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Coronavirus : la solidarité franco-allemande à l’épreuve

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Coronavirus : la solidarité franco-allemande à l’épreuve
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Alors que la crise sanitaire du coronavirus touche de plus en plus durement l’Europe, elle ne semble pas affecter la France et l’Allemagne au même rythme ni avec la même intensité.

La gestion de crise met à l’épreuve différemment leurs systèmes hospitaliers respectifs. Elle mobilise la cohésion sociale et l’économie dans chacun des deux pays et ses effets affectent la solidarité franco-allemande et plus largement européenne.

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L’admission d’une centaine de malades français dans des établissements hospitaliers allemands, à l’initiative d’autorités locales, constitue une manifestation de solidarité face à l’épidémie du coronavirus. Elle vient aussi concrétiser tous les efforts déployés par les responsables publics pour surmonter « l’effet frontière » dans les régions frontalières et traduire le sentiment d’appartenance commune à l’Europe.

Cependant, dans quelle mesure ces exemples médiatiques ne masquent-ils pas un désaccord politique plus profond entre les deux gouvernements, dans la façon de traduire cette solidarité à travers les décisions économiques et financières ? Malgré les compromis et les avancées récentes, des décisions de nature politique sont attendues dans les prochaines semaines par les opinions allemande et française pour relancer l’économie européenne à la sortie de la crise sanitaire.

 

Des capacités de réaction inégales face à la crise sanitaire

Si l’on considère le nombre de victimes par rapport au nombre de personnes infectées par le COVID-19, l’Allemagne subit moins sévèrement les conséquences dramatiques de l’épidémie, en raison de la qualité et de la densité de son système de santé et du recours systématique aux tests. En effet, elle disposait de 25 000 lits en soins intensifs au début de la crise et a augmenté ce nombre à 40 000. En revanche la France ne disposait que d’une capacité initiale de 5 000 lits qu’elle a réussi à augmenter de 10 000.

De plus, l’Allemagne démultiplie sa capacité de tests jusqu’à 500 000 par semaine et en prévoit 100 000 par jour à la fin du mois d’avril, alors que la France n’en réalise qu’entre 35 000 à 85 000 par semaine. L’apparente solidité allemande face à la fébrilité française produit un effet de contraste qui fait craindre un éloignement des deux pays, alors qu’une gestion commune de la crise semble nécessaire.

Le premier écueil de la pandémie, dans la relation franco-allemande comme dans la gouvernance européenne et mondiale, étant celui du repli des États sur leurs intérêts nationaux. Certaines décisions, liées à la peur de diffusion de l’épidémie, ont mis à l’épreuve le modèle européen. L’interdiction allemande d’exporter du matériel médical de protection le 4 mars 2020 ou la fermeture partielle des frontières, avec le rétablissement des contrôles entre la France et l’Allemagne le 16 mars, ont provoqué des tensions politiques dans les régions transfrontalières. Faute des moyens nécessaires pour renforcer les vérifications, 31 des 35 points de passage entre la Moselle et la Sarre ont été fermés et des entreprises allemandes ont dû mettre leurs employés français au chômage partiel.

Le 28 mars, l’ancien président de la Commission européenne Jacques Delors alerte alors les Européens sur le « climat qui semble régner entre les chefs d’État et de gouvernement et le manque de solidarité européenne [qui] font courir un danger mortel à l’Union européenne » face à la crise du coronavirus[1]. Des divergences entre Paris et Berlin sur la gestion économique et financière de la crise ont, en effet, refait surface lors du Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement du 26 mars. Celui-ci a vu s’opposer la France et l’Allemagne sur la question des « corona-bonds ». Emmanuel Macron, a appelé à une « une solidarité européenne forte, au niveau sanitaire et budgétaire[2] », par le biais d’un emprunt commun à toute l’Union européenne, pour faire face aux conséquences économiques du coronavirus. Inversement, l’Allemagne a affirmé son opposition à toute mutualisation des dettes.

