16
mar
2018
Espace Média L'Ifri dans les médias
Julien NOCETTI, chercheur au Centre Russie/NEI, répond aux question d'El Watan

Julien Nocetti : « Les Russes font crédit à Poutine d’avoir remis de l’ordre dans la maison Russie »

A quelques jours du scrutin présidentiel en Russie, Vladimir Poutine est donné grand favori à sa propre réélection. Julien Nocetti évoque pour nous la situation du pays et les défis qui l’attendent dans les prochaines années.

Comment se présentent ces élections pour Vladimir Poutine ? Quels sont les véritables enjeux du scrutin du 18 mars ?

L’enjeu électoral ne présente aucun réel suspense : le président Vladimir Poutine est assuré d’un quatrième mandat. S’il parvient au terme de celui-ci, en 2024, il sera resté au pouvoir l’équivalent d’une génération (25 ans), comme Staline en son temps. Comparaison n’est pas raison, et l’enjeu de cette élection, pour le pouvoir, réside essentiellement dans le taux de participation.

Sera-t-il supérieur à 70% ? Un score inférieur – assez probable – pourrait être perçu comme un semi-échec par le Kremlin. Le score de Vladimir Poutine ne sera vraisemblablement pas inférieur à celui de 2012 (63% au premier tour). La différence avec le précédent scrutin est que le Kremlin n’a porté aucun grand thème fédérateur cette année. En 2012, Poutine avait publié six articles programmatiques dans les médias. Autrement dit, le candidat Poutine a-t-il un programme ?

Le discours modernisateur s’est tari ; la «stabilité» est souvent martelée dans les médias d’Etat par comparaison au «chaos ukrainien». La situation est assez paradoxale, puisque le pays n’affronte aucun défi existentiel. Pour le Kremlin, tout sera affaire de «dosage» : mobiliser l’électorat, mais pas trop ; se livrer à des falsifications, mais pas trop ; et éviter les protestations sociales post-élections sans pour autant durcir davantage la ligne du régime.

 

Quelle est l’image du président Poutine au sein de la population russe ?

Vladimir Poutine jouit d’une popularité réelle en son pays. Il est avant tout perçu comme le dirigeant qui a su restaurer l’ordre dans le pays après une décennie 1990 excessivement trouble : tendances centrifuges de certaines républiques russes, captation des richesses économiques par les «oligarques», violence sociale, crise économique de 1998…

La population russe, dans sa majorité, fait crédit à Poutine d’avoir remis de l’ordre dans la «maison Russie», même si les premières années de son premier mandat ont été marquées par de nombreux attentats liés à l’islamo-irrédentisme nord-caucasien. Les années de croissance (2000-2007) ont permis de consolider la stabilité économique et politique, tout en finançant une politique de puissance sur la scène internationale. Aujourd’hui, Poutine fait figure de «survivant» politique.

Il a détruit toute ressource politique indépendante et su maintenir une forme de culte de la personnalité qui a pour objectif premier de confondre la personne du président avec la Russie pour assurer la légitimité du régime. S’il reste très populaire, s’adapter à d’éventuelles exigences de changement lui sera une épreuve difficile. Le risque est bien sûr de créer un défi pour le système politique qu’il a bâti.

 

Après un mandat marqué par une forte activité sur la scène internationale, quelles seront les priorités de Poutine en cas de réélection ?

Il est fort possible qu’après plusieurs années consacrées de près à la politique internationale, Vladimir Poutine accordera sa priorité à la politique intérieure. Plusieurs défis attendent déjà «Poutine IV». Le premier est à la fois le plus immédiat et le plus concret. Il s’agit de réussir le Mondial de football, que la Russie organise pour la première fois. Au-delà de l’exercice sportif, l’enjeu est éminemment diplomatique : ces dernières années, la Russie avait été mise au ban du sport mondial en raison des pratiques massives de dopage de ses athlètes.

