle. Au comité central, en octobre 2020, le président Xi Jinping avait admis que demeuraient « de nombreuses lacunes ».
Foison de premières mondiales
La Chine ne réussit pas à attirer des cerveaux. Et le contrôle politique du Parti communiste étouffe l’innovation indépendante. Mais « le gouvernement central a mis ses universités en ordre de bataille », assure Marc Julienne. Objectifs : le « développement de haute qualité » du pays et « la garantie de la sécurité nationale », selon les termes du président Xi.
Pan Jianwei, 51 ans, est un héros national. Ce scientifique dirige le centre d’excellence de physique quantique de l’Académie chinoise des sciences (CAS), rattaché au cœur du réacteur de la recherche dans ce domaine : l’université de science et technologie de Chine (USTC), à Hefei, dans la province de l’Anhui. Comme son aîné Tsien Hsue-shen, père du programme spatial formé aux Etats-Unis avant de rentrer au pays, l’homme a commencé sa carrière en Occident, en Europe. Il a soutenu sa thèse à Vienne en 1999, puis a travaillé à l’université de Heidelberg, en Allemagne, dans le cadre d’une bourse d’excellence de l’Union européenne (UE), avant de rentrer en Chine en 2008. Son jeune collègue Lu Chaoyang, docteur de l’université de Cambridge, est lui aussi un des chercheurs au monde les plus cités dans la quantique.
Le département de l’USTC compte 55 chercheurs seniors, 171 doctorants et 24 postdocs. Depuis les années 2010, il multiplie les premières mondiales. Deux événements ont ainsi secoué les Occidentaux. Le premier fut le lancement dès 2016 du satellite Mozi pour expérimenter la communication quantique longue distance Terre-espace, un projet que l’Agence spatiale européenne n’avait pas retenu, et que Pékin a financé. Le deuxième fut l’ouverture fin 2017 d’une ligne de communication quantique sécurisée Pékin-Shanghaï, unique au monde sur une telle distance (2 000 kilomètres). Un réseau national, prévu sur 35 000 kilomètres, doit s’étendre jusqu’à Urumqi, capitale de la région ouïgoure du Xinjiang, et Lhassa, au Tibet.
« Ces expérimentations ont pu être dénigrées par les Occidentaux pour leur manque de pertinence scientifique. Mais les Chinois cherchent d’abord la percée technologique, l’innovation appliquée, explique M. Julienne. Dans sa quête de puissance, la Chine pense que la technologie va résoudre tous les maux de la société et qu’elle doit être le moteur du développement national, qu’il soit social, économique, militaire. »
La Chine donne le « la »
Autour de l’USTC, le projet quantique réunit depuis 2011 de nombreux instituts relevant de l’université de Nankin, de la CAS, et de l’université nationale de technologie de défense. Les militaires, explique l’auteur de l’IFRI, sont particulièrement intéressés par des systèmes de positionnement de leurs navires ou de leurs avions devenus indépendants de satellites. Un autre pôle majeur s’organise, depuis 2017, autour de l’Académie des sciences de l’information quantique de Pékin. Le troisième, dans le giron de l’université Tsinghua, a pour figure de proue Yao Qizhi, « passé par les plus grandes universités américaines avant de renoncer à sa nationalité et de rentrer en Chine en 2015 ».
Les entreprises du numérique, Alibaba ou QuantumCTek, mais aussi les conglomérats de défense comme CETC (électronique) ou CSIC (naval) renforcent l’ensemble, avec des laboratoires créés en commun. Ces derniers sont parfois dans le viseur de Washington : « En 2021, les Etats-Unis ont inscrit QuantumCTek sur la liste de contrôle des exportations », souligne Marc Julienne. La Chine donne-t-elle le « la » ? Depuis 2018, les Etats-Unis ont décidé d’accélérer la recherche quantique « pour la sécurité économique et nationale ». De nombreux pays, Royaume-Uni, Allemagne, Autriche, France, ont lancé des stratégies quantiques. L’UE a elle aussi adopté un plan (EuroQCI) en 2021.
>> Retrouver l'article en intégralité sur le site de Le Monde.
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