 

Une solidarité transfrontalière pour pallier les divergences franco-allemandes

La crise sanitaire a toutefois permis de manifester une solidarité franco-allemande dans la prise en charge des malades. L’un des principaux foyers de diffusion de l’épidémie en France était en Alsace, l’une des régions frontalières franco-allemandes les plus symboliques. Face à la rapide saturation des hôpitaux alsaciens, débordés par l’arrivée importante de malades graves en unités de réanimation, des responsables publics locaux ont très vite réagi. En effet, Brigitte Klinkert, présidente du Conseil départemental du Haut-Rhin, a demandé, dès le 20 mars, l’aide de Martin Horn, maire de la ville frontalière de Fribourg-en-Brisgau qui a ainsi facilité la prise en charge de certains de ces malades. La clinique de la ville décide d’admettre immédiatement deux patients français, premier geste de solidarité à l’échelle de décision locale.

Les infrastructures médicales des hôpitaux allemands sont alors moins sollicitées par les formes graves de la maladie et mieux équipées pour les traiter. Plusieurs hôpitaux universitaires allemands, ceux de Fribourg-en-Brisgau, Heidelberg, Mannheim et Ulm, acceptent ainsi des patients provenant d’Alsace. Très rapidement trois Länder limitrophes de la France (Bade-Wurtemberg, Rhénanie-Palatinat et Sarre) ont accueilli des malades dans des unités disposant de lits avec soins intensifs et respirateurs artificiels. Jean Rottner, président de la Région Grand Est, collaborant depuis le début de l’épidémie avec ses homologues allemands, Winfried Kretschmann, Malu Dreyer et Tobias Hans, déclare qu’il est rassurant que l’Europe existe en cas de crise. Son homologue sarrois, Tobias Hans, répond à son « ami » que « nous gagnerons le combat contre le coronavirus uniquement si nous sommes unis ». Ces actions témoignent de la solidarité franco-allemande de proximité, qui continue à s’incarner dans des actes concrets.

Les initiatives locales ou régionales ont été le point de départ d’un mouvement de solidarité mis en exergue par les décideurs politiques nationaux. Le 25 mars, le président de la République, Emmanuel Macron, a tenu à remercier « nos voisins allemands, suisses, luxembourgeois, qui ont pris en charge une trentaine de patients lourds, comme nous l’avons fait il y a quelques semaines pour nos voisins italiens. C’est cela aussi l’Europe, la vraie, cette solidarité[3]. » Les autres régions allemandes accueillent alors à leur tour des malades : à la fin du mois de mars, quatre patients sont accueillis en Hesse, quatre en Rhénanie-du-Nord-Westphalie et six à l’hôpital de la Charité à Berlin. Au début du mois d’avril, la Bavière annonce qu’elle prendra en charge dix patients français dans ses hôpitaux. Cette montée en puissance de la coopération se fait également dans le cadre logistique. Grâce aux avions de transport militaire médicalisés de la Bundeswehr, qui viennent prêter main-forte à l’Armée de l’air, des malades en soins intensifs sont transportés vers des hôpitaux militaires allemands. À cette date, ce sont donc plus de 130 Français qui sont pris en charge dans des structures hospitalières de toute l’Allemagne.

 

Vers un compromis franco-allemand pour apporter des solutions économiques et financières à la crise ?

Le 2 avril, le ministre fédéral des finances Olaf Scholz et son homologue français Bruno Le Maire présentent trois mesures concrètes pour faire face aux conséquences financières immédiates de la crise. Ils soutiennent tout d’abord l’utilisation du mécanisme européen de stabilité (MES) comme un « filet de sécurité » pour les États dont la situation financière est fragilisée par la crise des marchés. Les pays bénéficiaires potentiels ne devraient remplir pratiquement aucune condition. Un « fonds de garantie paneuropéen » d’un montant maximal de 50 milliards d’euros doit également être créé pour garantir des prêts bancaires aux petites et moyennes entreprises et dont la Banque européenne d’investissement doit se porter garante. Les deux ministres soutiennent enfin la mise en place d’un dispositif européen d’assurance chômage comme celui qu’a proposé la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. Celle-ci propose de mettre à disposition jusqu’à 100 milliards d’euros pour une indemnité européenne de chômage partiel. Pour elle, « le budget pluriannuel européen [2021-2027] est l’expression la plus aboutie de notre solidarité européenne » et d’appeler ainsi dans ce cadre à un « plan Marshall » européen pour financer la relance économique d’après-crise.