Les autorités auront à cœur de laver l’affront en montrant une autre face que celle du hard power. Autre défi, récurrent, est celui de l’économie. Devant le gouvernement et la représentation nationale, le 1er mars, Vladimir Poutine s’est longuement attardé sur la nécessité d’adapter l’économie russe aux mutations technologiques en cours.

La situation économique russe est paradoxale : le chômage est faible, le prix du baril stabilisé, mais la croissance économique reste timide (sauf dans certains secteurs précis comme l’agriculture), et surtout la fuite des cerveaux se poursuit, particulièrement dans les secteurs de pointe. Sans parler du niveau de corruption au sein des élites.

Corollaire de cet enjeu : le degré de libéralisation de l’économie russe. L’orientation prise sera déterminante pour les années à venir, dans un contexte de rivalités croissantes entre clans, notamment dans les hydrocarbures. Cela étant dit, la politique étrangère ne sera certainement pas négligée. Sera-t-elle aussi musclée que les années précédentes ?

Il faut garder à l’esprit que les pics de popularité de Vladimir Poutine ont toujours correspondu avec des guerres : deuxième campagne de Tchétchénie en 1999, Géorgie, Crimée et Donbass… C’est moins vrai avec la Syrie : le déclenchement de l’opération militaire en septembre 2015 n’a pas eu les effets escomptés en termes de popularité pour le président russe.

 

Comment Poutine voit-il le rôle de la Russie dans le monde, notamment au Moyen-Orient ?

Le troisième mandat de Poutine (2012-2018) a parachevé le retour d’influence de la Russie sur la scène internationale. Le rôle joué par Moscou sur le conflit syrien n’est pas innocent dans la quête de prestige international de Vladimir Poutine. Grâce à la Syrie, la Russie a non seulement rompu son isolement international, mais aussi rétabli un rapport direct et exclusif avec Washington.

Ce qui est paradoxal : chez Poutine, les Etats-Unis sont perçus comme les principaux responsables du déclassement de la Russie et comme les interlocuteurs indispensables pour rehausser la stature de la Russie. Par petites touches, le président russe a su exploiter l’antiaméricanisme provoqué par l’intervention en Irak (2003) puis en Libye (2011) auprès de différents pays, tout en adoptant une posture assumée de résistance idéologique à l’influence américaine.

Pour autant, la Russie de Poutine n’a pas de grand projet ni de «modèle» politique pour le Moyen-Orient. Elle y poursuit une politique guidée par ses seuls intérêts nationaux et n’a pas d’alliés permanents dans la région. Les Russes ne veulent plus répéter l’erreur de s’allier «corps et âme» à un seul pays de la région, comme l’Egypte de Nasser dans les années 1950-1960. En conséquence de quoi ils manœuvrent, s’engagent dans des compromis si nécessaires.

 

Comment se profile l’après-Poutine en Russie ?

La question est officiellement taboue en Russie, alors qu’elle est posée dans toutes les chancelleries. Plusieurs scénarios sont évidemment possibles. Le premier est le maintien de Vladimir Poutine à un poste influent, «au-dessus» de l’Etat, un peu à la manière de Deng Xiaoping en Chine. Un autre scénario verrait le transfert du pouvoir présidentiel à une personnalité que Poutine et lui seul aurait désignée – un processus devant ensuite être validé par les urnes. C’est ce que l’actuel président a vécu avec Boris Eltsine le 31 décembre 1999.

Là, le choix du successeur variera certainement en fonction du contexte international, de la conjoncture socioéconomique et d’éventuelles menaces pesant sur la sécurité du pays (résurgence du terrorisme, etc.). D’ici à 2024, un enjeu pour le pouvoir sera de «dépersonnaliser» progressivement le régime Poutine. Quand cette démarche interviendra-t-elle ? Les signaux envoyés seront sans doute tardifs, multiples et contradictoires….

 

Retrouver l'entretien sur le site d'El Watan

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el_watan_logo.jpg, par stagiaire_russie

 

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Daech élections mandat présidentiel Vladimir Poutine Russie Syrie