05
jan
2020
Espace Média L'Ifri dans les médias
Julien NOCETTI, cité par Sophy Caulier dans Le Monde

Dans le high-tech, la démondialisation est lancée

Face aux menaces de Donald Trump de taxer toujours plus les produits importés de Chine et donc tous les équipements électroniques et informatiques, les grands du numérique ont entrepris de réorganiser leur chaîne de production mondiale.

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Taxera ? Taxera pas ? Bien plus qu’un simple bras de fer, c’est une véritable guerre froide qui s’installe entre les Etats-Unis et la Chine. L’enjeu ? Officiellement, les Etats-Unis invoquent leur balance commerciale largement déficitaire envers la Chine. En 2018, les Américains ont exporté pour moins de 120 milliards de dollars (107 milliards d’euros) vers ce pays alors que leurs importations de Chine ont atteint 540 milliards de dollars dont 130 milliards de téléviseurs, ordinateurs et autres smartphones.

Mais plus qu’un rééquilibrage, l’Amérique cherche surtout à protéger son leadership dans le secteur de la technologie, mis à mal par la montée en puissance de la Chine. Celle-ci ne cache pas son ambition de devenir un acteur majeur du high-tech et pour cela de remonter dans la chaîne de valeur ! Quitte à démanteler une organisation industrielle unique dans l’histoire et qui a accompagné la révolution des technologies de l’information.

Dans son plan « Made in China 2025 », lancé en 2015, l’empire du Milieu s’est donné pour objectif de détenir 80 % de son marché intérieur et 40 % du marché mondial des technologies numériques. Principal assembleur de composants qu’elle produit ou importe, la Chine est responsable de près de la moitié des exportations mondiales de produits finis électroniques.

C’est donc toute la chaîne de valeur de la haute technologie mondiale, incontestablement l’industrie la plus globalisée au monde, que la guerre des taxes engagée il y a bientôt deux ans menace aujourd’hui. Elle touche les géants américains ou chinois, mais aussi toutes les entreprises du secteur, fournisseurs et sous-traitants qui produisent un tant soit peu en Chine, quelle que soit leur nationalité.

Apple et son produit phare l’iPhone illustrent bien le niveau d’imbrication internationale atteint par la chaîne de valeur de la technologie. Dans un article sur la « guerre commerciale de la tech », le cabinet de conseil Boston Consulting Group (BCG) détaille l’origine géographique de la valeur ajoutée d’un iPhone. Assemblé en Chine, ce smartphone arrive aux Etats-Unis avec une étiquette « assembled in China ». Pourtant, la réelle valeur ajoutée de la Chine dans ce produit n’est que de 4 % (batterie, assemblage). Elle s’approcherait des 20 % si l’on considère les composants dont la provenance n’est pas identifiée mais reste majoritairement chinoise.

Huawei mise sur son système d’exploitation maison
Le BCG en conclut que si les Etats-Unis ne prenaient en compte dans leurs importations que la réelle valeur ajoutée, leur déficit commercial envers la Chine pour les produits technologiques serait réduit de 70 % ! Le reste de la valeur ajoutée provient à 23 % des Etats-Unis (processeur, modem…), de Corée du Sud et du Japon, respectivement pour 22 % et 21 % (écran tactile, mémoire…), et même à 4 % d’Europe (capteurs).

Toute cette logistique mondiale est orchestrée par le taïwanais Foxconn, considéré comme le premier fabricant mondial de matériels informatiques. Fournisseur incontournable d’Apple, Foxconn réalise près de la moitié de son chiffre d’affaires (171,5 milliards de dollars en 2018) avec la firme à la pomme. Dans ses nombreuses usines en Chine où il emploie plus d’un million de personnes, il fabrique et assemble les produits Apple mais aussi des matériels informatiques (serveurs, ordinateurs, tablettes…) pour les ténors mondiaux du secteur : HP, Dell, Cisco, HPE, Microsoft…

« Les Etats-Unis ont peur de perdre leur leadership technologique, de revivre ce qui s’est passé avec le Japon dans les années 1980 pour l’informatique », constate Benoît Flamant, de la société Corraterie Gestion

Les tensions commerciales entre les Etats-Unis et la Chine ont pris une nouvelle ampleur avec « l’affaire Huawei ». Conseil aux Américains de ne pas utiliser les téléphones portables et les équipements télécoms fabriqués par les chinois Huawei et ZTE, puis arrestation de la directrice financière de Huawei – et fille du fondateur de l’entreprise – au Canada en décembre 2018 ont fait monter la pression jusqu’au décret publié en mai 2019 interdisant aux firmes américaines de travailler avec les sociétés chinoises. Quand ils ont mesuré l’avance prise par Huawei dans le domaine de la 5G, les Américains ont pris conscience de la montée en puissance de la Chine dans la haute technologie.

« Les Etats-Unis ont peur de perdre leur leadership technologique, de revivre ce qui s’est passé avec le Japon dans les années 1980 pour l’informatique. De son côté, la Chine est déterminée à être indépendante, en tout cas, à réduire rapidement sa dépendance à l’égard de la technologie américaine. En surtaxant les importations, les Américains croient qu’ils feront plier Pékin, mais ça va être très compliqué car les Chinois ont beaucoup d’atouts et ils sont prêts à durer », constate Benoît Flamant, responsable actions de la société de gestion de patrimoine Corraterie Gestion et spécialiste des investissements dans le secteur de la technologie depuis plus de vingt ans.

Conséquence de l’embargo décrété par les Etats-Unis, les Chinois doivent apprendre à se passer des logiciels et des composants électroniques américains. Cela a obligé Huawei à accélérer le déploiement de son système d’exploitation maison qui équipe le modèle le plus récent de la firme, lancé en décembre 2019 afin de remplacer l’Androïd de Google, désormais banni des smartphones chinois. Jugé imparfait au moment de son lancement, ce système n’en démontre pas moins la conviction et la capacité de la Chine à être souveraine.

En Chine, des subventions publiques massives

« Longtemps considérée comme “l’atelier du monde”, la Chine est devenue son bureau d’ingénierie, affirme Julien Nocetti, chercheur associé à l’Institut français des relations internationales (IFRI). Les Etats-Unis n’avaient pas imaginé qu’elle progresserait et s’approprierait la mondialisation aussi rapidement après son entrée dans l’Organisation mondiale du commerce en 2001. Les acteurs américains de la technologie ont tardé à prendre conscience de l’interdépendance des économies américaine et chinoise et de la volonté de la Chine d’être indépendante dans tous les secteurs de pointe, du biomédical au spatial en passant par les batteries électriques… »

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Commerce international économie numérique Asie Etats-Unis