Berlin et Paris ne sont pourtant toujours pas d’accord sur la communautarisation partielle de la dette, l’opposition allemande aux « corona-bonds » reste intacte. L’économiste allemand Klaus Regling, directeur général du mécanisme européen de stabilité, affirme que « la solidarité européenne doit prendre forme en recourant rapidement aux institutions et aux instruments existants[4] ». Angela Merkel n’est pas non plus revenue sur sa position, même si elle se veut plus conciliante pour apaiser les tensions : alors qu’elle y était opposée à la fin du mois de mars, elle défend désormais le recours au MES. Les deux gouvernements s’efforcent certes de parvenir à des compromis, mais des divergences persistent sur la façon de mettre en œuvre une solidarité financière à l’échelle européenne.

Dans les prochaines semaines, cette solidarité franco-allemande va être jugée sur trois points essentiels. Tout d’abord, sur la capacité qu’auront les hôpitaux allemands à continuer à accueillir des patients venant de France. L’évolution de l’épidémie en Allemagne peut faire craindre un afflux important de malades dans ses infrastructures hospitalières et le 4 avril le directeur de la chancellerie fédérale, Helge Braun, avertissait : « Quel degré de solidarité pouvons-nous manifester avant de nous mettre nous-mêmes en difficulté ? » Ensuite, se posera la question de la réouverture des passages de frontières, ne serait-ce qu’au regard du nombre important de travailleurs transfrontaliers. Enfin, il faudra observer le débat politique sur les conditions du plan de relance de l’économie européenne. La capacité de la France et de l’Allemagne à s’accorder sur des modalités de financement est essentielle pour éviter que ne se creuse un fossé irréconciliable entre le nord et le sud de l’Europe.

 

Paul Maurice est chercheur au Comité d'études des relations franco-allemandes (Cerfa) à l’Ifri.


[1]. S. de Ravinel, « Le manque de solidarité est un "danger mortel" pour l’Europe, selon Jacques Delors », Le Figaro, 28 mars 2020, disponible sur : www.lefigaro.fr.

[2]. A. Ginori, « Macron: "Difendo la solidarietà. Senza un’Europa unita non vinceremo il virus" », La Repubblica, 27 mars 2020, disponible sur : www.repubblica.it.

[3]. « Déclaration de M. Emmanuel Macron, président de la République, sur la mobilisation face à l’épidémie de Covid-19, en particulier le rôle des soignants, et sur le lancement de l’opération militaire Résilience en soutien à [la] lutte contre la diffusion du coronavirus, Mulhouse, le 25 mars 2020 », publié le 26 mars 2020, disponible sur : www.vie-publique.fr.

[4]. K. Regling, « Der Moment für Solidarität in Europa ist jetzt », Frankfurter Allgemeine Zeitung, 2 avril 2020, disponible sur : www.faz.net.

 

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979-10-373-0154-3

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Paul MAURICE

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Le Comité d'études des relations franco-allemandes (Cerfa) a été créé en 1954 par un accord intergouvernemental entre la République fédérale d’Allemagne et la France, afin de mieux faire connaître l'Allemagne en France et analyser les relations franco-allemandes y compris dans leurs dimensions européennes et internationales. Dans ses conférences et séminaires, qui réunissent experts, responsables politiques, hauts décideurs et représentants de la société civile des deux pays, le Cerfa développe le débat franco-allemand et suscite les propositions politiques. Il publie régulièrement des études à travers deux collections : les « Notes du Cerfa » et les « Visions franco-allemandes ». 

Le Cerfa entretient des relations étroites avec le réseau des fondations et des think tanks allemands. En plus de ses activités de recherche et de débat, le Cerfa promeut l’émergence d’une nouvelle génération franco-allemande à travers des programmes de coopération originaux. C'est ainsi qu'en 2021-2022, le Cerfa a conduit un programme sur le multilatéralisme avec la Fondation Konrad Adenauer de Paris. Ce programme s'adresse à des jeunes professionnels des deux pays intéressés par les enjeux du multilatéralisme dans le contexte de leurs activités. Il a couvert une large gamme de thèmes relatifs au multilatéralisme, tel que le commerce international, la santé, les droits de l’homme et la migration, la non-prolifération et le désarmement. Auparavant, le Cerfa avait participé au dialogue d’avenir franco-allemand, co-piloté de 2007 à 2020 avec la Deutsche Gesellschaft für auswärtige Politik (DGAP) et soutenu par la Fondation Robert Bosch, ou encore le groupe Daniel Vernet (anciennement Groupe de réflexion franco-allemand) qui avait été fondé en 2014 à l’initiative de la Fondation Genshagen.

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