13
juil
2020
Espace Média L'Ifri dans les médias
Michel PESQUEUR, cité par Nathalie Guibert pour Le Monde

L'armée française face aux nouvelles attentes sociales de ses soldats

Une enquête exprime une forte critique du « plan familles » de la ministre de la défense, Florence Parly, qui a promis d’améliorer la condition militaire.

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Le chiffre vaut avertissement : 68 % des militaires se disent « pas satisfaits » du plan sur lequel le ministère des armées s’investit depuis deux ans pour améliorer leurs conditions de vie. Pour 82 %, il est « urgent » de traduire dans les faits ce « plan familles ». Ce mauvais score est issu d’une enquête réalisée à l’initiative des nouvelles associations professionnelles représentatives des militaires. Harris Interactive a interrogé 1 688 professionnels des trois armées et de la gendarmerie du 24 février au 26 mars. Une première du genre.

Même si l’échantillon n’est pas vraiment représentatif car il sous-estime les militaires du rang face aux sous-officiers et officiers, le résultat témoigne d’une humeur et n’a pas manqué d’alerter le cabinet de la ministre de la défense, Florence Parly. « Car quand on dit Parly, les gens pensent “loi de programmation militaire à hauteur d’homme” et “plan familles” », souligne un conseiller au ministère des armées, à la veille du 14-Juillet.

En 2017, Emmanuel Macron devait faire oublier la crise de confiance provoquée par la démission surprise du chef d’état-major Pierre de Villiers. Il promettait que les crédits allaient enfin remonter avec la programmation 2019-2025 et que les milliards n’oublieraient pas la condition militaire, sacrifiée au profit des programmes d’armement depuis la professionnalisation des armées.

Les résultats tardent

La ministre joue son crédit sur cette politique « à hauteur d’homme », destinée à rendre concrètes les déclarations de respect que le président, depuis, formule sans relâche aux militaires. « La tentation habituelle lors des arbitrages budgétaires est de sacrifier ces sujets. Mais quand on lui propose de couper 20 millions dans les infrastructures pour les mettre sur la maintenance des aéronefs, Florence Parly dit non », assure la même source.

Le plan familles porte sur 2018-2022, avec des dizaines de mesures. Le général François Lecointre, successeur de Villiers, a appelé la troupe à la « patience » sachant le chantier de longue haleine.

Aujourd’hui, à l’unisson du reste de la société, les 200 000 militaires expriment des attentes sociales d’autant plus élevées que les résultats tardent. « On fait confiance à nos chefs, mais il arrive un moment où il faut nous montrer quelque chose », résume le capitaine de vaisseau Dominique de Lorgeril, président de l’association de la marine.

Les problèmes de logement arrivent en tête des priorités, suivis de la mobilité professionnelle, de l’emploi des conjoints et de la garde d’enfant. L’enquête Harris confirme que les contraintes inhérentes au métier de soldat – disponibilité totale, déplacements, mutations – sont de moins en moins supportées. Seule une courte majorité, 53 %, estime concilier correctement vie personnelle et vie professionnelle. L’armée a entrepris de réduire les mutations. Et le ministère a fait en sorte que plus de 80 % des changements de poste soient annoncés au moins cinq mois à l’avance.

  • En moyenne, « les militaires de l’armée de terre sont engagés cent quatre-vingts jours par an dans des activités ouvrant droit à l’indemnité d’absence cumulée, les marins autour de cent soixante-quatorze jours, rappelle le colonel Michel Pesqueur, qui décrypte l’enjeu des ressources humaines dans une étude publiée le 30 juin par l’Institut français des relations internationales (IFRI). La marine décrit cette situation comme l’institutionnalisation de familles quasi monoparentales ».
  • Depuis trois ans, dans l’armée française, les célibataires sont plus nombreux que les couples mariés, dont un tiers sont divorcés. Les pacsés sont 15 % et ne bénéficient toujours pas des mêmes droits que les autres agents de l’Etat. Toujours attirés par le métier des armes, les jeunes ont de nouvelles exigences. Ils veulent un régiment près de chez eux. Ils espèrent aller vite sur le terrain. « Pour attirer cette génération pressée d’exercer un métier, l’armée de l’air modernise profondément ses formations – le but est de gagner douze mois de formation sur quatre ans », illustre l’IFRI.

Réel effort budgétaire

Cette population jeune est devenue « volatile », poursuit l’auteur de cette étude. Dans les six premiers mois, le taux de dénonciation de contrat est important, de 20 % à 28 % dans l’armée de terre depuis plusieurs années.

« Chacun entend être accompagné et conseillé dans sa carrière », mais tous butent sur les « lourdeurs » de la gestion des ressources humaines. Les réductions d’emplois massives des années passées ont laissé des traces. « Certains disent que, faute de pouvoir fidéliser nos meilleurs éléments, on n’a gardé que les chefs de la catégorie “idiots travailleurs” persuadés d’avoir raison et qui n’écoutent pas leurs hommes », raconte un colonel.

Le sursaut patriotique qui a suivi les attentats après 2015 est retombé. L’armée française doit recruter beaucoup pour conserver sa jeunesse (26 000 entrées et départs en 2020), alors que son effectif total doit peu augmenter (+ 6 000) d’ici à 2025. Les généraux cherchent tous les moyens de fidéliser davantage.

Ces défis se présentent au moment où l’état-major veut accroître les compétences pour affronter de futurs conflits de « haute intensité » face à la Russie et à la Chine. Dans l’armée de terre, où il manque des milliers d’officiers et de sous-officiers, combler le déficit d’encadrement est devenu un effort majeur.

  • Le ministère a offert du Wi-Fi gratuit couvrant 135 000 chambres dans les casernes, une carte SNCF étendue à toute la famille, 400 places de crèche. Les autres mesures butent sur des difficultés structurelles. Une prime d’un montant total de 12 millions d’euros en 2020 a été créée pour garder des spécialistes, mécaniciens ou informaticiens, mais, individuellement, son « montant est encore trop faible pour couvrir le gain salarial obtenu par un départ dans le civil », note l’expert de l’IFRI. Pour rénover les logements militaires, de Brest (Finistère) à Castres (Tarn), un réel effort budgétaire est consenti (1 milliard d’euros sur sept ans). Mais le retard est tel que certains se découragent.

Le Haut Comité d’évaluation de la condition militaire, qui a la vision la plus complète du sujet, a salué dans son rapport 2019 « les efforts engagés pour mieux accompagner les contraintes que l’état militaire fait peser sur la vie quotidienne ». Il a aussi expressément demandé à les « poursuivre dans la durée ». Le sujet, notamment pour ce qui concerne le logement, est « suivi comme le lait sur le feu et des résultats vont commencer à être vraiment visibles », assure-t-on au ministère. Un accord-cadre a été signé avec le BTP pendant le confinement pour accélérer les chantiers.

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